Dans le maritime, la difficulté à opérer la transition énergétique n’est pas sans fondements. Les technologies alternatives au bon viel HFO ne sont pas disponibles ou sont à des niveaux de maturité faibles. Certaines solutions sont au stade de concepts, d’autres au niveau de prototypes. Si tant est que les armateurs se décident sur un choix de carburant en rupture radicale – méthanol, ammoniac hydrogène, etc. – ils n’ont aucune garantie sur leurs performances, leur opérabilité, sécurité, disponibilité et encore moins de leur prix...
Le cadre réglementaire n'existe pas et les efforts financiers s'annoncent conséquents pour certaines énergies décarbonées, très coûteuses à produire avec des stocks limités.
Dans cet océan d’incertitudes, les biocarburants, dont la combustion est considérée comme potentiellement neutre en carbone, font figure d’esquif car ils sont disponibles, accessibles et leur prêt-à-l'emploi (sans modification de structure sur les moteurs) finit de convaincre les armateurs. Or, la concurrence avec d’autres secteurs (l’aérien pourraient en être un) est vive et ils ne sont pas non plus sans soulever de sérieuses questions éthiques alors que les premières générations de carburants sont produites à partir de biomasse issue de ressources à usage alimentaire (huiles végétales, plantes sucrières, céréales ...).
Un besoin de 280 millions de tonnes d'équivalent pétrole par an
Si l'usage des biocarburants dans le secteur des transports a longtemps été limité aux transports routiers, leur emploi dans le transport maritime s'est récemment accéléré. La consommation est passée d’une simple utilisation pour des projets pilotes à un volume de 930 000 t de biocarburants mélangés (soit 280 000 t pur), selon les données fournies pour 2022 par les centres de soutage de Singapour, premier hub mondial d’avitaillement, et Rotterdam, leader européen.
Cela reste néanmoins très marginal avec une part de 0,1 % de la consommation totale du transport maritime actuelle, estimée à 280 millions de tonnes d'équivalent pétrole par an (Mtep/an).
5 000 installations de production de biocarburants
Le livre blanc publié par DNV (Biofuels in shipping) va doucher quelques espoirs même si les contraintes de production et la concurrence d'autres secteurs ont déjà été largement commentées. Dans son document, la société de classification norvégienne, connue pour son lobbying en faveur du GNL, renseigne sur sa disponibilité finalement très limitée en tant que carburant marin.
Selon sa base de données (qui contient des informations sur quelque 5 000 installations de production de biocarburants), la capacité de production mondiale actuelle de biocarburants durables est d'environ 11 Mtep par an et elle pourrait atteindre 23 Mtep par an d'ici à 2026.
Si le transport maritime devait se décarboner entièrement d'ici 2050 au moyen des seuls biocarburants, complété par des mesures d’efficacité opérationnelle et énergétique (optimisation du design du navire, réduction de la vitesse, connexion électrique à quai), 250 Mtep seraient nécessaires chaque année.
Approvisionnement très compromis
À court terme, l'approvisionnement du transport maritime, qui consomme aujourd’hui principalement les Emag (esters méthyliques d'acides gras) et le HVO (huile végétale hydrotraitée), paraît donc compromis à un moment à un autre. D’autant que les qualités qui accrochent l’intérêt des exploitants de navires n’échappent pas non plus à d’autres filières dont le poids, l’influence, leurs applications... pourraient les rendre prioritaires dans les politiques publiques.
Si tant est qu’il soit possible d’en produire en masse, le cadre réglementaire est à élaborer. L'OMI est en train d'élaborer des lignes directrices pour l'évaluation du cycle de vie (ACV) de tous les carburants marins, y compris les biocarburants. La première version devrait être prête pour le MEPC 80 qui se tient en juillet.
Caractère durable non garanti
Le caractère durable fait débat par ailleurs. Les biocarburants sont obtenus en convertissant la matière organique (également appelée biomasse) en un produit combustible. La combustion de la plupart des biocarburants émet du CO2, mais selon les scientifiques, ce phénomène est annulé par le fait que la biomasse absorbe le CO2 de l'atmosphère pendant sa croissance, ce qui permet aux biocarburants de présenter un bilan carbone neutre.
Or, nuance DNV, les biocarburants peuvent être fabriqués de différentes manières à partir de nombreuses matières premières. Ils n’ont ni la même disposition à être utilisés comme carburants de substitution ni le même caractère durable selon la source de biomasse, qu’elle soit issue de produits agricoles (dominante à ce stade dans la production) ou d’origine non alimentaire et non fourragères.
Schématiquement, les quantités de résidus agricoles, les déchets industriels et les cultures énergétiques non alimentaires, qui sont les principales sources de biomasse durables, en délimitent le potentiel (durable) mondial, que DNV évalue entre 400 et 600 Mtep par an en 2030, en supposant un rendement de conversion de la biomasse de 50 %, et entre 500 à 1 300 Mtep par an en 2050.
Ni à court terme ni à long terme ?
In fine, si la société norvégienne reconnait que les biocarburants pourraient « jouer un rôle important dans la décarbonation du transport maritime » voire « joueront probablement », ses démonstrations suggèrent plutôt que cela sera difficile à court terme du fait d’une capacité de production des biocarburants dits avancés (non agricoles) limitée mais aussi à plus long terme compte tenu des contraintes d’accès à une biomasse durable.
« Par conséquent, il est peu probable que les biocarburants soient la seule solution pour atteindre l'objectif de neutralité du transport maritime », conclue platement DNV. L’idée selon laquelle il n’y aurait pas de solution unique ni de carburant miracle ne fait plus débat dans le secteur. Les armateurs pourront, à défaut, y trouver des précautions techniques avant d'intégrer les biocarburants à bord des navires.
Adeline Descamps