L'Opep+, qui réunit l'Opep et certains pays producteurs comme la Russie, ont convenu de réduire leur offre de pétrole de 10 millions de barils par jour. Cet accord met un terme provisoire à la bataille entre pays producteurs de pétrole alors que le marché subit le double choc de l’offre et de la demande. Bonne nouvelle pour les tankers ?
Une respiration dans l’air ambiant pollué par les tractations sans fin entre deux des principaux pays producteurs de pétrole, l'Arabie Saoudite et la Russie. Après quatre jours de tractations dans le cadre de l’Opep+*, les pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), la Russie et d'autres pays producteurs, ont formalisé par visioconférence le dimanche 12 avril un accord pour réduire leur production de 9,7 millions de barils par jour à compter du 1er mai et pour deux mois, soit près de 10 % de la demande mondiale. L’information avait été éventée en amont du week-end. À sa grande habitude, le président américain Donald Trump annonçait par un tweet, trois jours avant, que les principaux pays producteurs de pétrole étaient « proches d'un accord » dont l’issue devait se matérialiser « dans un sens ou dans un autre ». Le locataire de la Maison Blanche avait alors eu des échanges téléphoniques avec son homologue russe Vladimir Poutine et le roi Salmane d'Arabie saoudite.
Niveau de 2008, référent en termes de crise de grande ampleur
Avec un tel niveau de réduction, l'offre de pétrole est proche de son niveau de 2008, pendant la crise financière, ont réagi les participants. L'Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis ont proposé d'aller plus loin et de réduire davantage encore leur production (ils en avaient fait de même il y a quelques semaines). L'offre de pétrole globale au sein de l'Opep+ pourrait ainsi baisser de 12,5 millions de barils par jour (Mbj) a laissé entendre le ministre saoudien de l'Énergie. L'Opep+ a également indiqué qu'elle souhaitait que d'autres pays producteur hors de ce cénacle pétrolifère participent à l’effort de guerre, en avalisant une baisse de leur production au moins de 5 Mbj supplémentaires. Dans le viseur, les États-Unis, le Canada, le Brésil et la Norvège. Ottawa et Oslo pourraient s’y résoudre. Washington se dit contraint par la législation anti-cartel. Mais la chute des cours devraient inévitablement entraîner à la baisse la production américaine, jusqu'à 2 Mbj.
Selon ses dernières prévisions, l’Opep estime à 92,82 Mbj la consommation mondiale de pétrole en 2020, soit une baisse d'environ 6,85 Mb/j par rapport à 2019. L'Agence internationale de l'énergie (AIE), basée à Paris, table pour sa part sur une consommation mondiale de 90,6 Mbj sur l'année.
Issue d’une crise ?
Les principaux pays producteurs de pétrole tentent de se mettre d'accord depuis des semaines sur des baisses massives de production pour limiter la production et ainsi stopper la chute du prix du pétrole depuis le sinistre 9 mars. Ce jour-là, le cours du pétrole avait sacrément dévissé en réaction à l’échec des négociations entre la Russie et l’Arabie Saoudite le 6 mars à Vienne, au siège de l'Opep. L’onde de choc a été d’une telle amplitude qu’elle a percuté les cours de toutes les matières premières. Sans le Covid-19, qui affecte la demande pétrolière de nombreux pays et régions, en clouant les flottes des compagnies aériennes au sol et paralysant les déplacements, le marché présentait déjà des signes de nervosité en prévision d’une offre excédentaire de 1 Mbj au premier semestre 2020.
Depuis, les deux puissances pétrolières, l’Arabie Saoudite (qui a rehaussé sa production de 10 à 12 millions de barils entre mars et avril) et la Russie, se sont lancées dans une guerre des prix bas, complètement irrationnelle du point de vue économique, alors même que la demande souffre du passage à vide des industries chinoises. Avec la moitié du monde confinée, la consommation de combustibles a chuté de près de 30 % dans le monde.
Pas assez pour juguler la suproduction
La nouvelle annonce a fait réagir les cours du pétrole mais en ordre dispersé. Le brut léger américain West Texas Intermediate WTI pour livraison en mai a reculé de 1,5 %, à 22,41 $. À Londres, le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en juin a en revanche progressé de 0,83 % à 31,74 $.
