Il était de notoriété que le contrat « Airbus » de transport des sous-ensembles d’avions entre ses différents sites de production, dont Louis Dreyfus Armateurs (LDA) est titulaire depuis les années 2000 avec trois rouliers affrétés, était en cours de renouvellement.
On savait que les exigences en matière de décarbonation de l’avionneur européen allaient être resserrées. En attendant l’arrivée incertaine d’un avion zéro carbone fonctionnant à l’électricité ou à l’hydrogène, le constructeur aéronautique traque ses émissions industrielles de Scope 1 (directes) et 2 (indirectes) qu’il s’est engagé à réduire jusqu’à 63 % par rapport à 2015 d’ici la fin de la décennie 2030.
Or, si les versions qui sortiront des lignes d’assemblage entre 2030 et 2035 émettront 20 % de CO2 de moins que les précédentes, il reste que la production mondiale du très attendu SAF (sustainable aviation fuel), alternative au kérosène, ne permet pas, à ce stade, d’envisager le grand abattage. Il a répondu l’an dernier à moins de 0,1 % des 300 Mt de kérosène consommées chaque année dans le ciel et sur le tarmac.
Autant dire que les gisements d’économie en matière de gaz à effet de serre de l’un des transports les plus énergivores sont d’abord à capter dans la supply chain. C’est l’un des items de l’appel d’offres du constructeur aéronautique.
Face à une dizaine de soumissionnaires, dont quatre retenus en dernière sélection, l’armateur français, devenu le spécialiste des services industriels en mer ad hoc, a été retenu pour mettre en œuvre une nouvelle flotte, dont les émissions moyennes de CO2 devront être réduites de 68 000 à 33 000 t par an d’ici 2030. Sachant qu’il s’agit de trajets transatlantiques, entre Saint-Nazaire et Mobile aux États-Unis, où est implantée la ligne d’assemblage final des monocouloirs.
Pour ce faire, le groupe français va construire, acquérir et exploiter trois nouveaux navires, à livrer en 2026. Le contrat d’affrètement est prévu sur quinze ans ferme, assorti d’une option pour cinq années supplémentaires.
Pour LDA, le renouvellement de la confiance qui lui est ainsi témoignée est une belle carte de visite. Après avoir obtenu le transport des composants de l’A380, de l’A320 et de l’A400M, Louis Dreyfus Freight Solutions avait également été retenu en octobre 2021 pour les pièces du programme de l’A220 (destinés à remplacer les monocouloirs A318 et A319), entre le site de production de Shenyang en Chine et l’usine d’assemblage à Mirabel au Canada via le canal de Panama.
Pour ce nouveau contrat, la filiale spécialisée dans la commission de transport et les services de logistique maritime s’est associée à l’armateur roulier norvégien Wallenius Wilhelmsen, spécialiste de la logistique des véhicules, en vue d’offrir un combiné route-mer.
Le nouveau marché répond par ailleurs à l’ambition d’Airbus d’augmenter la cadence de production de la famille A320 à 75 appareils par mois d’ici 2026. « Les nouveaux navires auront la capacité de transporter environ 70 conteneurs de 40 pieds et six sous-ensembles de monocouloirs (ailes, fuselage, mâts réacteur, empennages horizontaux et verticaux) contre trois à quatre sur les cargos actuels », précise LDA.
Airbus va mieux. Après des années de crise où les avions ont été cloués au sol, le marché est reparti pour le rival historique de Boeing. La commande historique de 500 exemplaires de son A320 Neo par la compagnie indienne Indigo lors du Salon du Bourget en juin dernier en témoigne. Son carnet de commandes lui assure, en tout cas, plus de dix ans de production avec 8 024 commandes fermes, selon le relevé arrêté fin août.
Avec ce contrat, la compagnie maritime, dont les origines historiques remontent à plus de 160 ans, ratifie sa stratégie bâbord tribord opérée en deux décennies, en passant du transport maritime dans son plus simple appareil, avec des vraquiers, à la prestation maritime complexe avec des navires conçus pour répondre à des besoins spécifiques.
L’acteur historique du vrac en France LDA s’est d’abord « dérisquée » des capesize et du spot, marché accaparé par les puissants groupes miniers, pas « raisonnable » pour une entreprise familiale qui ne peut pas se permettre de gagner « déraisonnablement plein d’argent sur une période courte, mais aussi d’en perdre énormément sur une période plus longue », ni d’être là « où les Chinois peuvent faire presque aussi bien, mais surtout moins cher », selon les propos de Philippe Louis-Dreyfus, artisan de l’évolution de la société vers les services maritimes en mer.
Après s’être recentrée sur les handysize, qui autorisaient une approche industrielle avec des contrats de long terme, la société a mis un point final à son passé en août 2022, prête à assumer son positionnement plus expert dans la logistique maritime et portuaire.
S’y rangent les activités Airbus, mais aussi les solutions marines industrielles, telles la pose et la réparation de câbles sous-marins à fibre optique, secteur dans lequel LDA est engagé dans une coentreprise avec Alcatel Submarine Networks/Nokia pour opérer la plus grande flotte de câbliers (12 navires). Ou encore la logistique éolienne avec des navires de services SOV, affectés à la maintenance des pales, des turbines et le transport des techniciens pour des grands comptes du secteur.
Dire que dans les années 2000, sans même y être invité, LDA avait procédé au culot, en proposant au constructeur aéronautique européen une logistique maritime complète. Sur la simple conviction que le Beluga ne suffirait pas à convoyer les éléments du fuselage du très gros-porteur à naître, l’A380. En forçant la main, LDA a créé le besoin qui rencontre aujourd’hui l’impérieuse nécessité de décarboner. Un tour de force d’autant que l’offre de l’armateur a survécu au feu A380.