D’après tous les organismes recensant les actes de délinquance en mer, la piraterie serait actuellement à son plus bas niveau historique, résultant de la baisse des signalements au large des côtes de l'Afrique de l'Ouest.
Seuls 19 actes de cas de piraterie et de vols à main armée contre des navires ont été signalés dans le golfe de Guinée en 2022 comparativement aux 35 en 2021.
En revanche, un foyer qui s’était apaisé ces dernières années a repris, atteignant son plus haut depuis sept ans. Dans le détroit de Singapour – où les frontières de l'Indonésie, de la Malaisie et de Singapour se croisent –, les flibustiers profitent des problèmes de juridiction qui rendent la répression moins effective.
C’est là aussi que la plupart des incidents ont été signalés en mars et avril mais pour des délits qui se « limitent » au vol ou à la tentative de recel.
Recrudescence des attaques
Les derniers événements survenus le long de la côte occidentale africaine font toutefois mentir les derniers rapports et témoignent ainsi d’une menace persistante en dépit des progrès réalisés ces dernières années.
Trois attaques, particulièrement agressives, s'y sont succédé en à peine trois semaines, localisées au sud du Golfe de Guinée, alors qu'elles se concentraient davantage jusqu'alors le long des côtes très sensibles du Nigeria. La politique de fermeté développée depuis 2021 par le leader de l'économie africaine n'est pas étrangère au déplacement des polarités, la piraterie se réinventant sans cesse.
Six enlèvements sur le Monjasa Reformer
L’une des dernières manifestations, sur le Monjasa Reformer, abordé le 25 mars au large du port de Pointe-Noire, au Congo, s’est soldée par une prise d’otage de six des seize membres composant l’équipage. Ils viennent à peine d’être libérés après cinq semaines de captivité.
La compagnie reste très discrète sur les conditions de la libération, effective le 8 mai, et n'a pas davantage précisé si une rançon avait été payée. Le navire avait été arraisonné alors qu'il était à l'arrêt, puis avait disparu des radars avant d'être repéré par les forces de sécurité cinq jours plus tard au large de Sao Tomé et Principe par un drone de la marine française.
Lorsque le patrouilleur français Premier Maitre L'Her (la marine française participe à la coopération régionale pour lutter contre la piraterie) a pu atteindre le navire, les pirates s'étaient enfuis, séquestrant six marins.
Trois marins pris en otage sur le Grebe Bulker
L’incident du Monjasa Reformer, premier incident signalé de l’année avec enlèvement, a été suivi la semaine dernière par l'enlèvement de trois membres d'équipage du Grebe Bulker, un vraquier géré par Eagle Bulk Ship Management et battant pavillon des Îles Marshall.
Le navire se trouvait au large du Gabon lorsqu'il a été abordé. Trois des 17 marins, dont le capitaine, ont été également pris en otage. Les informations à son sujet sont encore rares.
D’après les données de suivi du navire, il a fait escale à Lagos puis à Port Harcourt, au Nigeria, d'où il est reparti le 29 avril. Il était au mouillage d'Owendo, au large du Gabon, depuis le 30 avril en attente de sa prochaine mission.
D'autres attaques ont eu lieu dans un temps serré, notamment contre des pétroliers, ce qui fait dire aux sociétés spécialisées dans le risque maritime que les attaques seraient surtout motivées par la cargaison, le pétrole donc, et non par la quête de rançon.
Demande d'une réaction politique internationale
L’exploitant du navire, Monjasa Chartering, rejoint ceux qui, victimes ces dernières années d'assaillants, sollicitent une réaction politique internationale conjointe « pour faire face à ces problèmes une fois pour toutes », a déclaré la compagnie dans son communiqué. La société demande « instamment que des voies de passage et des zones sûres soient créées sous l'égide d'une coalition internationale ».
D’autant que le groupe n’en est pas à sa première attaque. En octobre 2018, le pétrolier Anuket Amber, affrété par Norbulk Shipping, a également été attaqué dans les mêmes eaux, en même temps que le remorqueur Ark Tze. Douze membres d'équipage au total ont été séquestrés pendant plus de deux mois avant d'être libérés en janvier 2019.
Demande d'un recours militaire
Cette recrudescence intervient après une accalmie des agressions contre les navires de commerce dans cette région bordée par 6 500 km de côtes, du Sénégal à l'Angola.
Les actions pirates avaient été particulièrement violentes en 2021 si bien que 120 compagnies maritimes avaient sollicité un recours militaire.
