Transport maritime de pétrole et de GNL : un changement de donne dans la politique des sanctions ?

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Le transport maritime de pétrole et de gaz est un autre segment susceptible d’être affecté la nouvelle donne aux États-Unis. Le retour de l'ancien président à la Maison Blanche a très vite été assimilé à des changements significatifs dans la politique des sanctions à l'égard de la Russie et de l'Iran. Mais Trump or not Trump, les marchés pétroliers ont actuellement un autre souci : la faiblesse chinoise.    

Trump or not Trump, les marchés pétroliers ont actuellement un autre souci majeur. Il est à l’Est. Les importations énergétiques chinoises sont en chute libre. La seconde puissance mondiale, qui peine à trouver un élan de croissance en dépit du lancement successif de mesures de relance pour choquer son économie, a enregistré en octobre la sixième baisse consécutive de ses entrées en octobre, soit 44,7 Mt, équivalant à 10,53 millions de barils par jour (b/j) contre 11,53 millions en octobre de l'année dernière. Pour les dix premiers mois de l'année, le repli atteint les 420 000 b/j.

Dans son dernier rapport mensuel, l'Opep, l'organisation des pays exportateurs de pétrole, qui retient toujours ses volumes pour maintenir les prix du pétrole à un niveau si possible élevé, a revu légèrement à la baisse ses estimations de croissance de l'or noir. Le monde devrait consommer 104,03 millions de barils par jour (Mb/j) en 2024, contre 102,21 millions en 2023. En revanche, le cartel a ramené la demande portée par la Chine à 580 000 bpj, alors qu'elle tablait sur 760 000 bpj dans son rapport de juillet. Ce qui semble encore disproportionné par rapport à la réalité des importations chinoises (à ne pas confondre toutefois avec la demande, qui comprend également la production intérieure de brut et les variations des niveaux de stocks). L'imposition de droits de douane à la Chine, comme l’envisage le futur président américain, pourrait aggraver la situation économique de la seconde puissance économique mondiale.

Une activité déprimée en Chine

Les inquiétudes concernant la croissance de la demande de pétrole en 2025 sont de plus en plus vives. Jusqu'à présent, les tarifs des transporteurs de brut et de produits pétroliers restent exploités au-delà du seuil de rentabilité bien qu'inférieurs aux attentes. Et la faiblesse des bénéfices au troisième trimestre ne fait plus de doute.

« Du point de vue des taux spot, le ralentissement saisonnier a entraîné des révisions à la baisse des estimations du troisième trimestre et un ralentissement de la montée en puissance des taux plus élevés hypothèque les résultats du quatrième trimestre », indique Jefferies. Clarksons a de son côté réduit d'environ 12 % ses estimations des taux spot pour les pétroliers en 2025 tandis qu’Evercore ISI a revu à la baisse de 18 % les siennes, de 10 % pour les tarifs moyens de suezmax l’an prochain et de 24 % pour les transporteurs de produits pétroliers MR.

Le GNL à la peine

Le transport maritime de GNL est de loin le plus en souffrance avec des taux spot pour les navires à moteur diesel tri-carburant à seulement 20 300 $ par jour ($/j) et à 35 000 $/j pour les moteurs à deux temps, en baisse de 56 % et 42 %, respectivement. Très loin de leur moyenne quinquennale à cette période de l'année, qui se situe à environ 200 000 $/j.

Le segment est pénalisé par l'afflux de livraisons qui intervient avant le démarrage des projets de liquéfaction tandis que le défaut de l'activité typique de stockage flottant avant l'hiver manque cruellement.

Selon Clarksons, « les tarifs des méthaniers continuent de défier la saisonnalité normale. Malgré des niveaux d'activité relativement sains, les marchés à l'Ouest [de Suez] sont à des niveaux historiquement bas et les courtiers s'attendent à une pression supplémentaire sur les taux en raison de l'offre excédentaire et des opportunités d'arbitrage limitées. Le marché à l'Est reste également en tension avec des activités minimales. »

Pression sur le brut iranien

Le retour de l'ancien président à la Maison Blanche a très rapidement été assimilé à un changement de donne dans les rapports de force et les tensions géopolitiques en cours : notamment un règlement manu militari de la guerre en mer Noire, de la crise sécuritaire (houthie) en mer Rouge et une application plus stricte des sanctions à l’égard de l’Iran, ennemi préféré de Donald Trump.

