La flotte marchande mondiale vieillit. Avec ses 13,7 ans consacrés en décembre dernier, elle est plus âgée qu'elle ne l'a été depuis plusieurs décennies, selon les données de la société de courtage et d’analyse Clarksons,
Le carnet des commandes des méthaniers et des porte-conteneurs – ces derniers composant le bataillon doyen, toutes catégories de navires confondus avec un âge moyen de 14,3 ans –, fera certes baisser la moyenne d’âge de la flotte mondiale.
Mais pour les pétroliers ou les vraquiers, les commandes sont limitées depuis plusieurs années. Et cela ne risque pas d'évoluer avant un temps certain, les porte-conteneurs mobilisant les créneaux des chantiers navals jusqu’à 2025 au moins.
350 nouveaux porte-conteneurs livrés en 2023
En 2023, les chantiers navals ont livré 350 porte-conteneurs d'une capacité totale de 2,2 MEVP, battant le précédent record de 2015 (1,7 MEVP) d’après les données de l'organisation maritime Bimco.
Les constructeurs chinois ont raflé près de 57 % des 178 porte-conteneurs commandés l'an dernier, laissant à leurs compétiteurs, les Sud-Coréens, 38 % de part de marché avec 51 unités (24 poir le Japon).
Selon Clarkson Research, les commandes mondiales de construction navale ont totalisé 41,49 millions de tonnes brutes compensées (TBC) en 2023, soit une baisse de 18,7 % par rapport à 2022.
Les constructeurs sud-coréens, numéro deux pour la troisième année
En 2023, la Corée du Sud n’aura pas récupéré la première place mondiale, perdue depuis trois ans. La Chine est restée en tête des commandes mondiales avec 24,46 millions de TBC et une part de marché mondiale de 59 % contre 10,01 millions de TBC pour son challenger, avec 24 %.
Les constructeurs sud-coréens ont vu leurs commandes chutées de plus de 37 %. Des trois grands constructeurs coréens, seul KSOE Korea Shipbuilding & Offshore Engineering, qui regroupe les chantiers navals coréens Hyundai Heavy Industries, Hyundai Mipo Dockyard et vietnamien Hyundai Vinashin, a atteint son objectif : 15,7 Md$ en 2023. Le cap a été franchi (142 %) lorsque l’entreprise a signé un contrat avec QatarEnergy en octobre concernant la construction de 17 méthaniers d'une valeur de 3,9 Md$.
Malgré des conditions de marché favorables, Samsung Heavy Industries (SHI) et Hanwha Ocean (ex-DSME) en sont loin. La dernière commande de l’année 2023 – deux très grands transporteurs d'ammoniac (VLAC) d'une valeur totale d’environ 240 M$ –, a permis à SHI d’honorer 72 % de son programme annuel de 9,5 Md$ de commandes.
Le troisième constructeur naval mondial, Hanwha Ocean, n’a réalisé que 57 % des 7 Md$ visés l’an dernier après avoir obtenu de l’État sud-coréen la construction d'un sous-marin d'une valeur de 1 000 milliards de wons (776 M$). En cause, la lenteur des négociations avec QatarEnergy, qui devrait acquérir plus de 100 méthaniers à terme.
Sortie des porte-conteneurs de Hanwha
Début janvier, Hanwha Ocean (cinq cales) a annoncé sa sortie du marché des porte-conteneurs, qui fut la principale vache à lait de l’ex-DSME, pour se concentrer sur les navires mieux rémunérés. Le constructeur abandonne un segment où il est de plus en plus difficile pour les Sud-Coréens d’être compétitifs face à la guerre des prix menée par leurs pairs chinois.
En raison de l'inflation et de l'augmentation des coûts de main-d'œuvre, Hanwha Ocean aurait perdu environ 10 milliards de wons (7,4 M$) sur chaque porte-conteneurs livré en 2023.
