L'incertitude sera le combustible clé du marché des pétroliers en 2025 avec Donald Trump en joker géopolitique

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Droits de douane de 10 % sur les exportations de pétrole brut américain et de 15 % sur celles de GNL et de charbon, la Chine, qui se rue depuis deux ans sur les origines russe, iranienne et vénézuélienne, n'a pas la main qui tremble face à Donald Trump qui a la main légère sur les décrets. Bras de fer commercial et de production, issue de la guerre en mer Rouge et Noire...l'avenir est très incertain pour les pétroliers. Avec toujours risque de hausse à court terme.  

« Choppy waters » en 2025 pour les marchés pétroliers et gaziers, du raffinage à la production en passant par le transport maritime. Les navires-citernes vont être rudoyés par la faiblesse de la demande en général et de celle de la Chine en particulier, mais aussi par les impacts difficilement prévisibles des sanctions débitées au pas de charge par le tempétueux Donald Trump et un rapport offre-demande bien moins favorable.

Le contraste est saisissant avec les dernières années au cours desquelles cette industrie a bénéficié de l’allongement des tonnes-milles induit par les sanctions envers la Russie et la reconfiguration des flux de pétrole et de gaz qui en découle, le GNL au premier rang (GNL américain vers l’Europe, gaz russe vers l’Asie, schématiquement). Le secteur recueille également les fruits de son austérité budgétaire avec des livraisons très limitées, entre 80 et 85 navires en 2024, dont un seul VLCC, le plus grand de la classe des pétroliers avec sa capacité de 2 millions de barils. C’est le niveau le plus bas enregistré depuis plus de deux décennies. L'équilibre entre l'offre et la demande est donc plus que confortable mais appelé à changer dès l'année prochaine. Le carnet de commandes de 2026 et 2027 prévoit 32 et 41 livraisons respectivement.

Mais encore, le transport maritime pétrolier a bénéficié de la sortie de son tonnage vieillissant appelé à étoffer la flotte dite noire (dark fleet) car opérant dans des conditions opaques pour contourner les sanctions contre la Russie, l’Iran et le Venezuela. Sur l'ensemble des superpétroliers en service, 35 % ont 15 ans (construits avant 2010) et 16 % plus de 20 ans (construits avant 2005). Au-delà de 20 ans, les navires sont difficiles à assurer sur le marché conventionnel. Mais ces doyens ont rapidement trouvé des employeurs clandestins. Selon les données du courtier pétrolier Gibson, près de la moitié des quelque 200 VLCC de la « flotte fantôme » sont désormais sanctionnés (liste américaine) et 67 % d'entre eux ont plus de 20 ans. En revanche, la médaille a un double revers : « d'importants flux de brut en provenance d'Iran et d'autres fournisseurs sanctionnés ont concurrencé les cargaisons provenant de sources conventionnelles, explique le courtier Gibson.

Pas d'effet d'aubaine en 2024

L’année 2024 aurait pu procurer au secteur un autre effet d’aubaine : le détournement à grande échelle du canal de Suez au cap de Bonne-Espérance. Si la situation a soutenu les pétroliers de produits raffinés, avec des taux pour les LR2 qui ont grimpé en flèche au premier semestre, la seconde partie de l'année a ramené tout le monde à la raison en raison des réflexes pavloviens du transport maritime : « un nombre sans précédent » de navires de brut, suezmax (capacité d’un million de barils de pétrole) et VLCC – le marché dit sale –, a basculé sur ledit « propre » pour profiter de la manne, pesant lourdement sur les taux au second semestre.

Si l'année 2024 se présentait plutôt bien, les prévisions de la demande de pétrole en 2024 ont été constamment revues à la baisse tout au long de l'année, la croissance de la demande chinoise en particulier n'ayant pas répondu aux attentes. L’année s’est terminée avec des taux de fret inférieurs à ceux de 2023 sur la plupart des catégories de pétroliers.

