Soutenues par le pouvoir central, les grandes entreprises de raffinage chinoises envisagent de former une centrale d’achat de brut afin d'accroître leur pouvoir de négociation et d'éviter les guerres d'enchères. Elle deviendrait alors le plus gros acheteur de brut au monde. Dans un environnement de marché bouleversé par une pandémie planétaire, les termes des contrats, qui ne permettent pas toujours d’ajuster les volumes, ont généré des tensions entre acheteurs et vendeurs.
Selon Bloomberg, il y a des tractations intenses entre China Petroleum & Chemical Corp. (Sinopec), PetroChina, Cnooc et Sinochem pour régler les détails d’un plan qui aurait obtenu l’aval du pouvoir central chinois et des organismes de surveillance des secteurs concernés.
L’attelage serait prêt à émettre des offres collectives pour certaines qualités de pétrole russe et africain sur le marché spot, ont-ils dit. Ensemble, les raffineurs qui importent plus de 5 millions de barils de pétrole par jour, représenteraient près d'un cinquième de la production totale de l'OPEP. Le dossier, s’il traînait dans les tiroirs, a sans doute remonté en haut de la pile à la faveur des tractations au sein des pays producteurs et exportateurs de pétrole de l’OPEP pour obtenir des baisses historiques de production afin de soutenir le cours du brut en déroute.
Termes des contrats sujets aux tensions entre acheteurs et vendeurs
Les importateurs chinois, qui ont des contrats d'approvisionnement à long terme avec l'Arabie saoudite et d'autres grands producteurs, ont eu du mal cette année à gérer la quantité de brut reçue chaque mois, dans lun contexte de fluctuation de la demande intérieure, de marges de raffinage et de gonflement des stocks. Dans cet environnement de marché bouleversé par une pandémie planétaire, les termes des contrats, qui ne permettent pas toujours d’ajuster les volumes et favorisent les vendeurs (Saudi Aramco, SOMO en Irak et Adnoc à Abu Dhabi vendent tous leur brut aux prix officiels annoncés au début de chaque mois), ont généré des tensions entre acheteurs et vendeurs.
Les transformateurs et les ports indiens sont allés jusqu'à déclarer un cas de force majeure pour tenter de se soustraire à la levée des stocks de brut. Plus récemment, les acheteurs chinois et indiens ont aussi tenté de basculer sur du brut d'Arabie saoudite après que celle-ci eut réduit ses volumes conformément à l'engagement de l'OPEP+.
Offre commune pour du brut ESPO
Épicentre de l’épidémie, la Chine, plus grand importateur de pétrole au monde, a été la première grande économie à remettre en ordre de marche ses industries. Selon certains indicateurs, qui tendraient à penser à une reprise en forme de V, la consommation de pétrole par les raffineurs publics et privés du pays aurait favorisé un pétrole brut russe et brésilien sur le marché au comptant, ce qui a fait monter les prix. Selon Bloomberg, les raffineurs publics pourraient faire une offre commune pour des cargaisons russes du brut sibérien d’ESPO dès le mois prochain dans le cadre d'un essai.
La Chine vers l’autonomie en carburants conformes ?
Montée en puissance chinoise
En se regroupant, le groupement chinois espère avoir son mot à dire sur les volumes et les prix du brut acheté. Le mécontentent chinois sur les marchés du brut (tensions entre Sinopec et Aramco) coïncide singulièrement avec la montée en puissance du géant chinois en tant que producteur. Début janvier, l’exécutif chinois usait du levier de la fiscalité pour exhorter les raffineurs pétroliers à se positionner sur le marché du VLFSO avec pour ambition de devenir un hub de soutage dans la région, où trônent aujourd’hui Fujairah et Singapour. Plusieurs méga-raffineries ont ouvert ces dernières années, tandis que les théières du Shandong sont devenues des acheteurs réguliers de brut, notamment du Brésil et de la Russie.
Le royaume saoudien est aujourd’hui le plus grand fournisseur de la Chine. Il a exporté un volume record de 9,16 Mt de brut vers le géant asiatique en mai, suivi par la Russie avec 7,71 Mt et l'Irak avec 6,96 Mt. Les importations de pétrole brut de la Chine ont atteint le niveau record de 11,34 millions de barils par jour (Mbj), soit 47,97 Mt, en mai, les raffineurs ayant fait le plein pour profiter des prix très bas du brut.
Congestion portuaire
La brusque augmentation de l'approvisionnement en brut a entraîné une congestion portuaire dans la province de Shandong ces dernières semaines, causant des contraintes logistiques. La vague de pétroliers déferlant dans les eaux chinoises n'a pas pu être traitée rapidement en raison de la capacité portuaire limitée. Au 24 juin, les 41 navires transportant un volume consolidé de 51,07 Mbj attendaient d'être déchargés dans les ports de Shandong, selon le tracking de flux Kpler.
Depuis fin mai, au moins sept cargaisons de pétrole brut ont fait la queue pour être livrées dans des installations de stockage désignées par le Shanghai International Energy Exchange, ou INE, mais qui servaient auparavant aux raffineries indépendantes. Le débit journalier de brut d'une raffinerie de 8 Mt/an située à Weifang a été brièvement réduit de moitié, à environ 10 000 t, en raison de l’engorgement et des retards. La raffinerie s'appuyait généralement sur l'oléoduc Huangdao-Weifang pour livrer le pétrole brut d'un port du Shandong à son usine, mais l'oléoduc est actuellement utilisé pour transporter des barils de brut destinés aux réservoirs de stockage de l'INE pour le règlement de la livraison physique sur les marchés à terme du brut de Shanghai. En conséquence, les raffineries indépendantes, qui doivent trouver d'autres moyens de transporter le pétrole brut des terminaux pétroliers à leurs installations, ont basculé sur les camions et trains.
Selon les organisations professionnelles, la congestion prolongée pourrait affecter la production de carburant dans de nombreuses raffineries qui luttent pour reconstituer leurs stocks de matières premières. Il faudrait au moins deux à trois semaines pour qu'une cargaison de brut soit déchargée ces jours-ci à Yantai, et un délai encore plus long, d'environ 20 à 30 jours à Rizhao et Qingdao, ont déclaré à S&P Global Platts des responsables portuaires.
Adeline Descamps