Plus de 500 navires commandés avec des carburants alternatifs en 2023

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Stena Germanica

Le port suédois de Göteborg a opéré en janvier 2023 le premier avitaillement en méthanol en ship-to-ship sur le Stena Germanica, le premier ferry au monde fonctionnant au méthanol.

Le grand saut vers l'inconnu décarboné est enclenché. Et les exploitants de navires ont visiblement intégré les futures échéances réglementaires. Près de la moitié des navires commandés l'année dernière sont capables de naviguer avec des carburants alternatifs. Les combustibles verts seront-ils disponibles ? Pas vraiment.

L’année 2023 restera un marqueur pour la décarbonation du transport maritime sur le plan des arbitrages avec à la fois la décision européenne d’intégrer progressivement le secteur dans le système communautaire d’échanges d’émissions, réglementation effective depuis ce 1er janvier, et l'adoption par l'OMI d'un engagement en faveur de l'objectif « zéro émission » à horizon 2050.

La 80e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC), qui s’est tenu en juillet dernier, a actualisé la stratégie arbitrée en 2018 dont l’objectif de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre à horizon 2050 (par rapport à 2008) était hors sol par rapport à ceux de l’accord de Paris sur le climat. L'OMI a validé le principe d'une flotte zéro émission.

Il reste à définir des « mesures à moyen terme » pour atteindre les objectifs révisés, à savoir une tarification du carbone, dont la forme reste à déterminer mais dont le principe est plus ou moins acté, ainsi que tout ce qui peut inciter à l’usage des carburants verts, vertueux mais coûteux, dont il faut réduire l’écart de compétitivité avec les actuels combustibles de soute basés sur le pétrole, « sales » mais pas chers. Un dossier herculéen qui va animer au moins les cinq prochaines sessions du Comité de la protection du milieu marin (MEPC) d'ici l'automne 2025.

Côté européen, depuis le 1er janvier, le transport maritime est entré dans sa première année au sein du SCEQE, le système communautaire d'échange de quotas d'émission, qui concernait jusqu'à présent les secteurs à forte consommation d'énergie, tels que la production d'électricité et les industries.

Concrètement, le mécanisme vise à fixer une limite ou un plafond aux émissions de gaz à effet de serre (GES). Chaque année, un nombre de quotas européens (EUA) sera mis à disposition des échanges sur le marché dont le volume sera réduit progressivement afin que l'UE atteigne son objectif de réduction des émissions de GES de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990, et de zéro net d'ici 2050.

Il a été convenu que les compagnies maritimes devront soumettre des quotas équivalents à 40 % de leurs émissions en 2024 puis à 70 % en 2025 avant de couvrir la totalité en 2026. Ces règles concernent dans un premier temps les navires de charge et de passagers de plus de 5 000 de jauge brute (GT). 

Éviter les fuites de carbone

La totalité des émissions générées lors des voyages et des escales au sein de l'UE et de l’Espace économique européen (EEE, États membres de l'UE + Islande, Liechtenstein et Norvège) ainsi que 50 % des émissions lors des voyages à destination ou en provenance de l'UE/EEE, seront soumises au SCEQE.

Afin d'éviter les « fuites de carbone », les porte-conteneurs escalant dans des ports de transbordement situés en dehors du périmètre mais à moins de 300 milles nautiques (550 km) d'un port de l'UE/EEE seront tenus d’inclure la moitié des émissions jusqu'à ce port, plutôt que de se limiter au court trajet depuis le port de transbordement.

Un coût inévitablement répercuté

OceanScore estime que le SCEQE pourrait représenter un coût pour le transport maritime de l'ordre de 8 à 10 Md€ par an, une fois le système pleinement mis en œuvre en 2026, après une période d'introduction progressive de trois ans, en fonction d'un prix de marché fluctuant, qui est actuellement d'environ 90 € pour une tonne d'équivalent CO2.

La répercussion des coûts est inévitable et les événements en mer Rouge, qui
contraignent les navires à passer par la pointe de l’Afrique pour éviter le Canal de Suez, allongeant la route de 3 à 4 000 milles, va alourdir l’empreinte carbone (cf. les calculs réalisés par SeaRoutes à la demande du JMM). Paul Canessa, vice-président de Searoutes s’attend à ce que les alliances modifient leurs itinéraires pour intégrer une nouvelle escale en dehors de la zone couverte par le SCEQE de façon à réduire la distance entre le dernier port d'escale, extérieur à l’Europe, et un port de l'UE, et ainsi d’alléger la facture carbone.

Source : Clarksons
Crédit photo : ©Pixel/Tema Agence pour le JMM

Haro sur les navires alternatifs

À en juger par le carnet de commandes, les nouvelles normes réglementaires commencent à être assimilées, de nombreuses compagnies maritimes ayant donné le coup d'envoi du renouvellement de la flotte verte.

En 2023, 539 navires ont été commandés avec une motorisation intégrant des carburants alternatifs, indique un nouveau rapport de Clarksons. Soit 45 % de toutes les commandes mesurées en tonnage.

