Céréales : accord européen pour taxer les céréales russes à partir du 1er juillet

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Les ministres européens du Commerce réunis à Bruxelles le 30 mai font une légère entorse à leur ligne rouge en imposant des droits de douane sur les importations de produits agricoles russes. Jusqu’à présent, les sanctions européennes contre Moscou ont toujours veillé à ne pas cibler le secteur agricole.

Après s’être attaqués entre autres à ses énergies, son pétrole, son charbon et bientôt son GNL, les États membres de l’UE se sont mis d’accord ce 30 mai pour imposer des droits de douane sur les importations de produits agricoles russes, actuellement faibles ou nuls en vertu des règles de l'Organisation mondiale du commerce (réciprocité et non-discrimination).

La mesure, visant à contraindre l’économie du pays de Vladimir Poutine et « à stopper l'exportation illégale de céréales volées en Ukraine », selon les propos du commissaire européen au Commerce Valdis Dombrovskis, sera effective à partir du 1er juillet. Les produits agricoles du Bélarus, proche allié de Moscou, seront aussi visés.

Les ministres européens du Commerce réunis à Bruxelles ont précisé par ailleurs qu'une clause d'exception serait activée pour faire en sorte que Russie et Bélarus n'aient plus accès aux quotas céréaliers de l'OMC offrant un meilleur traitement tarifaire.

Transit européen et engrais pas concernés

Le transit via l'UE de céréales et autres produits agricoles à destination de pays tiers (Afrique ou Moyen-Orient) ainsi que les engrais ne sont en revanche pas concernés, afin de « préserver la sécurité alimentaire mondiale » pour les premiers et sans doute ne pas déstabiliser les marchés pour les seconds.

Le stockage dans des entrepôts douaniers dans l'UE ou le transport à bord de navires européens ne seront pas non plus proscrits. C’est toute la différence avec l’embargo, qui aurait été par ailleurs une procédure lourde car son adoption aurait nécessité l'unanimité des Vingt-Sept.

Des droits à 93 ou 95 € par tonne

Jusqu’à présent, les sanctions européennes contre Moscou ont veillé à ne pas cibler le secteur agricole, précisément pour ne pas nuire aux pays tiers d'Asie et d'Afrique, très dépendants de la puissance agricole russe.

Selon les autorités européennes, les nouveaux tarifs seront suffisamment dissuasifs pour décourager les importations dans l'UE, avec des droits à 93 ou 95 € par tonne pour le blé tendre, le seigle, l'orge, le maïs ou le sorgho, et une taxe ad valorem de 50 % pour d'autres produits agricoles comme les huiles ou les légumes.

Une demande des exportateurs européens

Cette décision répond à une demande de la filière agricole européenne et qui concerne tant la Russie que l’Ukraine.

Dans une adresse commune à la Commission européenne, la République tchèque, la Pologne et les trois États baltes avaient demandé en mars l'instauration d'un embargo sur les céréales russes et biélorusses, invoquant la pression sur les marchés européens.

En retour, la présidente, Ursula von der Leyen, s’y était engagée dès le 21 mars. Mais pour être entérinée, conformément à l'article 16 du traité sur l'UE, la proposition devait obtenir la majorité qualifiée, soit au moins 15 pays membres de l’UE représentant 65 % de la population du marché communautaire.

Une machine exportatrice redoutable

Bien qu’en guerre et entravés, les deux pays de la région fertile encadrant la mer Noire ont totalisé près de 70 des 212 Mt exportées dans le monde durant la campagne 2023-24.

Dmitri Patrouchev, alors ministre russe de l'Agriculture, avait affirmé en fin d'année dernière que le produit des exportations agricoles russes avait dépassé pour la première fois les 45 Md$ en 2023 (contre 1,4 milliard en 2000).

Évincé par les grains de qualité russe, le blé européen doit se retrancher sur quelques pays, notamment au Maroc, où l’atout proximité fait encore effet, et la Chine, qui n'inclue pas (encore) le blé russe dans le cadre de ses importations croissantes de céréales.

Selon les estimations de la Commission européenne, les exportations de blé tendre de l'UE de la campagne qui se termine seront en repli de 5 % par rapport à l'année précédente pour atteindre 31 Mt, malgré une offre plus importante cette saison.

Un fournisseur modeste de l'UE

Avec 1,53 Mt de céréales importées de Russie par l'UE, le premier exportateur mondial de blé reste néanmoins un fournisseur modeste. Selon les données, l'UE a importé l'an dernier pour un montant de 437,5 M€ (contre 960 000 t en 2022) et 4,2 Mt de céréales, oléagineux et produits dérivés pour une valeur de 1,3 Md€.

