Anvers-Zeebrugge : quel bilan un an après la fusion portuaire ?

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Après des années de tractations, les deux ports belges ont fusionné en avril 2022. L’ambition de ses actionnaires – les villes d’Anvers et de Bruges –, est désormais d’en faire la première porte de l’énergie verte en Europe.

C’était il y a un an exactement. Après des années de tractations, les deux ports belges ont fini par fusionner, vivement incités par les autorités de tutelle politiques. Où en est l'intégration ? Pour quels effets sur les investissements et les trafics ? Zeebrugge a-t-il profité des conteneurs d'Anvers ? Le projet autour des énergies vertes a-t-il bénéficié d'un coup d'accélérateur ?

C’était il y a un an. Après des années d'atermoiements et de valse-hésitation, le deuxième port européen, tête de pont du breakbulk en Europe, leader de la manutention de l’acier, hébergeur d’un des plus grands pôles chimiques européen, et le port côtier belge, réputé pour être le plus grand port de transbordement de véhicules et la plaque tournante du GNL pour le nord-ouest de l’Europe, scellaient leur union. Quelques jours plus tard, en grande pompe, avec des invités de marque, ils présentaient le projet sur lequel l’idée d’une fusion portuaire avait fini par s’arrimer. Avec pour ambition affichée par ses actionnaires, les deux villes belges d'Anvers (80 % du capital) et de Bruges (20 %) : faire de « Port of Antwerp-Bruges », nom de la société portuaire unifiée, la première porte de l’énergie verte.

Les autorités portuaires avaient annoncé en 2019 l’entame de pourparlers en vue d’une éventuelle fusion. Mais ce n’est qu’en février 2021 que les collectivités ont pu enclencher le processus d'unification et le 22 avril 2022 qu’elles ont signé la convention d’actionnariat de la société portuaire unifiée.

Entre-temps, le nombre de ports à fusionner a varié dans le temps.

Il fut question un temps (bref) d’un ensemble composé d’Anvers, Zeebrugge, Gand, Ostende, à une époque où la velléité très flamande de constituer un pôle portuaire unique était tentante. La fusion portuaire est un classique politique en Belgique, les autorités plus demandeuses que les autorités portuaires. La réticence des ports concernés, les incompatibilités de stratégie et l’absence de synergies ont soufflé sur l'idée comme un fétu de paille.

North Sea Port, qui regroupe les ports de Gand (Belgique) et de Flessingue et Terneuzen (Pays-Bas), dont la fusion est effective depuis le 1er janvier 2018, est peut-être un avatar de cet avant-projet jamais concrétisé.

L’idée achoppera aussi sur des questions de gouvernance, répartition des sièges et minorité de blocage au sein de l’établissement fusionné.

Le projet à concrétiser : devenir un poumon vert

Aujourd'hui la fusion actée, il reste un grand projet à concrétiser, celui annoncé à coups de corne de brume. Pour devenir ce centre d'énergie vert soutenu par les actionnaires, le deuxième plus grand cluster pétrochimique du monde « étendra son projet de captage, de stockage et de réutilisation du CO2 », était-il alors vendu. Quelque 2,5 Mt de CO2 devraient être captés par l'industrie dans le port d'ici 2025 (il sera réutilisé comme matière première pour diverses applications).

Avant 2028, il devrait être en outre en mesure de recevoir les premières molécules d'hydrogène vert. Pour ce faire, il est question d’accroître la capacité des terminaux existants (18 à Anvers et six à Zeebrugge) et d’en aménager de nouveaux. Il est également prévu la construction d'un pipeline d'hydrogène entre les deux sites, qui servira à alimenter l'Europe en énergie.

Un an plus tard, où en est l'intégration ?

Un an plus tard, « le bilan est satisfaisant », se félicite la direction portuaire tout en reconnaissant que la nouvelle société « est toujours en transition » et en est encore à évaluer ses processus et ses systèmes. « Une fusion est un projet à long terme qui implique des défis majeurs - techniques, opérationnels et humains », rappelle Jacques Vandermeiren, CEO de Port of Antwerp-Bruges.

Mais « de nouveaux projets confirment l'attrait du port unifié malgré le contexte géopolitique difficile d'aujourd'hui ».