Les marchés redoutent pour leur part que cet arrangement difficilement trouvé entre grands pays producteurs ne suffise pas à réduire la surproduction tandis que la pandémie de coronavirus continue de laminer la demande. Les analystes financiers s’attendent en réalité à ce que la décision se traduise au mieux par un cours plancher (c’est ce qu’indique BNP Paribas dans une note sur le sujet) « tant que la demande latente ne sera pas pleinement exprimée au troisième trimestre ». « Une réduction de 10 millions de barils par jour en mai et juin évitera aux prix de tomber dans un abîme, mais elle ne permettra toujours pas de rétablir l'équilibre du marché », ont estimé les analystes de Rystad energy.
Pétrole : Le double choc de l’offre et de la demande
L'écart entre l'offre et la demande mondiales de pétrole – de 7,4 Mb/j au premier trimestre 2020 et de 12,4 Mb/j au deuxième trimestre – n’est pas tenable, alertait fin mars la société d’information économique IHS Markit. Il pourrait conduire à un excédent dépassant largement les capacités de stockage disponibles à terre, indiquait le consultant. Dans ce contexte, où les cuves au sol atteignent la saturation et où le pétrole au comptant devient moins cher que celui livrable à échéance d’un contrat à terme (phénomène du contango), les supertankers sont devenues des unités de stockage supplémentaires. Les récents affrètements pour une courte période de six mois de VLCC ont confirmé cette tendance. Si bien que la frénésie a emporté le marché. Il y a deux semaines, les courtiers faisaient observer que les VLCC s’échangeaient à des niveaux records, à six chiffres.
« Le besoin de trouver des localisations pour stocker la production excédentaire a soutenu le marché du fret pétrolier, explique l’Opep, mais l'appétit accru pour les stockages flottants, ne fait que souligner le gonflement de la surabondance de brut et de produits dans le monde. »
Morosité
L’analyste Cleaves Securities, notamment spécialisé dans le transport maritime, a réagi au nouvel accord en dégradant sa notation à l’endroit du segment des tankers, « à la lumière des cours actuels des actions et de la détérioration des perspectives pour les deux années à venir ». Le norvégien estime que la décision des producteurs de pétrole est un soutien aux prix dans le cadre des contrats à terme de fret maritime mais pour autant, la faiblesse de la demande de pétrole fera chuter les revenus des pétroliers.
« Avec la reprise de la demande de pétrole et la dissipation de l'instabilité des prix du pétrole, l'énorme accumulation de stocks aura un impact négatif profond sur la demande de pétroliers. Le déstockage doit commencer à partir de juillet 2021, ce qui sapera considérablement le marché habituellement fort en période hivernale », indique Cleaves, qui ne voit qu’un aspect positif. L’offre s’est enfin disciplinée. Le carnet de commandes est actuellement à son plus bas niveau depuis 1996 et devrait le rester tandis que l’envoi d’unités pour démantèlement devrait rester important compte tenu des faibles perspectives de revenus. Issue à la crise ? À partir de mi 2022 et jusqu'en 2023, projette la société, à mesure que la demande de pétroliers se redressera et si l'offre reste proche de zéro.
Lame de fond
Allied Shipbroking estime que la baisse de la consommation de pétrole provoquée par tous les mesures de restrictions liées au covid pourrait laisser « une cicatrice beaucoup plus profonde » que ce que la plupart anticipent. Le courtier grec estime que le paysage du pétrole brut sera durablement transformé, sous les effets conjugués des impacts du tsumani sanitaire. Selon le courtier, les schémas d’approvisionnement vont en être profondément modifiés, évoluant vers un sourcing de proximité et des ressources locales afin d'éviter de futures perturbations. Il considère aussi que le télétravail pourrait s’imposer à plus grande échelle, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l’organisation générale des entreprises. La demande de pétrole en serait alors affectée.
Le londonien Braemar ACM s'est montré plus optimiste : si la demande de pétroliers va inévitablement diminuer dans les jours à venir, la maison de courtage estime que les taux et les revenus seront amortis par certains contrats en cours qui contribuent à maintenir les volumes transportés et mobilisent des navires sur de longues distances jusqu'à début juin. Et il voit aussi des signes de rebond dans l’amélioration de la demande de raffinage de la Chine.
Adeline Descamps
* les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) dont l’Iran, le Venezuela et la Libye exemptés de réduction compte tenu de leur faible production par rapport à leur capacité historique, et 10 pays partenaires dont le chef de file est la Russie, deuxième producteur mondial de pétrole derrière les États-Unis.