Fin mars, la malédiction s’abattait sur le secteur pétrolier et la sidération emportait le monde entier. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) parlait même du « plus grand choc que le système énergétique ait connu depuis plus de sept décennies ». Pour son dernier jour de cotation, le 20 avril, pour livraison en mai, le baril américain West Texas Intermediate (WTI) s’abîmait sous zéro dollar. Pour la première fois de l’histoire, le pétrole était offert à des prix négatifs.
La débâcle se produit alors même que chez les pays producteurs, et notamment au sein de l’OPEP+, l’on continuait de s’écharper sur la nécessité ou pas de restreindre la production, Ryad et Moscou voulant forer à volonté et s’apprêtant à se livrer à une guerre des prix aux effets délétères. Tous ont fini par s’astreindre à fermer les vannes, mais avec un temps de retard qui a été fatal.
Fermeture des vannes
La combinaison d’une demande nulle et d’une offre non contenue a provoqué le grand chaos. Les millions de barils supplémentaires se déversant chaque jour sur le marché ont fait déborder les cuves à terre. Pour éponger trop-plein de pétrole, les tankers ont été affrétés pour servir de stockage flottant. Les majors pétrolières ont mis le pied sur le frein des investissements dans l’exploration.
La discipline, qui a fini par l’emporter au sein de l’OPEP+, a apporté un peu de répit à un marché secoué.
Les pays de l’OPEP+ se sont récemment accordés pour prolonger en juillet la réduction historique de production à laquelle ils s’astreignent depuis le 1er mai.Non sans mal, le cartel avait convenu de réduire leur production cumulée de 9,7 millions de barils par jour (Mbj) entre le 1er mai et le 30 juin par rapport au niveau d’octobre 2018 (sauf pour l’Arabie saoudite et la Russie, pays pour lesquels la production de référence était fixée à 11 Mb/j). Le niveau de production de l’OPEP+ devrait être modifié au second semestre, avec une baisse globale revue à 7,7 Mb/j par rapport au niveau de référence. En réponse, le marché donnait à la mi-mai ses premiers signes d’encouragement. Les cours du pétrole ont repris du poil de la bête et sont repartis à la hausse, pour la première fois après six semaines au plus bas.
L’AIE s’est même montrée un peu moins pessimiste dans son appréciation des effets de la pandémie pour 2020 sous l’effet de la reprise rapide de la demande chinoise en mars-avril et indienne en mai. La demande serait désormais en chute de 8,1 millions de barils par jour (Mb/j), soit 500 000 b/j de mieux que lors de sa dernière estimation publiée en mai.
Baisse des dividendes
Les décisions n’ont pas tardé chez les compagnies pétrolières. Avec une belle unanimité, elles ont foré dans les dépenses d’investissements, abandonnant quelques milliards de dollars. Shell, Total, Chevron, Équinor, toutes ont donné un coup de frein – une réduction de 20 à 25 % par rapport à ce qui était prévu – à leurs programmes d’exploration de gisements et de forages de nouveaux puits. Les investissements mondiaux en exploration-production auraient normalement dû atteindre 517 Md$ en 2020, selon des prévisions de l’institut Ifpen publiées début février. Les moments s’avèrent difficiles au secteur para-pétrolier, qui vit des services maritimes aux plateformes offshore, secteur déjà durement touché depuis 2015. Mais ça, c’était en mars, au début de la crise dans sa dimension planétaire. Les semaines suivantes ont été à l’avenant.
Depuis avril, elles font part à leurs actionnaires de l’état des dégâts: des pertes qualifiées d’historiques. Total annonçait début mai des résultats trimestriels en chute libre, avec un bénéfice net divisé par près de 100 et passant des milliards aux simples millions, de 3,1 Md$ à 34 M$. Chute semblable chez Shell où les profits ajustés ont dégringolé de 46 % à 2,9 Md$, au point que la compagnie a dû réduire son dividende « pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale ». BP y laisse 4,4 Md$. L’espagnol Repsol a concédé une perte de près d’un demi-milliard d’euros. Nul n’est épargné, pas même au pays où le pétrole est si cher. Exxon, le géant texan, qui n’avait pas perdu d’argent depuis 1988, est en déficit de 610 M$. PetroChina a révélé une perte nette trimestrielle de 2,29 Md$.
Baisse des dépréciations d’actifs
Après les mauvais résultats financiers du premier trimestre, elles annoncent désormais les dépréciations d’actifs après impôts au deuxième trimestre. La compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell a annoncé le 30 juin des dévaluations d’une valeur qui sera comprise entre 15 et 22 Md$.
Son principal et historique rival en Europe, BP, a fait part d’une perte de valeur de l’ordre de 13 à 17,5 Md$ et annoncé la cession de ses activités pétrochimiques au groupe industriel britannique Ineos pour 5 Md$ afin de soulager (un peu) ses comptes plombés. Cette dernière est montée d’un cran supplémentaire dans les mesures-catastrophe en annonçant 10 000 licenciements à travers le monde, soit 15 % de ses effectifs.
Moins d’émissions de carbone
Petit réconfort – si c’en est un –, les émissions de CO2 ont également plongé. L’Agence internationale de l’énergie estime la baisse à environ 8 % (soit près de 2,6 gigatonnes) cette année, soit le niveau de 2010.
L’AIE estime la baisse de la demande en énergie à 6 % sur l’ensemble de 2020, l’équivalent de la consommation de l’Inde. Les énergies renouvelables seraient moins touchées, parce que leurs coûts chutent et les rendent plus compétitives vis-à-vis des énergies fossiles. Cela tombe à point: la reprise est souhaitée verte…
* les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) dont l’Iran, le Venezuela et la Libye et 10 pays partenaires dont le chef de file est la Russie, deuxième producteur mondial de pétrole derrière les États-Unis.