En termes d’intégration, le chantier de migration des différentes applications numériques en un système unique est en bonne voie, assure-t-elle. « Les données géographiques de la plateforme de Zeebrugge ont été intégrées dans le "Digital Twin" [une copie virtuelle du port] et des données en temps réel [par exemple des capteurs de qualité de l'air] y ont également été connectées. »

Quels sont les premiers bénéfices estimés ?

Premiers effets selon les artisans de la fusion de part et d’autre, le capital d’image et la résonance internationale.

« Cette valeur ajoutée s'est manifestée lors de participations conjointes à l'étranger, très appréciées par la clientèle du port, comme les missions princières au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Japon et la visite du roi et de la reine au port de Duqm, à Oman », relève Dirk De fauw, bourgmestre de la ville de Bruges et vice-président de Port of Antwerp-Bruges, qui voit dans les « investissements annoncés en capacité par les opérateurs existants et les nouveaux acteurs les premiers retours.

Cette attractivité se matérialise, confirme la direction du port, dans les investissements étrangers. L’Américain PureCycle a annoncé la construction d'une usine de recyclage de plastique dans le NextGen District, zone dédiée à l’économie circulaire, dont le chantier a démarré en début d’année.

Sur le plan du marché du travail, les artisans du projet estiment également que la complémentarité est gagnante. Confrontés tous deux aux pénuries sur le marché du travail, l’entreprise, qui a récemment lancé un site d'emploi, joue de la possibilité d’offrir des emplois sur les deux sites pour accroître l’attractivité de ses offres.

« Cette portée géographique élargie renforce la compétitivité des sociétés portuaires et leur attrait sur le marché du travail », indiquent-ils.

Où en est la grande ambition formulée autour des énergies vertes ?

Quant au grand projet affiché autour de la production et de l'importation d’énergies plus vertes, hydrogène et méthanol, notamment, « certains projets concrets relatifs à l'hydrogène sont maintenant prêts à être mis en œuvre », assure Jacques de Vandermerien. Par exemple ? « 15 % de l'approvisionnement total de l'Europe en GNL et en gaz naturel passe par Zeebrugge. Un an plus tôt, il ne s'agissait que de 8 %. Cela fait de Port of Antwerp-Bruges l'une des voies d'accès au gaz les plus importantes vers l'arrière-pays européen ».

Vopak, opérateur de cuves de stockage de gaz et de pétrole a en outre annoncé le réaménagement de l'ancien site de Gunvor pour l’orienter vers les énergies renouvelables. Le port y voit une manifestation supplémentaire.

Le transfert sur le conteneur a-t-il opéré ?

L’absence de continuité territoriale est handicapante pour le conteneur alors que Zeebrugge arrive à point nommé pour soulager temporairement Anvers, complètement saturé, en attendant une nouvelle darse à marée et la livraison des extensions envisagées, notamment sur le MEPT, dont MSC et PSA sont coactionnaires.

Mais Jacques Vandermeiren estime que le transfert a opéré l’an dernier. « Les entreprises ont pu se rabattre sur la plateforme de Zeebrugge. La répartition sur deux sites est aussi bénéfique pour les acteurs de la logistique ».

Quels impacts sur les trafics ?

Le port a mieux résisté à la période géopolitique et économique et à la crise de l'énergie, insiste le port dans un communiqué. Pour autant, tous les trafics sont dans le rouge au premier trimestre, exceptés les vracs liquides mais pour s’afficher en stabilité (+ 0,5 %) avec 23 Mt tandis que le ro-ro limite la casse (-0,2 %).

Le tonnage global – 68,7 Mt – est en retrait de 4,5 % par rapport à la même période de l’année dernière (58,3 Mt), qui était déjà en repli de 1,5 % par rapport au premier trimestre 2021.

Le 13e port mondial pour les conteneurs derrière Dubaï et devant Port Kelang, paraissait insubmersible pour son trafic-roi, abonné à une croissance sans rupture depuis 2014. Mais il subit toujours l’épreuve du feu, campé sur une ligne de fuite depuis 2021. Durant les trois premiers mois de l’année, les volumes de boîtes ont encore dévissé de 6,6 % en tonnes (33,8 Mt) et de 5,7 % en EVP (3,1 MEVP), par rapport au premier trimestre de l'année 2022 (2,73 MEVP), qui accusait déjà une baisse de 11,6 % en unités de vingt pieds.

