Frédéric Denèfle, président de l'IUMI : « les temps changent pour l'assurance maritime »

La conférence annuelle de l'Union internationale de l'assurance maritime (IUMI), qui se tient cette année à Berlin, s'est clôturée ce 18 septembre. La grand-messe du secteur a témoigné de la montée en charge en termes de la complexité juridique, de l'exposition financière et de la diversité des types de pertes. Non sans impacts pour l'évaluation des risques et des responsabilités.

« Les temps changent rapidement et je prévois un paysage différent pour les assureurs dans les années à venir », a lancé à l’ouverture Frédéric Denèfle, directeur général du Groupement d’assurance de risques exceptionnels (Garex), spécialisé dans les risques de guerre en assurance maritime.

Le Français, qui est à la tête de l'Union internationale de l'assurance maritime (IUMI) depuis 2022, est à Berlin où se tient depuis lundi et jusqu'à ce mercredi 18 septembre la conférence annuelle de l’association professionnelle la plus représentative du secteur de l’assurance maritime.

La souscription maritime n’a jamais été un long fleuve tranquille mais les aléas ces deux ou trois dernières années – dont certains improbables (l’Ever Given qui s’est placé en travers du canal de Suez, par où transitent près de 10 % du commerce mondial ; l’effondrement du pont de Baltimore provoqué par le porte-conteneurs Dali qui s’y est encastré) –, témoignent d’une montée en charge dans la complexité juridique, l’exposition financière et la variété des types de pertes, fait valoir le président.

Agrégation des pertes

Les tensions géopolitiques, les attaques contre des navires de commerce pris pour cibles en mer Noire et en mer Rouge par la faction séditieuse houthie, la multiplication des sanctions et des embargos à l’ombre desquels prospère une flotte (obscure) dont la propriété n'est pas claire et dont la classification est souvent douteuse …, ne sont pas neutres pour les métiers de l’assurance. Ils influent sur l’évaluation des risques et des responsabilités en cas d'accident ou de pollution.

« Les assureurs sont de plus en plus prudents lorsqu'il s'agit de navires ayant des liens avec des régions à haut risque », reconnaît Ilias Tsakiris, PDG de Hellenic Hull et président du comité sur la coque à l'IUMI. Les sanctions et les tensions géopolitiques ont rendu plus complexe l'assurance des navires liés à des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël.. Les assureurs se font plus sélectifs, examinant de près les risques physiques et politiques encourus. »

Les attaques en mer Rouge « ont conduit à au moins quatre sinistres connus, entraînant malheureusement des pertes de vies humaines et des dommages importants aux navires et aux cargaisons, indique Frédéric Denèfle. Il s'est avéré difficile de gérer ces sinistres avec la solution LOF habituelle (outil contractuel d'urgence avec les sociétés de remorquage via l'International Salvage Union, NDLR], car il n'a pas été facile d'entrer dans la zone et d'aider le navire en détresse ou d'éviter la pollution ».

Le président de l'IUMI ne mentionne pas le cas particulier du Sounion, suezmax en feu et à la dérive après avoir essuyé des attaques répétées fin août, dont l'opération de remorquage en cours s'avère complexe. À raison : dans ce cas précis, en cas de déversement, qu'est-ce qui sera couvert par les souscripteurs d'assurance contre les risques de guerre ou les P&I ? Il est aussi peu probable que le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures intervienne.

La détention de navires par les mandataires des autorités iraniennes inquiète aussi les assureurs. « La région du golfe Persique pourrait devenir difficile pour les transits de navires, avec une grande incertitude pour les assureurs qui fournissent une couverture de la coque, de la cargaison et des pertes et profits », a également souligné le président dans son introduction.

Sondés sur leurs évolutions de leurs métiers dans les années à venir, les membres de l’IUMI a insisté sur ce monde devenu complexe, qui rend l'octroi d'une couverture plus difficile dans certaines régions et certaines activités inassurables. Notamment quand il y a « agrégation gigantesque des pertes » comme cela pourrait le cas avec « la contamination radioactive ou bioactive ou la cyberguerre à grande échelle ».

Les effets induits – le changement des routes maritimes pour éviter le canal de Suez –, ont des conséquences, reprend Ilias Tsakiris. « Ces voyages plus longs exposent les navires à des eaux inconnues et à des ports moins développés, ce qui augmente le risque d'avarie et de retard. L'absence d'installations de secours et de réparation sur ces itinéraires alternatifs signifie que même des incidents mineurs peuvent dégénérer en sinistres importants ».

Obligations environnementales non sans risques

Les échéances réglementaires de leurs clients est un autre point d'attention, le durcissement des réglementations et des conventions également. La Convention de Hong Kong sur le recyclage des navires entrera en vigueur en juin 2025 et le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (ETS) est effectif depuis le 1er janvier pour tous les navires marchands faisant escale dans les ports de l'Union européenne.

