L’idée de capter dans l’air ou dans les fumées industrielles du CO2 est séduisante, ne serait-ce que pour le rôle que le dioxyde de carbone est appelé à jouer dans l’avénement des carburants de synthèse promis à un bel avenir dans un monde décarboné. Les e-fuels résultent en effet du savant mélange entre l’hydrogène, de source renouvelable (éolien, solaire) ou nucléaire, et du CO2 capté.
Les propositions relatives à la technologie de capture et stockage de CO2 (CCS) ont été abordées lors de la réunion du Comité de protection du milieu marin à l’OMI en décembre 2022 (MEPC79) et devaient être examinées plus en détails au cours de la 80e session en juillet. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) en fait une technologie critique pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris contre le réchauffement planétaire. Dans son « US National Blueprint for Transport Decarbonization », le gouvernement américain en a également fait un levier essentiel à la décarbonation de ses industries. Les experts climat de l’ONU (Giec) ont estimé pour la première fois, dans leur dernier rapport de référence, que le monde devra recourir au captage et stockage du dioxyde de carbone pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le réchauffement climatique. La technologie fait de plus en plus d’émules mais fait débat quand elle est appréhendée dans son cycle de vie complet.
Dans le secteur maritime, l’intérêt est double, en tant que solution pour réduire les émissions générées par les navires, mais aussi pour l’acheminement du CO2 vers les lieux d’enfouissement ultime souvent envisagés dans le milieu marin
En mars dernier, le premier navire de transport de CO2 spécifiquement conçu à cet usage a été mis à l’eau au Japon sur le site de Shimonoseki Shipyard, filiale de Mitsubishi shipbuilding. Le navire d’une capacité de 1 450 m3 doit être livré au second semestre. Il sera affreté par Engineering Advancement Association of Japan (ENAA), une association de promotion de l’ingénierie, auprès de l’armateur nippon Sanyu Kisen. L’armateur japonais K-Line, Nippon Gas Line et l’université d’Ochanomizu, sont des parties prenantes du projet sur lequel ils interviendront notamment pour faire avancer la R&D sur le transport de CO2 liquéfié.
Fort de son expérience dans le développement de certains des premiers navires de gaz liquéfié il y a plus de 50 ans, Mitsubishi Shipbuilding semble vouloir prendre l’ascendant dans ce domaine en étant de la partie de la plupart des nouveaux projets avec les armateurs (nippons) qui s’intéressent à ce relais de croissance inespéré.
Mitsubishi Shipbuilding participe par ailleurs aux efforts de recherche en cours avec TotalEnergies, MOL et NYK, tous axés sur le développement de transporteurs de grande taille sachant que la densité du CO2 liquide est 2,5 fois plus importante que celle du méthane.
L’autre transporteur nippon, NYK, est aussi sur le pont. En janvier 2022, avec l’armateur de méthaniers Knutsen, ils ont mis sur les fonts baptismaux une nouvelle entité commerciale, détenue à parts égales et basée à Haugesund, en Norvège. Knutsen NYK Carbon Carriers (KNCC) sera positionnée sur ce nouveau marché.
MOL s’est aussi lancé sur ce marché émergent en 2021 en investissant dans la société norvégienne Larvik Shipping, dont les navires-citernes transportent du CO2 liquéfié depuis trois décennies pour le compte de Norsk Hydro, Yara, Praxair et Nippon Gases Europe. Les deux partenaires envisagent la conception et la commande de navires de plus grande taille. La joint-venture exploitera la technologie dite PCO2, développée par Knutsen, qui permet un transport à température ambiante. KNCC prévoit en outre de faire construire et d’exploiter des navires à basse et moyenne pression basés sur d’autres technologies.
Fin juin, le nom du transporteur japonais s’affichait encore en haut de l’affiche. Avec la compagnie pétrolière nationale malaisienne Petronas et SDARI (Shanghai Merchant Ship Design & Research Institute, pour les études conceptuelles de deux navires), MOL a décroché les approbations de principe (AiP) pour un transporteur de LCO2 et pour une unité de stockage et de déchargement flottant – un FSO LCO2 – auprès des principales sociétés de classification DNV et American Bureau of Shipping. L’obtention des AiP ouvre la voie à l’étape d’après: l’estimation des besoins de transport en volumes, les itinéraires et la localisation du FSO et des installations de stockage en mer.
L’année 2021 avait été marquée par la création de Dan-Unity, une compagnie dédiée au transport de CO2 capté, initiée par Evergas et d’Ultragas, deux compagnies danoises dans le transport maritime de gaz. La nouvelle entreprise vise à la fois le transport vers un site stockage ultime mais aussi sa réutilisation (CCUS) grâce à son partenariat avec Icelandic Carbfix. Le CO2 pourra ainsi être injecté dans le socle volcanique de l’Islande où il sera naturellement transformé en pierre en deux ans. La nouvelle coentreprise planche sur trois tailles de transporteurs de 50 000 m3, 20 000 m3 et 7 000 m3. Soit des unités bien plus grandes que la capacité maximale qui est actuellement d’environ 3 600 m3.
Dans les années 2010, des précédents avaient avorté. Le chantier sud-coréen HHI et Maersk Tankers avaient envisagé un temps de développer une nouvelle génération de transporteurs. L’autre géant de la construction navale sud-coréenne DSME (devenu depuis Hanwha Ocean) avait également lancé un projet mais celui-ci n’avait donné lieu à aucune précommande. Autres mœurs, autre temps.
* La technologie CSS vise à séquestrer le CO2 (sur des centrales de production d’électricité ou des sites industriels par exemple) et à le transporter vers des sites de stockage ultime. Dans certains cas, il peut aussi être réutilisé (CCUS), par exemple dans une centrale Power-to-X.