Au cours d’un assaut cette année-là, quatre pirates avaient été tués, marquant une rupture dans la façon de gérer ce fléau.
En 2021, aussi, la Haute cour fédérale de Lagos a envoyé un signal fort en condamnant dix pirates nigérians à douze ans de prison pour le détournement d’un navire chinois dans le golfe de Guinée en mai 2020.
Le Nigeria, principale source présumée de pirates, s’est doté d’un budget de 195 M$ à la mi-2021 pour s'attaquer au problème.
Une reprise inquiétante
En 2022, selon le rapport annuel sur la piraterie de l'Organisation maritime internationale (OMI), 131 incidents ont été signalés, 24 % de moins que l'année précédente et plus bas niveau mondial depuis 1995. Entre 2016 et 2020, 203 actes ont été rapportés en moyenne chaque année.
Les prises d’otage ont également diminué de moitié l'an dernier par rapport à l'année précédente, au nombre de 24, principalement dans les eaux ouest-africaines.
La baisse s'est poursuivie au premier trimestre 2023. Selon le Bureau maritime international (BMI), organisme de lutte contre la piraterie, il n'y avait eu « que » 27 attaques au cours du premier trimestre, contre 37 au cours de la même période l'année dernière.
Toutefois, près de 39 attaques ont été enregistrées sur les seuls mois de mars et avril, selon les données de Lloyd's List Intelligence.
Adeline Descamps
Évolution de la piraterie par régions
Golfe de Guinée
Les incidents signalés sont passés de 82 en 2018 à 84 en 2020, 35 en 2021, puis à 19 en 2022. Cependant, lla région reste dangereuse, comme en témoignent le détournement de deux navires, avec 29 membres d'équipage retenus en otage l’an dernier.
Océan Indien
Au 1er janvier 2023, la zone à haut risque (ZHR) de l'océan Indien a été supprimée, ce qui témoigne d'une nette amélioration de la situation. Près de 15 ans d'efforts de collaboration ont été nécessaires pour venir à bout du phénomène. Aucune attaque de piraterie contre des navires marchands n’a été signalé au large de la Somalie depuis 2018. Ce qui ne signifie pas qu’elle ait disparu.
Détroit de Singapour
Le rapport annuel du CSI de la ReCAAP (2022) confirme les données de l'OMI et du BMI : 55 incidents signalés dans le détroit de Singapour sur les 84 référencés en Asie par rapport à l'année 2021. La majorité se sont produits la nuit, ciblant les vraquiers et les pétroliers.
Dans 58 % des cas, il n'y a pas eu d'usage d’armes. Le rapport indique notamment que les agissements sont opportunistes par nature, sans intention de nuire à l'équipage. Leur principal objectif est de voler des objets sur les navires et de s'enfuir si possible sans même se faire remarquer par l'équipage.
Toutefois, au cours du premier trimestre de cette année, le BMI, qui y a recensé 30 % des incidents signalés pour la région de l'Asie du Sud-Est avec 18 cas enregistrés, la violence était plus marquée avec usage de couteaux.
La contrebande de cocaïne n’est pas sans lien avec la montée de la piraterie maritime
Selon le rapport mondial sur les drogues de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), la production de cocaïne a atteint un niveau record en 2020, augmentant de 11 % par rapport à 2019 pour atteindre 1 982 t. Les saisies de cocaïne ont également augmenté pour atteindre un record de 1 424 t en 2020, dont près de 90 % ont été acheminées par conteneurs et/ou par voie maritime.
Les ports participant au programme de contrôle des conteneurs (CCP) de l'Onudc ont saisi 271 t de cocaïne en 2022, soit 100 t de plus qu'en 2021.
Le mode opératoire le plus courant pour la contrebande de drogues dans les conteneurs est la méthode « rip-on/rip-off », par laquelle la cocaïne est chargée dans l'unité de chargement au port de départ et est récupérée au port de destination à l'insu ou sans la coopération de l'expéditeur, du destinataire ou du transporteur. Cette méthode nécessite la corruption aux deux extrémités et implique la falsification des scellés d'origine.
On constate également une augmentation notable du nombre de cas impliquant des vraquiers avec la marchandise illicite cachée dans la cargaison en vrac, dans les espaces vides ou fixée à la coque du navire. Europol vient de produire un rapport détaillant par le menu toutes les méthodes du trafic (maritime) de drogue.
Lire à ce sujet : Comment la criminalité organisée s'est infiltrée dans les ports européens