Avec 8 % des échanges mondiaux de GNL, le canal de Suez est une voie de transit clef pour le gaz naturel liquéfié. Pour l’heure, les analystes n’anticipent pas de problématique particulière si le blocage ne persiste pas au-delà de quelques jours. Le GNL entre dans une saison entre deux eaux. Les taux d’affrètement sont bas.
Quinze méthaniers devaient initialement transiter par le canal de Suez le jour où le porte-conteneurs de 20 000 EVP d’Evergreen, rudoyé par des fortes rafales de vent, s’est échoué au km.151 dans le canal vers le nord, le bulbe d'étrave s’encastrant dans une digue et la proue touchant presque l'autre rive. Ce faisant, il a pris en otage des centaines de navires. Avec 8 % du commerce mondial de GNL, le canal de Suez est une voie de passage clef. En 2019, année « normale », 31,4 Mt y ont transité.
Selon les données de suivi des navires compilées par ICIS LNG Edge, 276 méthaniers ont emprunté le canal de Suez en 2020 dans la direction est/ouest. Ces livraisons ont toutes été effectuées du Qatar vers l'Europe et la Turquie tandis que 112 navires transportant du GNL ont effectué le voyage inverse. Le russe Yamal LNG, qui exploite les riches gisements gaziers en Arctique, pèse dans ce trafic. Les États-Unis sont le deuxième plus grand pays à utiliser le canal de Suez dans cette direction, avec 34 cargaisons en 2020.
Pour l’heure, les impacts apparaissent limités, le GNL entrant dans une saison intermédiaire (la demande de chauffage est plus faible). « Il y a de ce fait une plus grande résilience à toute perturbation », indique le cabinet d’études de marché spécialisées dans les énergies ICIS. Les taux d'affrètement sont actuellement bas, à environ 30 000 $/j. « Mais ils pourraient se resserrer [reflétant la tonne-mille supplémentaire nécessaire pour contourner le canal, NDLR] si la perturbation perdure, tempère Wood Mackenzie. La situation pourrait être compliquée, en particulier pour les navires se trouvant déjà en Méditerranée et en mer Rouge. Des retards supplémentaires auraient un impact sur les calendriers de chargement et de déchargement et perturberaient certains flux, principalement vers le marché européen »,
Deux méthaniers déroutés
Selon les données fournies par MarineTraffic et ClipperData, au moins deux navires américains transportant du gaz naturel ont changé de route alors qu’ils étaient au milieu de l'Atlantique Nord pour se diriger vers le cap de Bonne-Espérance : les méthaniers Maran Gas Andros (170 000 m3), affrété pour Cheniere, et Pan Americas (174 000 m3) pour Shell.
Des perturbations prolongées « pourraient obliger les pétroliers à emprunter des itinéraires plus longs, ce qui pourrait entraîner une augmentation des prix du gaz en raison des retards de livraison et une hausse des taux d'affrètement, reprend ICIS. Cela aurait un impact particulier sur les livraisons du Qatar à ses clients européens, en particulier sur les flux réguliers vers les terminaux britannique de South Hook, belge de Zeebrugge, italien de Rovigo et polonais de Swinoujscie. » La perturbation compromettrait en outre le tempo cadencé des livraisons de Yamal LNG vers l’Asie, gourmande en GNL.
Les navires contraints d'emprunter d'autres itinéraires en raison des perturbations pourraient voir leur temps de transport allongés. Une cargaison en provenance du Qatar, en route vers Royaume-Uni via l’Afrique, prendrait environ 27 jours contre environ 17 pour un itinéraire empruntant le canal de Suez.
Mais la durée du retard dépendra du point de départ du navire, de sa destination et de l'endroit où il a changé de cap au cours du voyage, anticipent déjà certains observateurs du marché. « Pour les exportateurs américains du golfe du Mexique, le temps de voyage ne pourrait être allongé que de trois jours jusqu'au port de Tokyo. Pour les cargaisons en provenance de Doha et à destination du nord-ouest de l'Europe, cette route peut ajouter dix jours au voyage. Les cargaisons provenant du golfe du Mexique et bloquées en Méditerranée pourraient être détournées pendant dix jours au lieu de trois », indique ClearView Energy Partners.
GNL : l’incroyable effet domino
Un précédent dans le Panama
La situation devrait donc être moins critique qu’elle ne l’a été cet hiver lorsque le GNL a été pris en otage dans le canal de Panama à un moment crucial pour le commerce du gaz naturel. Tous les éléments étaient alors réunis pour tendre le marché du gaz, rendre le coût du transport élevé, et les coûts des méthaniers onéreux. Les températures glaciales de l’hiver en Asie ont pris de court les importateurs alors que les stocks des négociants étaient au plus bas. Les méthaniers disponibles à l’affrètement sont devenus rares. Et les taux de fret ont flambé en conséquence.
L’engorgement du canal de Panama, où les temps d’attente pour les navires sans réservation atteignaient sept à dix jours en janvier, a aggravé l’approvisionnement. Les navires ont alors été contraints d'emprunter des routes plus longues vers l'Asie, ce qui a augmenté le temps de transport et réduit considérablement le nombre d’unités disponibles dans l'Atlantique.
Des méthaniers affrétés entre 250 000 et 320 000 $/j
De ce fait, le coût du transport du GNL des États-Unis vers l'Asie s’était envolé cet hiver. Le prix de référence du GNL en Asie du Nord avait dépassé, le 12 janvier pour la première fois, les 30 $ par million de Btu (sur le marché du gaz, le prix s’exprime dans cette unité. 1 MMBtu correspond à 27 800 m3). Les revenus journaliers moyens des méthaniers sur le marché spot dans le bassin pacifique avaient alors atteint des sommets, voire de quoi effrayer avec des valeurs entre 250 000 et 320 000 $/j.
Adeline Descamps