Annoncée un dimanche, quelques jours avant la réunion en Algérie des principaux pays exportateurs de gaz (GECF), dont font partie le Qatar et la Russie mais pas les États-Unis, l’information a été finalement peu relayée.
Le Qatar, qui figure déjà parmi les plus grands producteurs de GNL, a fait part d'une nouvelle expansion du gisement offshore North Field, considéré comme le plus grand gisement de gaz naturel au monde (environ 10 % des réserves mondiales), que le Qatar partage avec l'Iran.
Les parties Sud (North Field South) et Est (North Field East) sont en cours de développement depuis et les plus grandes compagnies pétrolières et gazières (ExxonMobil, Shell, TotalEnergies, et ConocoPhillips…) y détiennent des participations, offrant des liquidités en échange de volumes de GNL.
142 Mt par an d'ici 2030
La petite monarchie du Golfe, via QatarEnergy, dispose actuellement d’une capacité de production de GNL de 77 Mt par an, principalement avec le complexe de Ras Laffan. Tel qu’il était dimensionné jusqu’à présent, North Field devait ajouter environ 48 Mt de GNL par an.
La nouvelle extension dans le secteur Ouest, baptisée North Field West, offrira 16 Mt par an supplémentaire, a annoncé le ministre qatari de l'Energie, Saad al-Kaabi. Elle devrait porter sa capacité à 142 Mt par an d'ici 2030 (près de 85 % de plus par rapport aux niveaux de production actuels).
Des contrats d'achats en nombre
Ces investissements font suite à la série de contrats d'approvisionnement à long terme que Qatar Energy a engrangés, dont les derniers en date avec la compagnie indienne Petronet pour 7,5 Mt de GNL par an pendant 20 ans (premières livraisons prévues à partir de mai 2028) et avec Excelerate Energy, pour fournir au Bangladesh 1,5 Mt de GNL par an pendant 15 ans.
Ils s'ajoutent à ceux signés l'année dernière, avec la société chinoise Sinopec, la française TotalEnergies, la britannique Shell et l'italienne Eni.
Une bonne nouvelle pour la construction navale
La dernière annonce du Qatar serait en outre une bonne nouvelle pour la construction navale. Le deuxième exportateur mondial de GNL est engagé dans un vaste programme de construction de méthaniers pour servir ses ambitions.
QatarEnergy a actuellement 137 méthaniers inscrits à son carnet de commande avec les Sud-coréens HHI, Samsung Heavy Industries, Hanwha Ocean (ex-DSME) et le Chinois Hudong-Zhonghua. En 2022, il a signé une salve d'une soixantaine de contrats d'affrètement à temps avec divers armateurs, dont Knutsen LNG France pour une dixaine d’entre eux.
En attente de la FID
Ces intentions nécessitent toutefois d’être concrétisés par un financement et un engagement à long terme de la part des clients avant d'atteindre la décision finale d'investissement (FID).
Les projets autour du GNL sont des châteaux de cartes complexes, longs et les plus coûteux qui soit, expliquait Philippe Berterottière, le PDG de GTT à l’occasion de la présentation des résultats. « Il faut des contrats d’achat long terme pour convaincre les banques, obtenir les autorisations réglementaires, le gaz étant une matière très sensible, et trouver les clients couvrant au moins 90 à 95 % de la production pour que la FID soit prise. Cela peut prendre quatre à cinq ans ou plus pour que les commandes se formalisent après de nous », rappelait le dirigeant dont l'entreprise fournit les membranes cryogéniques des cuves de GNL des navires.
Prise de distance certaine
Si le Qatar va jusque-là, l’État du golfe détiendrait près de 25 % du marché mondial d'ici 2030 et distancerait sérieusement ses concurrents, États-Unis, Russie et Australie. « Le moment est opportun, estime Wood Mackenzie, compte tenu de la situation dans lequel se trouvent certains de ses rivaux ».
Le président Biden a en effet suspendu les nouvelles autorisations d'exportation de GNL, ce qui rend incertaines ses futures ventes alors que la capacité de production américaine va presque doubler au cours des quatre prochaines années.
Si la Russie a compensé en volumes, avec la Chine et l’Inde, la perte de son principal client européen, le pays en guerre a perdu en valeur. Toutefois, la Chine reste une valeur sure. Les importations chinoises de GNL devraient augmenter de 8,1 % en 2024 par rapport à l'année précédente pour atteindre 77 Mt, selon les données de l'Institut de recherche économique et technologique de l'entreprise publique CNPC publiées le 28 février.
Le champ est donc libre pour le Qatar, qui a autre un avantage de taille : sa capacité à produire à faible coût.
Concurrence intense entre le Qatar et les États-Unis
La concurrence entre le Qatar et les États-Unis s'est intensifiée à la suite de la décision de l'Europe de ne plus dépendre du gazoduc russe après l'invasion de l'Ukraine. Les fournisseurs de gaz américains ont comblé le vide de l'offre, s'imposant comme le plus grand exportateur mondial de GNL en 2023 et le principal fournisseur de l'Europe (UE 27 + Royaume-Uni), représentant près de la moitié des importations totales de GNL du Vieux Continent (27 % en 2021 ; 44 % en 2022), selon les données de Cedigaz, loin devant le Qatar (14 %) et la Russie (13 %).
Le marché mondial du gaz devrait passer de 400 Mt par an actuellement à 580-600 Mt d'ici 2030, principalement sous l'effet de la demande asiatique. La monarchie du Golfe devrait en contrôler 24 à 25 %.
Pénurie de gaz
Pour le directeur de QatarEnergy, Saad al-Kaabi, le gaz conserve toutes ses chances de faire partie du bouquet énergétique à l'avenir, en dépit des controverses qui collent à ses glissements de méthane, et pense même « qu'il y aura une pénurie de gaz, même avec notre projet ».
Bien que la Chine ait été le premier importateur mondial de GNL l'année dernière, son bouquet énergétique global ne comprend qu'environ 8 % de gaz, contre 61 % de charbon et 18 % de pétrole, par exemple. Ce qui laisse en effet une grande marge de croissance du GNL, concurrent du charbon pour produire de l’électricité dans de nombreux pays en voie de développement.
Trop d'offre, pas assez de demande
Pour autant, l'IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis, organisme militant de la transition énergétique qui étudie les questions liées aux marchés, aux tendances et aux politiques énergétiques, la consommation de GNL sur le continent européen devrait atteindre son pic en 2025.
L'Institut a publié par ailleurs l’an dernier un état des lieux portant sur les nouvelles infrastructures de GNL sous la forme de terminaux flottants (FSRU), tendant à montrer une suroffre par rapport à la demande.
Malgré cela, les pays continuent de construire de nouvelles infrastructures de GNL, alertent les chercheurs : huit ont été mis en service depuis février 2022, et treize autres projets devraient être opérationnels d'ici à 2030.
Cela signifie que la capacité combinée des terminaux méthaniers européens pourrait être trois fois supérieure à la demande de GNL prévue d'ici la fin de la décennie. L'an dernier, huit des 37 terminaux d'importation européens avaient des taux d'utilisation inférieurs à 50 %.
Adeline Descamps
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