Dans sa note sur la compétitivité de la vallée de la Seine, censée donner des clés pour accélérer le développement économique du futur Haropa, le think tank libéral propose la création de zones franches portuaires aux exonérations ciblées et délimitées dans le temps, mais aussi des objectifs contraignants de report modal et la mutualisation des THC.
Alors que la fusion des trois ports du Havre, de Rouen et de Paris doit donner naissance au 1er juin 2021 à l’établissement portuaire unique Haropa, l’Institut Montaigne semble considérer le moment opportun pour sortir une note de réflexion sur la « compétitivité de l’axe Seine », agrémentée de ce sous-titre : « comme redresser la barre ? » Le think tank, d’obédience libérale et financé par les grandes entreprises françaises, part du principe que « le contexte économique et institutionnel est porteur pour le développement du port du Havre et de la vallée de la Seine et que les prochains mois constitueront donc une fenêtre d’opportunités unique à saisir pour les acteurs publics et privés », même si 2000 fut une année difficile. « Le trafic maritime a fortement diminué, en raison des mouvements sociaux de décembre 2019 et janvier 2020, puis de la crise sanitaire qui a conduit à la fermeture temporaire de plusieurs sites industriels sur la vallée de la Seine. »
Le port du Havre a en en effet traversé une année difficile, encaissant une diminution de 23 % de ses trafics conteneurisés u cours des trois premiers trimestres de 2020 alors que dans le même temps le leader portuaire européen Rotterdam limitait la casse à 5 % et qu’Anvers (plus que jamais premier port français ?) faisait mieux en maintenant son niveau de 2019.
« Le risque pour les prochaines années est que ce dernier décroche définitivement par rapport aux ports du nord de l’Europe, Anvers et Rotterdam en premier lieu, et qu’il soit relégué à un rôle secondaire à l’échelle européenne. La possibilité que les armateurs suppriment en partie Le Havre de leurs rotations n’est ainsi pas à exclure, alors même qu’il est géographiquement le premier port d’escale de la façade maritime de l’Europe du nord », plante d’emblée le consultant Pierre Sallenave, qui a travaillé jadis à Matignon sur la réforme portuaire de 2008. À cela, deux raisons principales, selon lui : les mauvaises liaisons entre Le Havre et son hinterland et le déficit de fiabilité du passage portuaire lié au « climat social pour le moins instable. »
Le rapport s’articule en conséquence autour de deux axes qui ne sont pas vraiment intattendus : d’une part, la massification des flux terrestres de conteneurs grâce au report modal vers le fleuve, d’autre part, le développement de « zones de compétitivité » industrielles, autant dire ports francs
Concentrer l’aide à la pince sur la Seine et le Rhône
Sur la question du report modal, le laboratoire d’idées se fait plus dirigiste que libéral. Il faut dire que le constat est implacable : la part modale du fluvial stagne (8,3 %), alors que celle du ferroviaire plonge d’année en année (5 %). L’absence de culture du report modal qui réussit à Anvers ou Rotterdam où de 50 % des pré et post acheminements sont assurés par voies fluviale et ferroviaire, est ici perçue comme un symptôme. L’auteur de l’étude reconnait aussi une part de responsabilité aux « surcoûts structurels de l’utilisation du ferroviaire et du fluvial, en raison de la rupture de charge qu’elle implique. »
Plutôt que des objectifs à long terme fixés en haut lieu pour l’évolution des parts modales, l’institut Montaigne préconise que les ports et les opérateurs privés décident conjointement, chaque année, du but à atteindre. « En contrepartie de la réalisation de ces objectifs, les opérateurs privés bénéficieront de diverses mesures incitatives qui devront permettre de compenser en partie le surcoût structurel du transport fluvial. » Avec par exemple une augmentation conséquente de l’aide à la pince, mais uniquement concentrée sur les deux axes fluviaux majeurs, la Seine et le Rhône. Ouencore une mutualisation des THC, à l’instar de ce que le port de Dunkerque a mis en place. Et enfin un label valorisant les opérateurs utilisant les transports massifiés.
Pierre Sallenave va encore plus loin, en proposant que les autorisations d’occupation temporaire, nécessaires pour implanter une activité privée dans un port, soient soumises à la réalisation par l’opérateur portuaire d’objectifs précis en termes de parts modales. Il met en avant le Green Deal portuaire néerlandais, où l’État est intervenu pour pousser le port de Rotterdam à s’orienter vers la croissance verte, objectifs chiffrés à l’appui.
CIMer 2021 : 1,5 Md€ pour les ports de l'axe seine
Création de zones franches portuaires
Le deuxième axe d’action proposé par l’auteur de la note concerne le « développement de zones de compétitivité industrielle à forte valeur ajoutée sur l’axe Seine. » Il s’agit de faire des ports de l’axe Seine non seulement des lieux de passage des marchandises, mais des sites d’implantation d’activités industrielles ou logistiques créatrices de valeur. Les orientations, ici, sont plus nettement libérales. Il s’agirait d’accorder, pour certaines zones portuaires, des exonérations de droits de douanes, d’impôt foncier et d’impôt sur les sociétés.
« Plusieurs zones gagneraient à être établies le long de l’Axe-Seine. Une zone au sein du PLNP3 pourrait être étudiée au Havre. À Rouen (RSVL Amont) et Port-Jérôme (Zone industrielle portuaire multimodale), des zones de compétitivité portuaire pourraient également être proposées, qui comprendraient a minima un volet fiscal. » L’exonération de droits de douane permettrait le stockage et les transformations industrielles, les droits n’étant payés qu’à la sortie des marchandises de la zone.
Dans les plans de l’Institut, les exonérations fiscales « agiront comme des leviers additionnels d’attractivité portuaire » mais seront limitées dans le temps, voire dégressives. Il existerait, selon les données du centre de réflexion, 80 zones franches en Europe, dont les ports de Riga, Luxembourg, Brème, Trieste ou Le Pirée, et deux zones franches portuaires en France : en Guyane et à Bordeaux, au terminal du Verdon.
Étienne Berrier