Une demande en baisse de 400 000 b/j

Le marché est percuté par plusieurs facteurs : la Chine a remplacé les barils du bassin atlantique pour les longues distances par du brut sanctionné de Russie, d'Iran et de Venezuela, ainsi que par de l'origine (non prohibée) moyen-Orientale. Soit un manque à gagner à l’import de brut pour les VLCC d'environ 200 000 barils par jour (b/j). Car le brut russe est acheminé vers la Chine et l'Inde à bord de suezmax et d'aframax, tandis que les importations chinoises en provenance d'Iran et du Venezuela transitent par les pétroliers clandestins. Selon les estimations des courtiers, 250 VLCC sont entrés en Chine avec du pétrole sanctionné l’an dernier, soit 20 unités par mois échappant aux pétroliers traditionnels.

L'Opep, qui a maintenu ses réductions de production, et la baisse de la production de brut dans l'Atlantique, principalement au Brésil, n’ont pas non plus aidé le transport maritime de pétrole. Selon des données encore partielles, il pourrait y avoir un manque à gagner de 400 000 barils par jour en 2024 par rapport à 2023. Les exportations sont restées, elles, stables reflétant les taux d'utilisation élevés des raffineries et les réserves du stockage stratégique (RSP), remplies jusqu'au sommet.

Un marché « accro » à la Chine

Les analystes se montraient confiants à l'aube de cette année, estimant que le durcissement des sanctions américains pourrait apporter un salut au segment. Tous ont observé, dès novembre, que « les raffineurs chinois subissent une pression accrue pour réduire leur dépendance au pétrole iranien » si bien qu’en fin d’année dernière, ils ont commencé à acheter ailleurs. Suffisamment pour que les mouvements soient visibles. Mais plus que la volonté de s’aligner sur les sanctions occidentales, la baisse de l’écart de prix entre le brut « officiel » et iranien, notamment, ne peut-elle pas davantage expliquer le phénomène, les donneurs d’ordre asiatiques moins enclins à la prise de risques ?

Autre signal envoyé récemment par le terrain, le Shandong Port Group, opérateur portuaire gérant les ports de Qingdao, Rizhao, Yantai, Dongying, Binzhou et Weifang  – 2,4 millions de barils par jour (Mb/j) traités sur les 3,3 millions importés dans la province en 2024, dont 1,1 million provenaient d'Iran, du Venezuela ou de Russie –, a annoncé qu’il interdirait l’entrée aux navires figurant sur la liste des sanctions de l'Ofac, le bureau de contrôle des actifs étrangers, bras armé du Trésor américain. Ces ports sont identifiés comme des portes d’entrée du brut iranien livré par les navires prohibés à des raffineurs indépendants chinois.

Pékin ne s’est en revanche pas montré très sensible à la rhétorique des sanctions par le passé et l’exécutif chinois vient de le prouver à nouveau, en ripostant à la main légère de Donald Trump sur les décrets avec un droit de douane de 10 % sur les exportations de pétrole brut américain et de 15 % sur les exportations de GNL et de charbon à partir du 10 février. Pour rappel, la Chine est le plus grand importateur mondial des trois produits énergétiques.

L'offre doit aller quelque part

L'optimisme des observateurs de ces marchés est aussi entretenu par les perspectives de la production. L'Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une croissance de l'offre de pétrole (y compris le GNL) aux États-Unis, au Canada, au Brésil, en Guyane et en Argentine de 1,2 Mb/j, « ce qui non seulement compensera le brut nigérian et mexicain supplémentaire retenu pour le raffinage national, mais répondra aussi aux besoins de l'Asie, où les cycles de raffinage devraient augmenter de 500 000 b/j », indique-t-elle.

Même si l’offre n’est pas absorbée par le marché, elle doit « aller quelque part » indique l’analyste américain Fearnleys. « Il faut soit que la demande soit plus élevée que prévu, soit que l'offre de pétrole corrige à la baisse, soit que l'on assiste à un contango et à des possibilités de stockage. Qu'elle force les prix à baisser ou qu'elle soit stockée, il s'agit là de flux supplémentaires potentiels pour le transport maritime ».

Selon les calculs du Britannique Tankers International, la production hors Opep devrait être de l’ordre de 1,6 Mb/j, dont environ 1,3 Mb/j à l'Ouest de Suez alors que la demande est actuellement centrée sur les marchés situés à l'Est de Suez. Ce seul fait pourrait employer 30 à 35 VLCC.

Sanctions contre l'Iran, le salut ?

