Les vracs liquides aiguisent les appétits des investisseurs étrangers en Espagne

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Crédit photo ©Vopak
Depuis le début de l’année, plusieurs groupes étrangers ont réalisé, dans la plus grande discrétion, des investissements importants dans des opérateurs espagnols de terminaux de vracs liquides. Compte tenu de leur position géographique, les ports espagnols jouent un rôle clé dans le soutage des navires. Le détournement des navires par le cap de Bonne Espérance n’a fait que renforcer cet atout.

En avril 2024, TFG Marine, filiale du groupe Trafigura, a annoncé une prise de participation majoritaire dans le capital de la société espagnole Vilma Oil Med, qui dispose d’un terminal de stockage (84 000 m3) et d’une barge de soutage basée dans le port de Ceuta, l’une des deux enclaves espagnoles en Afrique du nord. Peu connu en France, ce port est un acteur important ans l’avitaillement en carburant des navires. Avec ses 620 000 t soutés en 2023, il est le numéro quatre en Espagne tandis que Vilma Oil Med approvisionne environ 1 500 navires par an dans le détroit de Gibraltar. Le montant de l’investissement n’a pas été dévoilé.

Le géant suisso-singapourien, qui a affiché 244 Md$ de chiffre d’affaires en 2023, n’en est pas resté là. Le 23 octobre, Trafigura a annoncé l’acquisition effective de 50% des actions de Meroil Tank, filiale de l’opérateur pétrolier catalan indépendant Meroil, et opérateur d’un dépôt de produits pétroliers et de biocarburants d’une capacité de 356 000 m3. Trafigura « reprend » ainsi la participation du russe Lukoil, acquise en 2012 et abandonnée à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de la mise en place des sanctions européennes. La valeur de cette participation de 50 % n’a non plus été divulgué.

Renforcement de la présence néerlandaise

L’autre grande opération de l’année concerne le groupe néerlandais Dekker qui s’est porté acquéreur en mai dernier, via sa filiale Iberia Tank Storage, de la société espagnole Depósitos Portuarios (Deposa), acteur historique du port de Bilbao. Créée il y a plus de 70 ans, Deposa est spécialisée dans l’importation et le stockage sous le régime de franchise douanière d'oléagineux. En 2022, l'entreprise a porté sa capacité de stockage à 32 000 m3.

Le management espagnol de la société a été maintenu et cet été, les travaux ont démarré pour accroître la capacité de 15 000 m3 supplémentaires, portant l'ensemble à 50 000 m3 . Le groupe Dekker n’a pas caché qu’il visait à terme les 100 000 m3. Le tout avec des réservoirs de capacités différentes (2 500 m3 et 1 000 m3) dans une logique de stockage multi-produits et de flexibilité en matière de livraisons.

Le groupe souhaite également étendre son implantation en Espagne et s’intéresse au port de Tarragone (cinquième port en Espagne pour les vracs liquides avec une spécialisation dans les produits chimiques). En aout 2024, il a déposé auprès de l’Autorité portuaire, une demande pour une concession de 16 000 m2 pour le stockage de vracs liquides non-chimiques. Dans l’immédiat, il a noué un accord de partenariat avec Norel, un opérateur déjà présent sur place. À terme, le groupe souhaiterait disposer d’une capacité de stockage de 78 000 m3.

Les projets du groupe Dekker viennent renforcer la présence des groupes néerlandais dans la péninsule. Le groupe Vopak est associé avec le groupe espagnol Exolum dans la société Vopak Terquimsa qui opère deux terminaux à Barcelone et à Tarragone (capacité totale : 660 000 m3). En juin 2023, la société a lancé l’extension de son terminal de Tarragone : 37 000 m3 supplémentaires dédiés aux produits chimiques, soit une capacité finale prévue de 484 000 m3. Un autre acteur néerlandais, Evos, dispose d’un terminal dans le port d’Algésiras, racheté à Vopak en 2020 (capacité de 403 000 m3).

Désengagement tricolore

Cet engouement des acteurs étrangers contraste avec les stratégies des groupes français. En 2020, Rubis Terminal, une joint-venture entre le groupe français Rubis (55 % du capital) et le fonds d’investissement I Squared Capital (45 %), avait racheté au français Pétrofrance la société espagnole Tepsa, opérateur de quatre terminaux (Barcelone, Bilbao, Tarragone et Valence), qui totalise 912 000 m3 dédiée au stockage de produits chimiques et pétroliers et de biocarburants. Depuis 2020, la société s'est développée en s'implantant dans le port de Huelva, qui sera opérationnelle en 2027, et en développant ses terminaux en Catalogne.

En raison d'un changement de stratégie, la participation de 55 % dans Rubis Terminal a été soldée par la cession à Squared Capital qui se retrouve en contrôle absolu de cette société rebaptisée Tepsa. Le fait qu’un fonds d’investissement dépense une telle somme (375 M€) suffit à démontrer le potentiel de développement de ce secteur.

Les raisons d’un engouement

Ce potentiel s’explique par les singularités de l’Espagne dans le secteur. À la différence d’autres pays européens, et particulièrement de la France, l’Espagne n’a pas réduit depuis dix ans ses capacités de raffinage : au contraire, les compagnies pétrolières présentes dans la péninsule ont investi lourdement pour moderniser leurs raffineries. Résultat, celles-ci se trouvent en bonne position non seulement pour couvrir les besoins nationaux mais aussi pour vendre à l’étranger. En 2023, l’Espagne a exporté 7,9 Mt de gazole, dont 2,3 Mt vers la France.

Dans le cadre de leurs plans stratégiques, qui intègrent des engagements en matière de transition énergétique, les deux grandes compagnies, Repsol et Cepsa, misent fort sur les biocarburants de deuxième génération. Bien avant la France, l’Espagne a légalisé le HVO et plusieurs grandes entreprises du transport routier de marchandises ont commencé à l’utiliser dans leurs flottes même si le prix est 30 % plus élevé que celui du gazole. Mais la production de HVO requiert des matières premières qui ne sont pas disponibles sur le territoire national. D’où l’apparition d’un nouveau flux d’importations, en provenance principalement d’Asie (Chine, Indonésie et Malaisie).

Stratégique avec le détournement massif de la flotte mondial

Enfin, compte tenu de leur position géographique, les ports espagnols jouent un rôle clé dans le soutage des navires et le détournement des navires par le cap de Bonne Espérance n’a fait que renforcer cet atout. Pendant les neuf premiers mois de 2024, cette activité a progressé de 6,1 % à Valence (0,3 Mt), de 27,3% à Barcelone (1,2 Mt) et de 29,6% à Las Palmas aux Canaries (2 Mt).

Le secteur des vracs liquides se retrouve confronté à de nouveaux défis : diversification des produits, disponibilité en qualité et en quantité, offre de nouveaux carburants verts dont la faisabilité est actuellement à l'étude. Ils servent d'aiguillons à d'importants investissements appelés à croître au cours des années à venir. De quoi aiguiser l'intérêt des investisseurs étrangers.

Daniel Solano
 

 

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