Les armateurs ont plutôt bien franchi le passage du gué que représentait le premier trimestre avec son lot de chausse-trappes: absorber la hausse des coûts liés à la réglementation sur le soufre dans les carburants marins en vigueur depuis le 1er janvier dernier et amortir le choc d’une crise d’un genre inédit, dont on connaît désormais les nombreux impacts.
En dépit de ces attaques obliques, la plupart des premiers transporteurs mondiaux dans le secteur du conteneur ont manœuvré avec l’agilité financière nécessaire pour sortir de l’ornière trimestrielle avec des ratios financiers améliorés par rapport au premier trimestre 2019. La croissance moyenne de la marge d’exploitation des dix premiers transporteurs s’est élevée, relève Alphaliner, à 2,6 % contre 1,7 % enregistré un an plus tôt, alors même que la plupart affiche des volumes à la baisse (en moyenne de 3 %). Seules les compagnies One et HMM présentent des marges d’exploitation en repli, respectivement de 0,9 et 2,3 %. Les autres oscillent dans une fourchette entre 6,5 % (Hapag-Lloyd) et 3,2 % (Cosco). Le leader mondial Maersk a enregistré une croissance de sa marge de 5,8 % devant le transporteur français CMA CGM, à + 5,4 %.
Amortisseurs
Exceptés les armateurs japonais et sud-coréen, en déficit de 27 et 22 M$, leurs homologues affichent tous des bénéfices, plus ou moins confortables: 552 M$ pour Maersk, 296 M$ pour CMA CGM, 241 M$ pour l’armateur allemand Hapag-Lloyd et 241 M$ pour le géant chinois Cosco. Pour les autres de la classe conteneurisée, les résultats sont maigres. Les taïwanais Evergreen et Yang Ming doivent se contenter de 12 et 4 M$ respectivement. Les compagnies israélienne et chinoise ZIM et Wan Hai affichent 27 et 21 M$ de bénéfices.
L’application des surcharges sur le bunker – le coût moyen par tonne de soute a augmenté de 23 à 33 % au premier trimestre – a joué les amortisseurs pour absorber le surcoût lié au VLSFO, que la majorité des navires, faute d’être équipés de scrubbers, ont brûlé. L’écart entre le fuel à 3,5 % de teneur en soufre et celui à 0,5 % s’étant considérablement resserré dans un contexte de cours du pétrole anémiés, le deuxième trimestre devrait être de ce point de vue encore plus confortable
Taux de fret en hausse de 5 %
La gestion serrée de l’offre et la demande a par ailleurs permis de maintenir les taux de fret (en moyenne en croissance de 5 %).
Fin juin, les prix spot pour le transport de conteneurs sur les routes maritimes Asie-Europe ont connu leur plus haut niveau depuis 2015, indiquait la dernière note de Drewry. L’indice mondial composite des conteneurs établi par l’analyste (World Container Index) sur huit grands trafics Est-Ouest avait alors atteint 1 885,17 $/EVP, soit une hausse de 39,3 % par rapport à la même période de 2019. Le pic avait été atteint alors que la flotte comptait 453 porte-conteneurs inactifs pour environ 2,32 MEVP retirés du marché.
Alors que la demande en Europe opère progressivement son redressement sur un marché du transport maritime par conteneurs où la capacité est limitée, les taux sur les trafics Shanghai-Rotterdam et Shanghai-Gênes étaient, fin juin, 26 % et 25 % plus élevés qu’il y a un an, respectivement. Sur le commerce transpacifique, après plusieurs semaines de gains, les taux de Shanghai à Los Angeles repartaient à la baisse mais restaient 68 % plus élevés qu’il y a un an. Sur les routes transatlantiques, les tendances étaient toutefois à la baisse: les prix de Rotterdam à New York avaient perdu 134 $ pour s’établir à 2 443 $/EVP. De même, les prix moyens de New York à Rotterdam avaient baissé de 2 %, à 509 $/EVP.
9 Md$ de bénéfices?
Cette orthodoxie a pris les analystes en défaut. Début avril, le consultant danois Sea-Intelligence faisait état de deux théories. Dans la première, les transporteurs perdaient 10 % de leur volume mais maintenaient leurs tarifs stables, limitant ainsi les pertes collectives à 800 M$ en 2020. Dans l’autre, le volume et les tarifs cédaient 10 %, entraînant une perte spectaculaire de 23 Md$. Le danois a dû corriger le trait. Selon un nouveau scénario, si les transporteurs entament une guerre des prix au cours du second semestre, ils risquent alors de perdre 7 Md$. Mais s’ils maintiennent les tarifs à leur niveau actuel, il se pourrait bien qu’ils empochent plus de 9 Md$ de bénéfices.
Les résultats obtenus grâce à une rigoureuse gestion de l’offre et de la demande a poussé l’agence de crédit Moody’s à reconsidérer ses notations émises fin mars. L’agence de notation avait mis la note B2 de CMA CGM sous examen en vue d’un déclassement, en raison de la structure du capital relativement faible de la compagnie française. En février, la perspective avait déjà été abaissée de « stable » à « négative ». Moody’s avait également abaissé les perspectives de Maersk et Hapag-Lloyd.
Des trois compagnies maritimes européennes, le transporteur tricolore reste le moins bien noté. Et le nouveau prêt garanti par l’État de 1,05 Md$ qu’il a obtenu auprès d’un pool bancaire ne l’aidera pas à remonter dans les tablettes de Moody’s car il ne modifiera pas en soi la structure du capital mais servira en majorité à rembourser d’autres dettes au sein du groupe.