Avant que le conflit israélo-palestinien ne soit réactivé, tous les indicateurs étaient au vert pour le bataillon des OCV (navires de construction offshore) et OSV (navires de soutien offshore), qui comptent dans leur rang des PSV, AHTS et consorts, ces navires experts des eaux profondes et des environnements difficiles capables d’effectuer un large éventail d’opérations en support à l’industrie du pétrole et du gaz et au secteur des énergies renouvelables: installer des structures offshore, poser des pipelines, des fondations d’éoliennes, déplacer des structures lourdes, etc.
Les valeurs de ces actifs et les tarifs à l’affrètement se sont particulièrement raffermi ces derniers mois, du fait d’un équilibre favorable entre une offre restreinte et une demande stimulée par un alignement de planètes. Prix du pétrole élevé, reprise de l’exploration pétrolière et gazière, instabilité géopolitique, insécurité énergétique, soif d’énergies renouvelables sont autant de paramètres qui auront contribué à gonfler la demande.
L’offre de navires, elle, s’est tellement raréfiée qu’à certains moments de l’année, pratiquement aucune unité de construction sous-marine n’était disponible en mer du Nord pour des travaux ponctuels. « Une situation que l’on n’avait pas connue depuis plusieurs années », témoigne Barry Rogliano Salles (BRS), premier courtier maritime français.
En 2022, cette flotte spécialisée s’est aussi resserrée parce que « ces navires quittent progressivement les marchés conventionnels de l’industrie pétrolière et gazière pour l’installation d’éoliennes en mer. Certains opérateurs travaillent désormais autant pour les deux industries », ajoute le courtier.
Le raid sur les AHTS (remorqueurs de ravitaillement pour la manutention des ancres) opéré par la Chine, pour servir son marché croissant des énergies renouvelables, n’a rien arrangé, d’autant que le tonnage chinois « revient rarement sur les marchés internationaux », indique pour sa part VesselsValue, société spécialisée dans l’évaluation de la valeur des navires.
Ces mouvements sur le marché sont les dernières manifestations d’une certaine effervescence dans le pétrole et le gaz.
Les dépenses mondiales d’investissement dans le secteur sont en effet à leur plus haut niveau depuis dix ans. Après avoir passé le cap des 100 Md$ en 2022, elles devraient totaliser 214 Md$ sur 2023 et 2024, selon les estimations Rystad Energy, cabinet d’études spécialisé dans le secteur de l’énergie.
Même si les grandes majors, a fortiori cotées en bourse, sont sommées d’amender leur rapport à l’environnement et de rendre des comptes sur leur empreinte carbone à leurs actionnaires plus ou moins pressants, six des plus grandes – ExxonMobil, BP, Shell, TotalEnergies, Eni et Chevron –, restent en tête des sommes investies dans les énergies fossiles. « Mais cela ne signifie pas pour autant que ces dépenses soient exclusivement dédiées à l’offshore gazier et pétrolier », nuançait Fitch dans son dernier rapport, suggérant que les investissements traditionnels en amont seront progressivement délaissés au profit de ceux dans les énergies renouvelables, qui ne représentent encore qu’une part négligeable dans les dépenses globales.
« Les grandes entreprises du secteur de l’énergie diversifient leur portefeuille pour s’adapter à la transition énergétique. Mais le pétrole et le gaz restent des piliers du bouquet énergétique encore pour des années. L’enthousiasme pour les grands projets d’exploration en mer est intact. La nécessité de remplacer les réserves épuisées par des années de sous-investissement persiste et l’offshore offre une source majeure de barils de remplacement à long terme », réplique BRS.
En attendant, 102 millions de barils de brut par jour (mb/j) devraient être consommés en 2023 et quelque 4 000 milliards de m3 de gaz brûlés, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et l’Opep.
Bonne nouvelle pour le transport maritime, les investissements dans la prospection et l’exploitation de nouveaux gisements seront d’abord captés dans l’offshore, qui voit sa part passer à 68 %, contre 40 % durant la période 2015-2018, quand le baril valait à peine 30 $.
Les navires spécialisés comme les unités flottantes de production, de stockage et de déchargement (FPSO) devraient bénéficier de 21 Md$ sur 2023-2024. Douze de ces unités doivent être livrées cette année tandis que 15 autres sont prévues dans les trois ans.
Le constructeur Keppel Offshore and Marine est notamment à l’œuvre du très attendu FPSO P-80 pour le champ de Busios (Brésil) dans le cadre d’un investissement de près de 3 Md$. Il sera l’une des plus grandes unités au monde avec une capacité de production de 225 000 barils de pétrole et de 12 millions de m3 de gaz par jour et sera doté d’une capacité de stockage de 2 millions de barils. La première production est prévue pour 2026.