Mais l’argument qui rend positif reste le durcissement des sanctions contre l'Iran. En contraignant la Chine à s’en détourner, il pourrait déplacer une partie de la demande de barils iraniens vers d’autres origines non sanctionnées et envoyer une part non négligeable de navires clandestins « au chômage ». Ce que vient de faire Trump dans un nouveau décret ordonnant une « pression économique maximale » sur l'Iran, expression au demeurant de l’administration Biden. L'Ofac a immédiatement publié une nouvelle liste d'individus, d'entreprises et de cinq pétroliers supplémentaires après les 35 visés début décembre.

D'après une liste agrégeant toutes les sanctions confondues, 344 LR2/aframax, 149 suezmax et 194 VLCC méneraient des activités illicites, à en juger par les données délivrées par plusieurs sources, mais tous ne figurent pas sur la liste américaine puisque 89 VLCC sont actuellement dans le collimateur de l’Ofac.

« Si la directive de Trump réussit à réduire les exportations de brut de l'Iran aux niveaux observés lors de sa première présidence – environ 400 000 b/j en 2020 contre 1,6 Mb/j en 2024 –, cela pourrait donner un nouvel élan au marché des VLCC à condition que la Chine joue le jeu », indique encore Gibson dans une de ses dernières notes hebdomadaires. « Mais l’impasse actuelle entre les États-Unis et la Chine aura un impact direct limité sur le commerce du brut. La Chine n'a importé que 200 000 b/j des États-Unis l'année dernière et pourrait chercher à remplacer les barils américains par des qualités similaires provenant d'Afrique de l'Ouest, cette région profitant de la prochaine saison de maintenance européenne et de l’arrêt prévu de capacités de raffinage », ajoute le courtier. Les acteurs du secteur des pétroliers se souviennent encore des effets (positifs) des sanctions américaines de 2019 contre les unités de Cosco Shipping Energy, impliqués dans la violation de l'embargo sur le brut iranien.

Il reste aussi à observer l’attitude des raffineurs indiens qui ont indiqué qu'ils continueraient à acheter des barils russes à un prix « raisonnable », malgré les sanctions.

Droits de douane menaçants 

Si les droits de douane avec le Canada et le Mexique ont été ajournés, ils restent une réelle menace. En 2024, le Canada a exporté plus de 4 Mb/j de pétrole brut et 0,55 million de produits raffinés vers les États-Unis, tandis que les exportations du Mexique se sont élevées en moyenne à 580 000 b/j de brut. « Si les droits de douane sont maintenus, il faut s'attendre à une augmentation de la demande de tonnes-milles de pétroliers et à une baisse potentielle des opérations de raffinage des États-Unis, qui ne disposent pas d'accès à la mer. L'incertitude pourrait inciter les deux pays à diversifier leurs exportations de brut, en ciblant les importateurs asiatiques et européens », ajoute encore Gibson.

Quant à la dernière déclaration du président Trump selon laquelle les États-Unis pourraient « prendre le contrôle » de la bande de Gaza et son impact sur le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas palestinien, la reprise des transits en mer Rouge n'aurait qu'un impact marginal, selon les experts. La plus forte baisse serait probablement observée dans le commerce des VLCC du Moyen-Orient vers l'Europe, avec davantage de barils transportés sur des suezmax via le canal de Suez. Plus notables seraient les effets sur la demande de LR2 ? Près des deux-tiers de tous les barils expédiés en 2024 du golfe Persique (brut américain WCI) vers l'Europe ont en effet été transportés par ces navires.

Océan d'incertitudes

Eaux vraiment agitées en 2025. Les incertitudes susceptibles d'éteindre ou d'embraser les taux de fret sont nombreux, entre le ralentissement prévu de la croissance économique mondiale, l'augmentation de la production de l’Opep+, dont faire partie la Russie, au détriment de l'origine américaine, les réactions de la Chine et de l’Inde, l’état des stocks alors que les États-Unis remplissent leur RSP (réserve stratégique de pétrole) « jusqu'au couvercle », la réouverture potentielle de la mer Rouge, l'issue de la guerre en Ukraine... Mais de toutes, Donald Trump reste la principale menace à moins qu'il ne soit un joker géopolitique.

Adeline Descamps

 

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