Ses importations sont très inférieures aux volumes venant d'Ukraine où les produits agricoles sont exemptées des droits de douane européens depuis 2022 au titre du soutien économique à l'Ukraine agressée. Loin des standards de l'UE et, bien moins chères, les céréales ukrainiennes ont été au cœur de l’exaspération des agriculteurs européens frontaliers au début de l’année. Car en raison de problèmes logistiques, les exportations ukrainiennes, destinées aux pays tiers, ont surtout inondé les marchés européens (+ 11 % en janvier-septembre 2023 selon Bruxelles).

Plafonnement des céréales ukrainiennes

Pour endiguer la colère des agriculteurs de ses membres, l’exécutif européen a décidé récemment de réintroduire des freins à certaines importations agricoles (sucre, volailles, oeufs, maïs) mais pas pour le blé ni l'orge.

La mesure douanière doit encore être entérinée par une majorité qualifiée des États membres mais sans requérir l'aval des eurodéputés.

Les exportations de céréales de l'Ukraine pour la campagne de commercialisation juillet 2023-juin 2024 ont atteint 45,4 Mt au 24 mai, dépassant le niveau de la saison précédente de 44,6 Mt, selon les données publiées par le ministère ukrainien de l'Agriculture en fin de semaine dernière. Le maïs (25,6 Mt) continue de dominer les tonnages devant le blé (16,9 Mt) et l’orge (2,4 Mt).

Le gouvernement ukrainien prévoit une récolte de 81,3 Mt de céréales et d'oléagineux cette saison, avec un excédent exportable en 2023/24 d'environ 50 Mt.

Et avec la France ?

Les grains de la mer Noire, en particulier de Russie, ont pesé sur les sous-performances des ventes de céréales françaises en 2023.

Les ventes de blé ont notamment dégringolé de 48 % sur un an, diminuant de 3,1 Md€ en valeur et 4,9 Mt en volumes. « Les ventes vers l'Algérie et le Maroc contribuent à elles seules à plus de 50 % de cette baisse du fait de la forte concurrence des blés russes », a indiqué le service statistique Agreste du ministère de l'Agriculture. Les exportations de maïs ont également souffert de la concurrence ukrainienne et ont réculé de 18 % sur un an (- 0,4 Md€).

L’offensive russe en Algérie, désormais cinquième importateur de blé russe, n’a pas échappé à l'ancienne puissance coloniale dont la part auprès de ce pays est tombée à 20 % pour la campagne 2023-24, contre 90 % en 2019-2020.

Réunie à Paris le 20 mars à l’invitation de l'interprofession des céréales, la filière française – troisième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires et leader européen de la production et de l’exportation de céréales –, avait manifesté à cette occasion ses inquiétudes à l’égard de l’influence russe sur les marchés internationaux.

La Russie « œuvre de façon extrêmement violente, désintègre les fondamentaux du marché et nous met dans une position difficile. Nous devons réagir. La France doit réagir. L'Europe doit réagir », avait martelé Jean-François Loiseau, le président d’Intercéréales alors que le ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester était présent.

Un signe du ciel ?

Les plus mystiques y verront un signe de la justice du ciel. Les cours mondiaux du blé continuent de grimper, chauffés à blanc par la série noire météorologique frappant les grandes plaines céréalières de Russie : sécheresse et pics de chaleur en avril dans les plaines du sud, gelées et froid en mai dans la région Centre et la Volga avant un retour d'un temps trop sec. Des températures de 35 à 40°C dans le sud de la Russie sont attendues pour les deux prochaines semaines.

La surface impactée est estimée entre 1,5 et 2 millions d'hectares.
L'analyste russe de référence Ikar, qui tablait en début de campagne sur une récolte de blé de 93 Mt au maximum en 2024, ne cesse de revoir à la baisse ses prévisions, désormais à 81,5 Mt (contre une production de 91,5 Mt l'an dernier).

La production ukrainienne blé a également été revue à la baisse, à 19,1 Mt, par l'association des producteurs céréaliers ukrainiens (UGA), en recul de près de 3 Mt par rapport à la production de 2023.

En Europe, les conditions de culture restent très contrastées, entre Allemagne et France, où les analystes s'attendent à une perte de 4 à 5 Mt de blé par rapport à l'an dernier, et Roumanie et Bulgarie, où les rendements ont bien progressé.

Une bonne nouvelle ? Un pic a été atteint en début de semaine sur Euronext, avec un blé frôlant les 270 € la tonne sur l'échéance la plus rapprochée.

Adeline Descamps

 

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