Ambition de la Chine dans les navires plus sophistiqués
La production de la construction navale chinoise a augmenté de 12,3 % au cours des 11 premiers mois de 2023 par rapport à 2022 pour atteindre 38,09 millions de tonnes de port en lourd (Mtpl), représentant 50,1 % du total mondial, selon les données du ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information.
Pour les chantiers navals chinois, l’année 2023 restera celle de l'émergence dans les méthaniers. Plusieurs grands chantiers navals, dont Jiangnan Shipyard, Dalian Shipbuilding Industry Jiangsu Yangzijiang Shipbuilding et China Merchants Industry, ont engrangé leurs premières commandes de ces navires, universellement reconnus comme les plus difficiles à construire en raison des techniques avancées qu'ils requièrent.
L'année dernière, les commandes mondiales de méthaniers se sont élevées à 5,54 millions de TBC, dont 4,41 millions de TBC pour la Corée du Sud, maîtres absolus sur ce segment, avec 80 % du marché mondial.
Mais depuis la livraison du Dapeng Sun, le premier méthanier construit en Chine en avril 2008, Hudong-Zhonghua Shipbuilding a développé cinq générations de méthaniers. Ayant obtenu 37 nouvelles commandes en 2022, l'entreprise, basée à Shanghai, entend doubler sa capacité de construction et accélérer ses programmes de R&D
En septembre, son premier méthanier conçu et développé en interne, qui avec sa cuve de 271 000 m3 est le plus grand au monde, a reçu des certificats d'approbation de principe de la part de quatre grands organismes de classification.
L'année dernière, Jiangnan Shipyard, également une unité de CSSC, a livré son premier VLGC (Very Large Gas Carrier) à double carburant et parmi les plus grands navires de ce type au monde avec sa capacité de transport de 93 000 m3 de gaz liquéfié.
S'imposer dans les navires verts
Dans la même veine, l'industrie coréenne de la construction navale redouble également d'efforts pour s’imposer dans les navires verts, tels que des porte-conteneurs alimentés au méthanol, des transporteurs de dioxyde de carbone liquéfié et les transporteurs d'ammoniac.
Une ambition que partage la Chine, qui s'est fixé pour objectif de produire plus de la moitié des navires mondiaux alimentés par des carburants plus propres d'ici 2025, selon des directives publiées par le ministère de l'Industrie chinois.
Positionnement sur les paquebots
La Chine semble aussi avoir des velléités dans la construction de paquebots, un des derniers territoires d’ingénierie et de construction des Européens (Italie, France, Allemagne et Finlande), les Chantiers de l’Atlantique étant un des fleurons.
Le premier grand navire de croisière construit en Chine, l’Adora Magic City, par le groupe China State Shipbuilding Corp. (CSSC) dans son chantier de Shanghai Waigaoqiao Shipbuilding, a entamé son voyage inaugural ces derniers jours au départ de Shanghai.
« Seuls cinq chantiers navals dans le monde ont l'expérience de la construction de grands paquebots. Le développement de l'Adora Magic City [lancé en 2013, NDLR] a mis fin à la domination de trois chantiers navals européens dans la construction de grands navires de croisière », s’est emballé Xing Yue, directeur général de Clarksons Research en Chine.
Quelque 2,3 millions d'heures de travail auront été consacrées à sa conception et 18 millions d'heures de travail à sa construction indiquent les autorités chinoises.
Long de 323,6 m et large de 37,2 m, le navire, d'une jauge brute de 135 500 tonnes, peut accueillir 5 246 passagers dans ses 2 125 cabines. La construction du deuxième paquebot a débuté en août 2022. L’expérience acquise devrait réduire de 20 % les heures de travail, ce qui permettra de réduire les coûts de construction et d'améliorer l'efficacité, espèrent les officiels chinois.
Un total de 4 359 navires représentant 122,58 millions de tonnes de port en lourd sont actuellement inscrits dans les carnets de commande mondiaux, les chantiers navals chinois ayant arraché des commandes pour 2 539 navires représentant 59,34 Mtpl.
Adeline Descamps