Pour le transport de passagers et la plaisance, les bateaux zéro émission se multiplient depuis quelques années. En ce qui concerne le transport de marchandises et la logistique, en revanche, les projets sont plus rares. Fludis fait figure de pionnier avec une barge électrique, portant le nom de l’entreprise, entrée en service en septembre 2019. Objectif: transporter des colis pour Lyreco, Ikea et Paprec depuis le port de Gennevilliers jusqu’au centre de Paris. Embarqués sur palettes grâce à la grue dont est équipé le bateau de 40 m, les colis sont préparés à bord, pendant la navigation, en vue de la tournée de distribution urbaine qui s’effectue en vélos-cargos, eux-mêmes stockés à bord. Fludis avait un temps d’avance sur la logistique urbaine habituelle portant le nom de l’entreprise, en combinant l’utilisation du fluvial pour pénétrer au cœur de la ville avec une énergie zéro émission pour la navigation comme pour la distribution finale. Le bateau-entrepôt a cependant été victime, peu de temps après son lancement, d’une avarie liée à sa propulsion électrique innovante. L’entreprise a continué son activité avec un autre bateau plus classique en attendant le retour du Fludis équipé de batteries électriques fonctionnelles.
Un entrepôt navigant de proximité
Aujourd’hui, il est au service exclusif de Lyreco pour des livraisons dans Paris de fournitures de bureau. Cette entreprise n’ayant plus d’établissement à Gennevilliers, les embarquements se font quai d’Austerlitz, où la marchandise palettisée passe directement à bord depuis les camions en provenance de l’entrepôt Lyreco de Villaines-la-Juhel en Mayenne. Plateforme itinérante de cross-docking, le bateau a deux escales dans Paris, aux ports du Gros-Caillou et de Solférino. De là, les huit à dix vélos-cargos peuvent effectuer quatre tournées quotidiennes pour livrer 5 à 10 t de colis dans les arrondissements parisiens bordés par la Seine.
« La limite des vélos cargos, c’est leur capacité d’emport et la distance parcourue », explique le fondateur de la société, Gilles Manuelle. « Il faut donc un entrepôt de proximité. Ce rôle est assuré par notre Fludis, présent tous les jours à la même heure au même endroit. Cela garantit un cadencement régulier que le transport routier ne sait plus faire à Paris. » Le concept séduit puisque l’entreprise a un nouveau projet, qui concerne cette fois le canal Saint-Denis, au nord de Paris. Deux barges sont en cours de construction au chantier Manche Industrie Marine à Dieppe. Elles devraient entrer en service à la fin de l’été. Il s’agira de barges poussées, ce qui présente l’avantage de désolidariser la motorisation de l’exploitation de l’entrepôt flottant. Une solution de décarbonation des pousseurs pourra donc être trouvée dans un second temps.
Cap sur l’hydrogène
Blue Line Logistics franchit une étape de plus dans la logistique fluviale décarbonée, avec une propulsion sur pile à combustible à hydrogène. La filiale du groupe Sogestran exploite au Benelux et en France des barges automotrice de 50 m adaptées à la logistique urbaine et appelées Zulu. Ces bateaux gréés ont la particularité de ne pas disposer de cales mais d’embarquer la marchandise en pontée: colis, palettes, big bags, voire petits véhicules de livraison.
Depuis mars 2020, Blue Line Logistics a positionné un de ces Zulu à Paris pour des transports urbains de colis lourds ou de matériaux de construction. Le 22 juin, une cinquantaine de palettes de dalles de granit ainsi que des big bags ont ainsi été embarqués à Argenteuil (95) à bord du Zulu 3 et déchargés le lendemain au port de Champs-Élysées, au cœur de Paris. Il s’agit d’alimenter le chantier de rénovation des trottoirs de l’avenue des Champs-Élysées opéré par Fayolle à partir de septembre. La livraison de 22 000 m2 de dalles de granit est prévue.
Le Zulu 3 dispose d’une motorisation diesel classique. Le Zulu 5, exploité par Blue Line à Lyon, est quant à lui équipé de moteurs électriques alimentés par groupe diesel. C’est aussi le cas du Zulu 6. Du moins pour l’instant.
Construit en Roumanie aux chantiers ATG de Giurgiu, filiale de Piriou, le dernier-né de la flotte Sogestran a été équipé en diesel-électrique. C’est avec cette motorisation qu’il a remonté le Danube et descendu le Rhin pour rejoindre Le Havre en mars dernier au terme d’un remorquage maritime. Dans le port normand, Zulu 6 est actuellement en cours de transformation afin de recevoir une pile à hydrogène Ballard de 400 kW. Il conservera cependant son groupe électrogène diesel en solution de secours, l’hydrogène en navigation fluviale étant soumis à dérogation réglementaire.
Aboutissement en 2023
Sogestran évalue à 4 M€ la valeur du Zulu 6, soit un coût de construction doublé. Ce surcoût est cependant compensé par des subventions, en particulier dans le cadre du projet Flagship. S’y sont greffés la compagnie norvégienne Norled avec un navire à passagers alimenté à l’hydrogène et l’armateur fluvial néerlandais FPS, qui a trois porte-conteneurs fluviaux à hydrogène en projet, dont le premier naviguera courant 2023.
Zulu 6, quant à lui, devait naviguer dès la fin de cette année. Sa première consommation d’hydrogène a cependant été reportée à début 2023. L’hydrogène compressé à 350 bars sera stocké dans un conteneur sur le pont, ce qui permettra d’échanger facilement le réservoir vide par un plein. Cette facilité à charger l’hydrogène à bord avait orienté Sogestran vers un Zulu à hydrogène, alors que l’entreprise nantaise projetait initialement d’utiliser ce carburant pour un pousseur de barges à conteneurs sur le Rhône. Zulu 6 sera le premier à hydrogène sur la Seine. Le carrier et cimentier Cemex, de son côté, travaille à un projet de pousseur à hydrogène pour déplacer les barges de granulats sur la Seine. Le lancement de la construction est envisagé pour en 2023.