Quelques mois avant la promulgation de la réglementation (IMO2020) sur le plafonnement de la teneur en soufre dans les carburants, qui devait faire basculer la flotte mondial du bon vieux HFO, fuel lourd, vers le VLSFO, bien moins soufré, les mêmes craintes sont apparues : y aura-t-il suffisamment de carburant pour tout le monde ? Combien va-t-il coûter. Tous les Cassandre ont dû ravaler leurs angoisses. Aucun argument n'a tenu le choc. Le pétrole a coulé à flot.
À chaque entrée dans l'inconnu, les mêmes peurs surgissent. L'adoption en 2022 d'une zone Seca (zone d'émissions contrôlées de dioxyde de de soufre) pour la Méditerranée, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2025, charrie son lot de questions anxiogènes.
Les ONG, elles, n'en ont cure, refusant de se satisfaire d'une seule zone Seca. Un appel, signé par des organisations allemande, italienne, grecque, espagnole et française, a été lancé le 18 octobre à Livourne dans le cadre d’une conférence sur la pollution de l’air issue du transport maritime, pour demander l'activation d'une zone de réglementation visant cette fois les oxydes d’azote (Neca).
Augmentation des taux de fret
À compter de 2025, la teneur maximale en soufre du combustible consommé passera de 0,5 à 0,1 %, sauf si le navire est équipé d'un système d'épuration des gaz d'échappement (scrubber). Dans une de ses dernières notes hebdomadaires, le courtier Gibson anticipe une augmentation des taux de fret pour les cargaisons à destination de la Méditerranée, une fois la Méditerranée devenue une zone de contrôle des émissions (ECA). « Les marchés du transport maritime ne sont pas indifférents aux zones d'émissions contrôlées (ECA) », indique le courtier, s'appuyant sur les retours d'expérience de l'établissement d'une ECA aux États-Unis, dans la Baltique et en Europe du Nord. « L'entrée en vigueur des précédentes réglementations comme l'IMO2020 a démontré que les raffineries et les fournisseurs de soutes étaient capables de s'adapter mais il y aura des implications, à la fois en termes de prix des combustibles et de flux de marchandises à l'intérieur et à l'extérieur de la région », estime Gibson.
Un écart de 200 $
Selon la société, la demande actuelle de carburants en Méditerranée est estimée à environ 21,5 Mt, dont plus de 50 % pour du VLSFO (à 0,5 %). Selon les données de Marine and Energy Consulting, la demande de VLSFO pourrait tomber à environ 6 Mt par an, au profit du MGO à 0,1 %. En théorie, la demande de fuel lourd (3,5 % de teneur en soufre) devrait rester stable, demande portée par les navires équipés de scrubbers bien que certains systèmes sont incapables de réduire la teneur en à 0,1 %.
Depuis le début de l'année, à Gibraltar, le MGO à 0,1 % a atteint en moyenne 798 $/t contre 590 $ pour le VLSFO (+ 35 %), « ce qui devrait se traduire par des taux de fret plus élevés et, pour les pétroliers, par des taux forfaitaires Worldscale probablement plus élevés en temps voulu ». L'ECA pourrait également avoir des répercussions sur les volumes de produits raffinés en intra-zone. « Une baisse de la demande de VLSFO est inévitable. Dans le même temps, la Méditerranée devrait voir son déficit structurel en gasoil se creuser et y pallier par de l'importation des États-Unis et du Moyen-Orient. »
Parallèlement, la demande de soute dans la région devrait être également affectée par la prochaine législation FuelEU qui impose une réduction de 2 % de l'intensité des gaz à effet de serre (GES) à partir du 1er janvier 2025. « Même si l'impact initial sera faible, une partie de la demande se déportera des carburants conventionnels vers des alternatives plus écologiques », estime le courtier.
Adeline Descamps