L'Asie du Sud-Est s'apprête à entrer dans la cour des grands importateurs de charbon thermique, celui qui sert à la production de l'électricité. Son recours est un marqueur quant au niveau de développement du pays – le charbon reste l'énergie la plus accessible –, et devient aussi de plus en plus un témoignage de l'intérêt que porte un pays à ses émissions de carbone, privilège des grandes économies développées.
Si l'Asie du Sud-Est ne représente qu'environ 12 % des importations mondiales du combustible, la région a dépassé les autres grands importateurs pour sa croissance annuelle soutenue à deux chiffres depuis 2018, de l’ordre de 14 % par an, selon les données des flux de Kpler, quand la Chine est à 3 % mais l'Inde également autour de 13 %.
Central et capital pour l'électricité
La région pourrait ainsi pallier la désaffection d’autres marchés. Le charbon s’explique en grande partie parce qu'il y est encore largement utilisé pour produire de l’électricité. Le fossile reste plus accessible que le gaz, qui bien qu'en chute libre depuis plusieurs semaines reste bien au-dessus des prix moyens à long terme sur les marchés internationaux.
Ainsi l'Indonésie, le leader régional et premier exportateur mondial de charbon thermique, n'a pas besoin d'importer beaucoup de charbon, mais en dépend pour plus de 60 % de sa production d'électricité. Les Philippines, plus grand importateur de charbon de la zone, la Malaisie, le Vietnam et le Cambodge en sont tributaires pour plus de 40 % de leur électricité, et la Thaïlande pour environ 20 %.
200 Mt consommés
Leur consommation cumulée équivaut à environ 200 Mt par an, selon l'Administration américaine d'information sur l'énergie (IAE).
La croissance économique dans la région a toutefois ralenti au cours du premier trimestre 2023 par rapport à la fin de l'année 2022, ce qui pourrait entraîner une réduction de la demande d'énergie industrielle au cours des prochains mois.
Sous la dépendance de l'activité manufacturière chinoise
Fournisseurs clés de pièces et de matières premières à la Chine, la consommation d'électricité de la Malaisie, l'Indonésie et les Philippines est subordonnée à la reprise de l'activité manufacturière de leur puissant voisin.
Malgré les signaux économiques contrastés, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que la plupart des économies d'Asie du Sud-Est connaîtront une forte expansion en 2023, le produit intérieur brut projeté en hausse de 5 % en Indonésie, de 6 % aux Philippines et de 5,8 % au Vietnam selon les dernières données réactualisées.
En conséquence, les producteurs d'électricité de la région devraient adopter une approche prudente et privilégier l'option la moins coûteuse, facteur de soutien à une forte utilisation du charbon et à un recours limité de l'utilisation du gaz naturel.
L'Inde, en grand rival
L'Asie du Sud-Est n'a de rivale, de ce point de vue, que l'Inde. La guerre en Ukraine continue d’exercer son influence sur commerce maritime du charbon, les importations indiennes en provenance de Russie étant devenu un commerce majeur avec un effet significatif sur la demande en tonnes-milles et par conséquent sur celles des vraquiers.
Dans son dernier rapport hebdomadaire, le courtier maritime Intermodal estime que le cap a été franchi. « L’Inde est l'un des plus grands producteurs de charbon au monde et l'un des plus grands importateurs de charbon au monde, ce qui fait du charbon un produit de base vital ».
La demande de charbon du pays pour la production d'électricité devrait s'élever à 821 000 kt au cours de l'année 2023-2024, soit une augmentation de 8 % par rapport à l'année dernière.
Selon le courtier, les entrées de charbon en Inde par la mer ont augmenté de 19 % entre 2021 et 2022, à 208 034,13 kt. Cette année, le pays a déjà importé des volumes équivalents à 37 % des importations de l'année dernière.
La seconde moitié de l'année devrait amplifier ce mouvement pour répondre à la demande d'électricité du pays alors qu'approche la saison de pointe de l'électricité.
Aussi, le pays connaît actuellement un frémissement dans le secteur de l’acier. En 2023, la demande d'acier de l'Inde devrait se situer entre 130 et 135 Mt, soit environ 6 % de plus que l'année dernière.
L'Inde a déjà importé de Russie 50 % de ses volumes de l'an dernier
L'Indonésie, l'Australie, l'Afrique du Sud et la Russie figurent actuellement parmi ses principaux fournisseurs. Le vaste continent, que l’on appelle de plus en plus la « seconde Chine », a déjà importé à ce stade de l'année, 36 % de ses volumes de 2022 depuis l’Indonésie mais 53 % du total de l’année dernière pour l’Afrique du Sud et 50 % pour la Russie.
Très sensible au prix, le pays est naturellement attiré par les prix traditionnellement plus bas du charbon sud-africain par rapport au charbon australien, alors que le charbon russe est devenu plus lucratif après l'invasion de l'Ukraine.
La demande de tonnes-milles augmentant, les taux de fret y trouvent un soutien alors que l’indice de référence du secteur du vrac sec n’est pas au meilleur de sa forme. Mais les kamsarmax et les capesize sont les premiers à profiter de la situation.
Adeline Descamps
Les arrivées chinoises de charbon australien ont augmenté de plus de 100 % en un an
Les arrivées de charbon chinois en provenance d'Australie en avril ont retrouvé leur niveau d'avant l'interdiction officieuse de Pékin en septembre 2020, les négociants ayant profité de prix de transport plus bas et de la forte demande de charbon de haute qualité de la part des utilisateurs finaux chinois.
La Chine a importé 3,89 Mt de charbon australien le mois dernier, dont 3,72 Mt de charbon thermique et 171 067 t à coke, selon les données publiées par l'Administration générale des douanes. Une croissance de 89,6 % par rapport aux expéditions de mars et plus très loin des 4,47 Mt de septembre 2020, date de l'embargo (officieux) sur les importations de charbon australien à la suite d'un différend diplomatique.
Depuis la levée (officielle) de l'interdiction en janvier, les négociants chinois se sont empressés de passer des commandes de charbon thermique au comptant en provenance d'Australie, en raison de la forte demande des services publics et des secteurs industriels.
Prix du charbon australien en baisse
Le prix du charbon thermique australien d'une teneur énergétique est tombé à 117 $ la tonne sur une base franco à bord (FOB) la semaine dernière, contre 127 $ la tonne en février. Le charbon australien est maintenant environ 36 yuans la tonne plus cher que le charbon national dans les ports du sud de la Chine.
La réduction des écarts de prix a également limité les importations de charbon en provenance d'Indonésie et de Russie. Les dernières données douanières indiquent que les arrivées de charbon indonésien s'élevaient à 21 Mt le mois dernier, soit une baisse de 4,5 % par rapport à mars, mais une hausse de 31,7 % par rapport à la même période de l'année dernière.
Les entrées en provenance de Russie (8,1 Mt) sont en baisse de 8,4 % par rapport au mois précédent mais ont bondi de 107,6 % par rapport au niveau de 2022. L'importance des stocks nationaux et des pressions à la baisse sur les prix devraient toutefois freiner les appétits.
La rédaction
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