Qui pourraient être les usagers? C’est cette question qui s’est imposée à Bordeaux bien avant que l’hydrogène ne s’inscrive dans les priorités étatiques. Dès 2019, le port s’est associé à deux énergéticiens, Storengy et Hensoldt (Nexeya), pour y répondre. Financé par l’Europe, le projet H2 partait de l’hypothèse de récupération des 3 000 t d’hydrogène fatal, actuellement rejetées par le producteur de chlorate de sodium Nouryon, basé à Ambès. Faute de technologies avancées, l’usage de l’hydrogène, qu’il soit gazeux ou liquide, pour des navires marchands a été écarté. En revanche, l’étude a démontré une faisabilité technique pour l’alimentation des navettes fluviales Bat3 fonctionnant au diesel ainsi que pour les bus et les bennes à ordures ménagères.
Même si la technologie en est encore au stade du prototype, l’acquisition d’un locotracteur hydrogène est également envisageable sur la liaison ferroviaire entre Bassens et Ambarès, tout comme le retrofit du réseau local de bus. « Le coût élevé de l’énergie, cinq fois plus qu’avec un carburant fossile par exemple pour le locotracteur, reste un frein », indique Thibaut Guillon, chef de projet nouvelles énergies et innovations au Grand port maritime de Bordeaux). La quantité, 3 000 t, s’est aussi avérée « trop importante pour la mobilité mais pas assez pour l’industrie. C’est donc surtout par l’usage industriel qu’on pourra atteindre une consommation plus importante et une baisse des coûts. »
Attirer les e-carburants
Parmi les pistes industrielles les plus intéressantes s’est ainsi imposée celle des carburants de synthèse à partir d’hydrogène tels que l’e-ammoniac, le e-méthanol, le HVO (huile végétale hydrogénée), dont le trafic maritime a d’ailleurs déjà démarré sur les quais bordelais. « L’hydrogène n’est dès lors plus considéré pour ces propriétés énergétiques mais chimiques », ajoute Thibault Guillon pour qui le port de Bordeaux dispose des conditions logistiques pour attirer des producteurs d’e-carburants.
L’une d’elles, primordiale, est celle de l’offre foncière. Il faut de la place pour implanter une unité de production d’hydrogène, mais également pour la relier à une source d’énergie verte, nécessaire au procédé d’électrolyse: fermes photovoltaïques ou éoliennes, elles aussi gourmandes en foncier. Sur ce point, le GPMB, avec ses sept terminaux entre Bordeaux et Le Verdon, ne manque pas de terrains prêts à l’emploi.
D’ores et déjà, GH2 s’est positionné sur 50 ha à Ambès pour installer en 2027 un électrolyseur de 300 MW couplé à une ferme photovoltaïque sur 46 ha afin de produire de l’ammoniac et des e-carburants. En parallèle, le GPMB a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour une ferme photovoltaïque sur 45 ha au Verdon alors que la région compte déjà des projets comme la ferme géante photovoltaïque de Saucats.
Des infrastructures existantes
« Parmi les autres conditions logistiques, il y a aussi l’importance d’un raccordement gazier et électrique et d’un réseau d’eau industriel suffisant », ajoute Thibaut Guillon, même si Bordeaux peut s’appuyer sur les infrastructures (réception, stockage, pipeline…) existantes dédiées au traitement des hydrocarbures ainsi que de l’ammoniac, du méthanol, des huiles….
Pour favoriser l’émergence de cette filière, l’autorité portuaire travaille en parallèle avec l’aéroport à une éventuelle production, sur la zone portuaire, de carburants bas carbone pour l’aviation. Des projets sont également en cours sur du retrofit de navires et pour tester un stack d’électrolyse bridé à 2 MW alimenté par du photovoltaïque à Bassens. « C’est un terreau favorable. On voit avec GH2 que les industriels se lancent. La dépendance énergétique et le coût actuel des carburants devraient accélérer les projets », veut croire Thibault Guillon.
1 Gigawatt
Telle est la capacité d’électrolyse que le port de Bordeaux ambitionne d’atteindre d’ici huit ans, soit 1/7e de l’objectif national à l’horizon 2030. Les usages de mobilité ne représenteraient que 0,1 %.