La poussée vers les nouveaux carburants, l’exploration des alternatives, la motorisation, les pratiques d'exploitation qui découleront des nouvelles réglementations (les sources d’énergie verte devront représenter au moins 5 %, et de préférence 10 %, de l’énergie utilisée par le transport maritime d’ici 2030, selon les règles européennes), vont modifier la composition de la flotte mondiale. « Les livraisons de nouveaux navires sont importantes, mais nous assistons également à un vieillissement de la flotte, entraînant son lot de défis. »

Le renforcement des politiques climatiques oblige aussi les assureurs, soutient Melanie Raven, souscripteur chez Ark Syndicate et présidente du Comité de l'IUMI sur l'énergie offshore. « Face à la transition vers des sources d'énergie propres, les produits d'assurance devront s'adapter à l'intégration des nouvelles technologies et à leurs risques uniques associés à ces technologies. Les gouvernements joueront un rôle moteur à cet égard et, au Royaume-Uni, nous avons déjà expérimenté des orientations pour le captage, l'utilisation et le stockage du carbone (CCUS), par exemple ».

Le panel interrogé a également placé le changement climatique et son impact sur les pertes et les sinistres en haut de la pile. « L'évolution des conditions météorologiques exercera une pression accrue sur les chaînes d'approvisionnement, ce qui entraînera une accumulation des risques ».

Défis générés par l'intelligence artificielle

L’intelligence artificielle (IA) et les cyber-risques, qui exigent de sortir des silos dans lesquels sont confinées les parties prenantes de la supply chain, figurent aussi dans la liste des mutations. Les compagnies maritimes résistent encore à partager des données critiques en raison des risques liés à la cybersécurité. Or, les assureurs (et les affréteurs) veulent plus de clarté sur la façon dont un navire est exploité. C'est du moins l'une des principales conclusions d'un webinaire organisé récemment par l’entreprise Oceanly (solutions de gestion de flottes) sur la façon dont les navires et les opérations de transport maritime peuvent être impactés par l’IA (intitulé « Smart ships, smarter operations »). « Dans un secteur comme le nôtre, se protéger est une erreur et un danger, car nous devons nous efforcer d'améliorer les navires, de les rendre plus sûrs et de protéger l'environnement, ce qui ne peut se faire qu'avec la transparence. Le partage des données nous permet d'améliorer les équipements et de mieux gérer les navires. Les compagnies d'affrètement et d'assurance sont en demande », assurait au cours de cet atelier le directeur général d'Oceanly.

« La numérisation et les progrès technologiques conduisent à la création de nouveaux types de données dans le domaine des transports. Le marché de l'assurance et de la réassurance peut utiliser ces données pour améliorer la souscription, créer de nouveaux produits et traiter plus efficacement les sinistres », a semblé confirmer, à Berlin, Markus Spielmann, responsable du secteur maritime chez Munich Re. « Avec des informations en temps réel et exploitables, les assureurs peuvent créer des solutions plus efficaces », a ajouté le CEO Marine d’Aon.

Réorganisation de la supply chain

Frédéric Denèfle a également mis le doigt sur la réorganisation des chaînes logistiques provoquée par l’évolution des marchés mondiaux (modification du sourcing, nearshoring et autres friendshoring), qui auront, selon lui un « impact particulier » sur la manière dont les expéditions de marchandises seront organisées à l'avenir.

L'assureur fait référence aux changements dans la production mondiale (China +1) manifestes depuis cinq ans. De nouveaux centres de production s'ouvrent en Inde, au Vietnam, en Indonésie et au Mexique, forçant l'expansion des routes entre un plus grand nombre de ports.

« J'ai le sentiment que nous avons atteint la fin du processus de mondialisation qui a commencé après la seconde guerre mondiale et s'est accéléré avec l'extension du GATT, estime le président de l'IUMI. Dans le passé, en tant qu'assureurs maritimes, nous étions libres de souscrire des affaires dans le monde entier et les transporteurs et les chargeurs de placer leur assurance dans presque n'importe quel endroit de leur choix. Ce n'est plus le cas aujourd'hui ».

De même, les restrictions au commerce mondial avec la levée des barrières commerciales entre grands blocs « entraîneront forcément une réduction du transport maritime et, par voie de conséquence, une réduction des primes d'assurance maritime au niveau mondial ».

Les temps changent rapidement en effet. A Édimbourg, lors de la dernière conférence annuelle, les échanges avaient reflété des sinistres plus habituels : les incendies à bord de porte-conteneurs et les conteneurs passés par-dessus bord avaient animé quelques séquences. Sur ce point, l'IUMI a notamment soutenu à l’OMI les propositions d’aménagement à la convention Solas qui rendent obligatoires les détecteurs d'eau fixes sur les navires neufs. Les protections contre les incendies se limitent actuellement aux détecteurs d'eau portables et aux lances à brouillard.

Adeline Descamps

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