Hub d’élection des grandes alliances maritimes, l’éternel challenger de Rotterdam a été, ces deux dernières années, malmené par la valse des escales (MSC, son principal client lui ayant d’ailleurs préféré des ports voisins, dont Le Havre), la congestion généralisée, le nombre élevé de callsizes [nombre de conteneurs déchargés par les navires].

Les difficultés opérationnelles dans les terminaux à conteneurs et la congestion se sont pourtant atténuées depuis le troisième trimestre de l'année 2022. « Mais l'incertitude économique et l'inflation ont entraîné un ralentissement mondial de la demande de transport par conteneurs et l'annulation de traversées, notamment en provenance d’Asie. Le conflit persistant en Ukraine a généré une baisse de deux tiers du trafic lié à la Russie par rapport à la même période de l'année dernière », expliquent les services portuaires.

Une bonne nouvelle toutefois. En mars, MSC a réinvesti Anvers dans son statut de hub pour les liaisons en feeders de/vers la Grande-Bretagne. Le port belge avait été écarté l’an dernier, notamment en raison de sa congestion, et Le Havre avait concentré tous les transbordements. Anvers a profité en outre des derniers aménagements de ligne de l’armateur suisse, notamment pour ce qui concerne son offre intra-européenne dont le port belge est un élément central en Europe et MSC via Sealand Europe & Med est leader en termes de capacité déployée avec une part de marché de 32,6 % (source Alphaliner).

La tendance à l'augmentation de la taille des porte-conteneurs, qui devrait se confirmer dans les semaines à venir avec les escales des MSC Tessa (24 116 EVP), OCCL Spain (24 188 EVP) et MSC Loreto (24 346 EVP), conforte la direction dans la modernisation et l'approfondissement du terminal Europa.

Les travaux sur le premier terminal à marée de conteneurs du port belge, mis en service en 1990 et exploité par le manutentionnaire singapourien PSA, ont été lancés en octobre. Un chantier de 335 M€, prévu pour durer neuf ans et qui permettra de traiter simultanément deux porte-conteneurs de dernière génération.

Bien que les échanges de GNL aient explosé au cours des trois premiers mois de l’année (+ 23,3 % à Anvers), pour pallier le gaz naturel acheminé par pipelines depuis la Russie, le segment des vracs liquides ne se distingue pas davantage mais reste au-dessus du seuil de flottaison. Les flux de gazole et de fuel ont cependant progressé. Les produits chimiques se redressent un peu par rapport au dernier trimestre de l'année, alors que les prix élevés de l'énergie avaient entraîné une baisse ou des arrêts de production, mais restent inférieurs de 21,3 % au record du premier trimestre de l'année dernière.

Le conventionnel repart à la baisse (- 19,8 %, 2,5 Mt) par rapport à un premier trimestre 2022 dopé par la forte reprise « après la calamité », selon les termes de la direction pour qualifier l'épidémie. ​La diminution de la demande d'acier, qui se matérialise par une chute de 21,9 %, en entrées et en sorties, n’y est pas étrangère.

Avec 3,9 Mt, le vrac sec est aussi à la peine (- 7,3 %). Il faut relier cette sous-performance à son trafic phare, les engrais, dont la demande a chuté de 26,4 % au cours du premier trimestre. En revanche et sans surprise, la forte demande de charbon pour la production d'électricité du fait des problématiques autour du gaz s'est traduite par un trafic près de trois fois supérieur à celui de la même période de l'année dernière.

La hausse de 7,2 % du nombre de voitures neuves expédiées n’a pas changé la donne pour le trafic ro-ro (- 0,2 %, 5,4 Mt) mais il traduit la puissance du Port of Antwerp-Bruges, plaque tournante intercontinentale pour le trafic de voitures, ses terminaux cumulant une superficie de plus de 974 ha et une capacité de stationnement de 365 000 unités.

La filière a été tirée vers le bas par le fret non accompagné (à l'exclusion des conteneurs). À noter toutefois, la part des volumes liée au Royaume-Uni en baisse 5,6 % tandis que le trafic à destination et en provenance d'Irlande en hausse de 14,2 %.

« Malgré ces chiffres décevants, les perspectives pour l'année 2023 restent positives. La baisse des prix de l'énergie, l'amélioration de l'économie chinoise et les signes de reprise du marché du conteneur nous rendent confiants. ​ De plus, la complémentarité des deux plateformes portuaires nous permet de mieux répondre aux changements dans les flux de marchandises », rassure Jacques Vandermeiren.

Adeline Descamps

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