Secoué par la déroute de l'exploration pétrolière, l’un des plus grands constructeurs mondiaux de plateformes offshore, a annoncé son retrait du marché pour se positionner sur les infrastructures dans le domaine des énergies renouvelables. Il se donne trois ans pour opérer sa transformation.
Petit séisme dans le secteur de la construction de plateformes pétrolières. Keppel Offshore & Marine, l’un des plus grands si ce n’est le premier d’entre eux, se retire du marché de l’offshore pétrolier sur lequel il était positionné depuis les années 70 mais qui épuise sa trésorerie depuis une décennie. L’épidémie de coronavirus, qui a littéralement asséché les investissements dans l’exploration pétrolière et sans doute de façon structurelle, a fini de le convaincre de mettre les voiles. En 2020, l’entreprise singapourienne, qui a pour actionnaire le fonds souverain national Temasek, a encaissé une perte de 380 M$ en raison d'importantes dégradations.
Keppel répare et repart donc sur d’autres bases, moyennant une grande opération de restructuration de ses activités et de reconversion verte. « La part des énergies renouvelables et des nouvelles solutions énergétiques dans le bouquet énergétique mondial a augmenté rapidement, sous l'effet des préoccupations environnementales, de l’évolution des technologies et de la baisse du coût des énergies renouvelables », justifie Loh Chin Hua, PDG de Keppel Corp., la maison mère, et président de la filiale Keppel O&M. Le dirigeant estime par ailleurs que le gaz naturel – « carburant de transition » – devrait supplanter le pétrole en tant que première source d'énergie au monde « dans les années à venir ».
Pour ne pas passer à côté des opportunités dans ces environnements en pleine évolution, « nous prenons des mesures audacieuses et décisives », ajoute le PDG, qui espère ainsi gagner en souplesse et réactivité conformément à sa stratégie Vision 2030.
Des activités qui contribuent au résultat net
Keppel va donc se retirer progressivement – une fois ses contrats en cours honorés – du secteur de la construction de plateformes offshore et se concentrer sur celle d'infrastructures dans le domaine des énergies renouvelables : parcs éoliens offshore et solaires, solutions gazières, nouvelles solutions énergétiques telles l'hydrogène et l'énergie marémotrice…
Dans la même optique, l’entreprise se discipline quant à l’allocation de ses ressources, renonçant à tout nouveau projet « nécessitant d'importants investissements initiaux ou sans paiements d'étape ». Elle abandonnera aussi progressivement toutes activités à faible valeur ajoutée (notamment la réparation).
En clair, il s’agit de soigner les contributions de ses activités au résultat net. « Nous voulons créer un groupe industriel agile qui soit bien positionné pour la transition énergétique et qui puisse contribuer fortement à l'objectif d'un rendement des capitaux propres de 15 % », poursuit dans le communiqué Loh Chin Hua.
Remaniement
Une décision opportune mais courageuse, ont salué certains analystes, sans doute eux même pris de court par la rapidité avec laquelle la réalité commerciale se met en phase avec la nouvelle donne du marché : les acteurs se positionnant sur les énergies renouvelables en mer s’accélèrent, devançant même la législation.
Pour opérer cette montée en gamme, le groupe sera restructurée en trois parties, après une période de transition au cours de laquelle deux entités transitoires (Rig Co et Dev Co) coifferont les actifs dépréciés (ceux en lien avec l’exploration pétrolière), achevés et non achevés, d'une valeur d'environ 2,9 Md$ tandis qu’une société d'exploitation (Op Co), intégrera les actifs énergétiques et d'infrastructures offshore.
Si la société de forage (Rig Co) génère un flux de trésorerie, elle pourrait faire l'objet d'une scission partielle ensuite. En attendant, elle devrait être autonome financièrement et ne pas nécessiter de financements. La société de développement (Dev Co) sera liquidée une fois les plateformes achevées et livrées aux clients, ou transférées à la société de forage, où elles seront mises en service ou vendues.
La priorité sera donnée à l'achèvement des contrats fermes avec les clients, indique l’entreprise. Dev Co devrait, pour cela, « avoir besoin d'un financement d'environ 500 M$. Ces fonds seront alloués par Keppel Corp. et remboursés au fil du temps. »
Keppel - Sembcorp : Rapprochement en vue entre deux rivaux de l'offshore ?
Que devient Sembcorp Marine ?
La direction revendique un « solide carnet de commandes de 3,3 Md$, dont 82 % dans les énergies renouvelables et les solutions gazières ». Mais elle n’exclue pas une certaine rationalisation, y compris la réaffectation ou la cession d'une partie de ses chantiers navals. Dans le même temps, elle investira pour renforcer ses capacités dans ses nouvelles activités. Le groupe de Singapour part à marche forcée et espère avoir parachevé sa mue d’ici les « deux ou trois prochaines années ». Message aux marchés : la restructuration ne devrait pas avoir d'impact significatif sur les actifs corporels nets par action ou sur le bénéfice par action de la société pour l'exercice en cours.
Tous les regards se portent dorénavant sur Sembcorp Marine, l'autre grand constructeur de plateformes de Singapour. En octobre 2019, le fonds d'investissement public Temasek, détenu par l'État singapourien, était prêt à mettre sur la table 2,94 Md$ pour prendre le contrôle de Keppel, dont il détient un peu plus de 20 % du capital. Cette opération, qui a connu quelques accrocs l’an dernier, a néanmoins rendu plus probable encore une fusion des deux grands rivaux historiques dans la mesure où le fonds souverain est aussi actionnaire de Sembcorp. L’autre grand de Singapour n’a pas non plus été épargné par la difficile conjoncture pétrolière. Pertes financières, fermeture de chantiers, appel à des fonds publics ont permis de le maintenir à flot ces dernières années.
Adeline Descamps