Selon ce rapport, la plus grande part des commandes a concerné une double motorisation avec le GNL (220), le méthanol (125), le GPL (55) et plus modestement l'ammoniac (4 navires concernés).

Il existe en outre des disparités selon les segments. Ainsi 83 % du tonnage des nouveaux porte-conteneurs commandés en 2023 sont bicarburants et 90 % si l'on inclut ceux qui ont été configurés pour l’être ultérieurement (les « ready for »). Ce pourcentage atteint les 79 % pour les transporteurs de voitures. En revanche, selon le courtier, les commandes de vraquiers et de pétroliers ont été peu nombreuses.

En tenant compte de la part des navires qui seront envoyés à la casse, un quart de la flotte mondiale (en capacité) pourrait ainsi être alimenté par des carburants alternatifs d'ici 2030.

D'autres solutions technologiques ont été plébiscités, comme la capture du carbone à bord. Clarksons dénombre 31 navires qui testent actuellement la technologie et 22 autres en commande.

Résistance du fuel

Pour autant, le fuel à haute teneur en soufre n’a pas dit son dernier mot. L’an dernier, 420 navires de la flotte en exploitation ont installé un dispositif d’épuration des gaz de cheminée, qui leur permet de consommer du HFO sachant que l’écart de coût avec son pendant moins soufré (le VLSFO) est encore de 155 $ (à Singapour et de 100 $ à Rotterdam). Plus l’écart entre les deux combustibles (appelé Hi5) est grand plus l’investissement dans le scrubber est pertinent et rapidement amorti.

Les navires équipés de scrubbers représentent à ce stade environ 27 % du tonnage mondial, et plus de 320 nouvelles constructions ont été commandées l’an dernier avec le système.

Porte-conteneurs, premiers de la classe verte

L'OMI vise à ce que les carburants à émissions de gaz à effet de serre quasi nuls représentent au moins 5 % de l'énergie utilisée par le transport maritime en 2030, « tout en s'efforçant d'atteindre 10 % ». Actuellement, selon le Bimco, seul 1 % de navires sont prêts à brûler des carburants alternatifs, soit 2 % de la capacité (en port en lourd) de la flotte mondiale tandis que 4 % de la capacité sont configurés (« ready for ») pour que les navires, moyennant un léger retrofit, puissent basculer sur un carburant alternatif.

Avec 5 % des navires de la flotte et 55 % du carnet de commandes « ready for », le secteur des conteneurs devrait atteindre la part la plus élevée pour l'utilisation de combustibles verts. Une fois le carnet de commandes livré, au moins 23 % de la capacité de port en lourd sera en mesure de consommer des énergies alternatives contre 7 % pour les pétroliers et moins de 4 % pour les vraquiers, toujours selon le Bimco.

Les carburants verts seront-ils disponibles ?

D'après une autre étude publiée également par Clarksons Research, il n'y a actuellement que 10 sites dans le monde en mesure d’offrir un service de soutage au méthanol tandis que 11 autres sont en cours de développement. En revanche, en ce qui concerne le GNL, le carburant alternatif le plus plébiscité aujourd'hui, la chaine d’avitaillement est largement plus développée avec 188 infrastructures et 82 en projets.

Cosco, CMA CGM et Shanghai International Port Group ont signé un protocole d'accord en avril pour qu’il soit possible d’acheter, fournir et livrer du méthanol vert dans les principaux ports chinois.

Avant cela, en mars, Maersk s’était aussi engagé avec SIPG à « explorer » les possibilités d’avitaillement en méthanol vert de ses porte-conteneurs qui arriveront en 2024.

Des initiatives portuaires encore rares

Au niveau portuaire, plusieurs initiatives ont été médiatisées l’an dernier. Singapour, premier hub de soutage au niveau mondial, s’est engagé dans un projet pilote visant la fourniture de méthanol vert avec Maersk Oil Trading, Mitsui & Co, Mitsui & Co Energy Trading Singapore, et l'American Bureau of Shipping.

À Melbourne, plus grand port à conteneurs d'Australie, l’autorité portuaire a signé en avril un accord avec Maersk, Svitzer Australia, ANL (filiale de CMA-CGM), Stolthaven Terminals et les producteurs de carburant HAMR Energy et ABEL Energy, afin d'étudier la faisabilité commerciale de l’installation d’un centre de ravitaillement de méthanol vert.

Le port suédois de Göteborg a opéré en janvier 2023 le premier avitaillement en méthanol en ship-to-ship sur le Stena Germanica, le premier ferry au monde fonctionnant au méthanol. Il était prévu qu’Inter Terminals Sweden (ITS) développe une infrastructure d'ici la fin de l'année 2023. Stena Bulk, autre filiale d de l’armateur suédois, s'est de son côté associée au producteur de méthanol Proman et a réalisé son premier avitaillement en méthanol de barge à navire sur la côte américaine du Golfe du Mexique dans le port de Houston en avril.

Adeline Descamps

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