À peine élu pour un premier mandat, Donald Trump avait dénoncé l’accord multilatéral de 2015 signé entre l’Iran et le groupe 5+1 (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie). Entré en vigueur début 2016, le JCPOA avait mis un terme à un vieux contentieux sur le nucléaire et devait garantir le caractère civil du programme nucléaire iranien en soumettant la République islamique à un strict contrôle de ses activités en contrepartie de la levée partielle et progressive des sanctions économiques internationales.

Le Donald Trump de 2017 avait aussi interdit toutes relations d'affaires et échanges commerciaux entre les deux pays dans le domaine des opérations portuaires, du transport maritime, de la construction navale et de négoce de pétrole. Des sanctions en vigueur depuis novembre 2018.

Pendant sa campagne, le Républicain a déclaré à plusieurs reprises que la politique du président Joe Biden, consistant à ne pas appliquer rigoureusement les sanctions sur les exportations de pétrole, avait enhardi Téhéran, lui permettant d'écouler son pétrole sur les marchés étrangers, d'amasser des dévises et de financer ses activités nucléaires et son « influence par l'intermédiaire de milices armées » [lesquelles est le soutien armé des Houthis, faut-il lire, NDLR].

Les exportations de brut iranien auraient atteint en 2024 leur niveau le plus élevé depuis des années en 2024, dont la Chine, qui ne reconnaît pas les sanctions américaines, est le plus gros client. Selon Reuters, citant un analyste d’Energy Aspects, une pression maximale sur l'Iran pourrait conduire à une diminution d'un million de barils par jour de ses expéditions. ClearView Energy Partners, un groupe de recherche, a estimé que 500 000 à 900 000 barils par jour pourraient être retirés du marché.

Les hypothèses formulées veulent qu’en réduisant les flux de pétrole en provenance de ce pays, les exportations de brut saoudien seraient favorisées. Selon un autre postulat, l'Arabie saoudite pourrait se lasser de céder des parts de marché et commencer à exporter beaucoup plus de pétrole alors que l'offre du bassin atlantique augmente simultanément, ce qui entraînerait un contango et un stockage flottant. Ce serait alors un avantage pour les très grands transporteurs de pétrole, les VLCC d’une capacité de plus de 2 millions de barils.

Allègement des sanctions russes ?

Les spéculations prêtent en outre à la nouvelle administration Trump un plus grand souci des intérêts russes. Le futur président a promis de régler la guerre en Ukraine avant même d'entrer en fonction en janvier. Des informations ont fuité la semaine dernière dans la presse américaine sur son fameux plan pour sortir de l’impasse russo-ukrainienne. Selon ces révélations, il prévoit la création d’une zone tampon dont la sécurité serait assurée par les armées européennes avec un soutien logistique américain.

En contrepartie, Volodymyr Zelensky devrait renoncer à son intégration à l’Otan pendant au moins 20 ans et faire une croix sur la Crimée. Le président ukrainien n’est pas non à l’abri d’un accord bricolé dans son dos entre les deux présidents qui semblent partager une certaine idée du monde. Ce que les autorités européennes redoutent.

La fin ou l’allègement des sanctions russes ne serait pas forcément une bonne nouvelle pour le marché des pétroliers dont les tonnes-milles se sont allongées avec la reconfiguration des flux de pétrole et de gaz dans la foulée de la guerre. La fin du plafonnement des prix du pétrole (les navires sont autorisés à transporter du brut si le prix du baril est inférieur à 60 $), pourrait en revanche dégonfler la flotte de navires clandestins qui a presque triplé de taille depuis le début de guerre, pour atteindre les 670 unités selon des données divergentes. Les sanctions contre le transport maritime russe ont été le principal moteur des achats de seconde main de vieux pétroliers.

Enfin, les sanctions européennes et britanniques ne seraient pas pour autant levées quand bien même l'étau américain serait desserré.

Approche « drill, baby, drill »

Selon le courtier britannique Braemar, l'engagement « drill, baby, drill » de Donald Trump (en clair, en faveur de l’exploration pétrolière et gazière) stimulera la production, tandis que l'augmentation probable du nombre de pétroliers sanctionnés devrait réduire l'offre en capacités.

Le président, en poste le 20 janvier, n’a pas encore précisé si sa « taxopathologie » douanière allait concerner le brut, ce qui serait préjudiciable aux marges des raffineurs américains qui traitent le pétrole importé.

Quoi qu’il en soit, pour la plupart des analystes, des mesures de rétorsion seront à prévoir. « Cela signifie que le GNL américain, tout comme le pétrole brut et le charbon, pourrait coûter plus cher que les produits de substitution, ce qui obligerait les producteurs américains à réduire leurs prix pour rester compétitifs ou à espérer que leurs produits ne soient pas frappés de droits de douane », résume l’un d’entre eux.

Adeline Descamps

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