Sept mois après avoir signé avec la compagnie pétrolière chinoise Sinopec un contrat d'approvisionnement en GNL d’une durée exceptionnellement longue de 27 ans, le Qatar récidive à la lettre (y compris l’engagement de longue durée et le volume) en contractant avec une autre société contrôlée par l'État chinois.
La China National Petroleum Corp. (CNPC) a signé pour l’achat de 4 Mt de gaz naturel liquéfié par an. Soit 108 Mt sur la durée du contrat. Avec Sinopec, ce sont près de 220 Mt que la petite monarchie du Golfe va fournir aux deux géants chinois.
La Chine a été le premier pays à conclure des accords d'approvisionnement concernant le gisement de North Field East (NFE).
North Field, au cœur de la stratégie productiviste
Pour rappel, le grand groupe gazier qatari a jeté son dévolu sur les gisements offshore de gaz que l'État arabe du Golfe persique partage avec l'Iran. Le projet, que d'aucuns appellent la « pire bombe climatique », est la pièce maîtresse de sa stratégie d'accroissement de production de GNL.
QatarGas, la filiale gazière de QatarEnergy, dispose actuellement une capacité de production de GNL de 77 Mt par an, principalement grâce au complexe géant de Ras Laffan. Ensemble, NFE et NFS apporteront 48 Mt par an de plus à la capacité d'exportation du Qatar pour la porter à 126 Mt par an d'ici 2027.
Les compagnies chinoises entrent au capital
Saad al-Kaabi, à la tête de Qatar Energy mais aussi ministre de l'Énergie, a par ailleurs indiqué à l’occasion de la signature du contrat que CNPC allait abonder au capital de North Field à hauteur de 5 % dans un des trains de liquéfaction dont la capacité est de 8 Mt par an.
En novembre, quand Sinopec a signé avec Qatar Energy, la major chinoise s’était aussi engagée à abonder au capital dans les mêmes termes.
L'Autorité d'investissement du Qata), le fonds souverain du pays, doté de 445 Md$, gérera la majeure partie des recettes provenant de l'expansion du champ North Field, a précisé le ministre.
Les majors internationales au portillon
Les grands majors internationales se sont déjà positionnées. L'Américain ConocoPhillips, le Français TotalEnergies et le Britannique Shell détiennent 25 % des parts du North Field South (NFS), le plus petit des deux complexes avec sa capacité de 16 Mt par an.
ConocoPhillips, ExxonMobil, TotalEnergies, Shell et la compagnie italienne Eni sont parties prenantes du NFE, dont la prise de participation d’une valeur de 28,75 Md$ permet de consolider une capacité d'exportation de 32 Mt.
Camouflet pour l'Europe
Avant même la mise au ban international de la Russie, le Qatar comptait déjà parmi les principaux producteurs de GNL, l'Asie (Chine, Japon et Corée du Sud en tête) constituant son principal marché export de son gaz. La Chine, un des tout premiers importateurs mondiaux d'énergies fossiles, est depuis 2020 le principal acheteur des six pays du Conseil de Coopération du Golfe.
Ces contrats chinois d'envergure sont aussi des camouflets pour l’Union européenne, qui n’est pas parvenue à signer un tel accord, pourtant convoité, avec le riche émirat gazier du Golfe. Ses États membres rechignent à vrai dire à s’engager dans des contrats long terme bien qu’en quête désespérée d'alternatives au gaz russe depuis l'invasion de l'Ukraine.
L’Allemagne, pays le plus concerné par le tarissement des flux russes qui l’approvisionnait à bon marché avant la guerre et le sabotage du gazoduc Nord Stream il y a huit mois, est moins farouche, nécessité faisant loi. Berlin s’est ainsi embarqué pour 15 ans auprès du Qatar, désormais son principal fournisseur avec les États-Unis.
Berlin au pas de charge
Le gouvernement allemand installe, au pas de charge des terminaux méthaniers flottants le long de ses côtes, en s’affranchissant pour cela des règles habituellement en vigueur, notamment les études d’impact environnemental.
Trois ont été mis en service depuis fin 2022. Au total, cinq FSRU seront en fonction pour le compte du gouvernement et un autre, celui-ci privé et déjà en service, est porté par Deutsche ReGas avec fourniture de GNL par TotalEnergies, dans le port baltique de Lubmin, au nord-est de l'Allemagne, actuel point de sortie des gazoducs Nord Stream 1 et 2.
Pour les investissements publics, il s'agit des deux FSRU affrétés par RWE à Hoëgh LNG, à Brunsbüttel et Wilhelmshaven, de ceux d’Uniper à Dynagas (deux également), et du FSRU Excelsior frété à la société énergétique allemande E.ON, associée à la belge Tree Energy Solutions (TES) et à la française Engie à Wilhelmshaven.
Teasing du Qatar
Des contrats visant à approvisionner « plusieurs pays européens » seront signés après l'été, annonce en teasing le Qatar.
Jusqu'ici, l’UE a pallié les absences de son ancien premier fournisseur en augmentant ses approvisionnements auprès des États-Unis (+ 143 % en 2022 par rapport à 2021), du Qatar (+ 23 %) mais sans exclure la Russie (+ 12 %).
QatarEnergy a en commande une soixante de méthaniers avec des accords d'affrètement à long terme à la clé. Pour servir sa stratégie expansionniste, le groupe a programmé la construction d’une centaine de transporteurs de GNL.
Les trois constructeurs navals sud-coréens DSME, Hyundai Heavy, Samsung Heavy, ainsi que le chinois Hudong-Zhonghua se partagent pour l’heure les contrats.
Adeline Descamps
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