Les appareils de forage semblent aussi sur une rampe de lancement. C’est particulièrement manifeste pour les OSV, précieux pour acheminer des équipements aux plateformes ou réparer des éoliennes en mer – selon Clarksons, il y aurait plus de 5 000 OSV en service et plus de 600 en commande –, dont les taux journaliers moyens ont fait un bond de 20 % l’année dernière, selon VesselsValue.
Dans le domaine des PSV (navire de ravitaillement des plateformes de forage en mer), l’opération la plus éloquente de ces derniers mois est celle du saoudien Rawabi Holding qui, après avoir raflé à prix attractifs la plupart des PSV d’un chantier chinois, a pu se positionner avantageusement sur les vastes projets d’expansion pétrolière et gazière de Saudi Aramco. La grande compagnie pétrolière saoudienne a annoncé une augmentation de la production de pétrole dans sa région, avec un objectif de 13 millions d’ici 2027.
Pour y parvenir, Saudi Aramco a prévu d’y positionner 90 jack-up d’ici la fin de 2024. Ces navires de forage enregistraient, en fin d’année dernière, un taux d’utilisation proche de 90 % et des prix contractuels supérieurs à 400 000 $ par jour, portés par ces travaux.
« La crise a été longue et difficile pour tous ceux qui sont impliqués ou qui ont investi dans le secteur des navires offshore et des plateformes de forage. 2022 a illustré la rapidité avec laquelle les marchés peuvent évoluer lorsque les fondamentaux de l’offre et de la demande le justifient. En l’espace d’un an, le marché n’est plus que l’ombre de ce qu’il était en 2021 et l’amélioration devrait se poursuivre », assure un analyste de VesselsValue.
Le secteur est toutefois encore loin de la période des quatre glorieuses que furent les années 2010-2014. En une décennie, la donne aura bien changé, entre les entrepreneurs traditionnels du pétrole et du gaz, qui doivent s’adapter à un monde moins fossile, et les acteurs du secteur des énergies renouvelables, confrontés aux défis techniques en matière d’installation et d’entretien des éoliennes flottantes, à savoir des capacités de levage croissantes et des technologies plus sophistiquées. Dans un monde extrêmement intranquille, encore faut-il que ce retour aux affaires ne soit pas contrarié par une forte escalade des risques géopolitiques, notamment au Moyen-Orient, par où transitent plus d’un tiers du commerce maritime mondial de pétrole.
Au regard de l’actualité récente, il n’est pas certain qu’ils soient tous concrétisés. Mais selon les projections de Rystad Energy, à eux trois, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar prévoient de consacrer 33 Md$ en 2023 et jusqu’à 41 Md$ en 2025 à l’exploitation offshore. Alors que ces pays ont les coûts d’extraction de pétrole onshore parmi les plus faibles du monde, pour la première fois, le financement de l’activité en amont (découverte et production) dans l’offshore sera supérieur au onshore. Ainsi, Saudi Aramco, la compagnie publique pétrolière saoudienne, a annoncé qu’elle allait accroître ses capacités de production sur ses sites offshore de Marjan et de Berri dans le golfe Persique de respectivement 300 000 barils par jour (b/j) et 250 000 b/j d’ici 2025. De même, sur son site offshore de Zuluf, elle compte extraire 600 000 b/j d’ici 2026. La compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi, Anoc, prévoit aussi de produire 5 millions de barils de pétrole par jour d’ici 2025.
En Europe, le Royaume-Uni et la Norvège (premier pays fournisseur européen de gaz depuis la fermeture des vannes russes) sont très actifs en mer du Nord, où ils ont prévu de dépenser respectivement 30 % et 22 % de plus par rapport à 2022, soit 7 et 31,4 Md$ selon Rystad Energy.
Oslo lorgne le nouveau gisement Irpa, situé en eaux profondes (1 350 m) dans la mer de Norvège, un gisement estimé à 20 milliards de m3, par la compagnie pétro-gazière du pays, Equinor. Avec d’autres partenaires, elle a prévu d’investir 1,4 Md$ avant une mise en exploitation d’ici la fin 2026 jusqu’en 2039. De l’autre côté de l’Atlantique, en Amérique du Nord, 17,7 Md$ devraient être investis aux États-Unis.
L’augmentation régionale des investissements dans le pétrole et le gaz offshore a conduit à une consolidation majeure du marché.
En mars 2022, Tidewater a acheté Swire Pacific Offshore en mars pour 190 M$, ajoutant 50 navires de soutien offshore (OSV) à sa flotte, ce qui en fait le premier opérateur mondial. Adnoc Logistics & Services, filiale de services maritimes détenue par la compagnie émiratie dans le gaz et le pétrole, a acquis Zakher Marine International, étoffant sa flotte de 60 de ces OSV et OCV. La taille de Noble Drilling a considérablement augmenté à la suite de sa fusion avec Maersk Drilling. Transocean reste le plus grand propriétaire de plateformes flottantes de forage avec 39 unités. Le nouveau venu sur la scène est Ades, qui a acheté plus de 20 des 56 unités vendues l’année dernière, doublant ainsi sa flotte.