Les pelles hydrauliques fabriquées par Liebherr dans son usine de Colmar et destinées à l’industrie minière sont exportées dans le monde entier, notamment en Australie, et aussi en Indonésie, Russie, Mongolie et Afrique du Sud. Avant de rejoindre les mines à ciel ouvert d’où sont extraits les minerais, les pelles sont assemblées à Colmar, testées puis démontées avant expédition maritime. Les colis peuvent atteindre 110 t, 12 m de long et des hauteurs et largeurs de 5 à 7 m. En moyenne, 140 machines sont expédiées chaque année depuis Colmar. Jusqu’ici, Liebherr utilisait le transport routier, soit 900 camions par an en convoi exceptionnel pour rejoindre depuis l’Alsace les ports de Zeebrugge ou Anvers. Une logistique où l’expédition de chaque machine est un projet différent, traité sur appel d’offres en faisant appel à un transitaire qui assure le transport de bout en bout, depuis l’enlèvement à Colmar jusqu’à l’arrivée au port de destination. Depuis juin 2019 et suite à une expérimentation menée dans le cadre du Plan d’aide au report modal de Voies navigables de France, c’est par le Rhin que se fait le trajet jusqu’aux ports de la mer du Nord.
« Nous avons décidé en 2019 de passer d’une logistique routière en mode projet à une industrialisation de nos expéditions de colis lourds », explique Marc Lagarde, responsable de la logistique externe de Liebherr Mining Equipment. « Nous avons d’abord confié une étude à Karo International, consultant avec qui nous avons travaillé pendant neuf mois. Elle a montré que le report modal était envisageable, à condition de ne pas faire dans la demi-mesure et de basculer entièrement sur le fluvial. »
Deux lignes rouges
L’industriel avait deux lignes rouges: ne pas dégrader les délais, ne pas augmenter le prix. Le premier critère est atteint, la navigation est permise le week-end sur le Rhin. Pour le second, cela suppose de remplir la barge à chaque voyage et de ne pas expédier les machines une par une. Pour ce faire, les transports ont été mutualisés avec d’autres industriels, au premier rang desquels General Electric, qui exporte via le port de Colmar-Neuf-Brisach les turbines fabriquées dans son usine de Belfort. Ainsi, Liebherr n’utilise pas un bateau dédié, mais dispose chaque semaine d’une capacité de 400 m2 réservée auprès de l’armateur fluvial Haeger &Schmidt.
« Il ne s’agit pas d’interdépendance avec General Electric, mais le simple bon sens nous a conduits à choisir le même prestataire », précise Marc Lagarde, qui reconnaît une mobilisation collective avec la CCI Alsace Eurométropole, le port de Colmar-Neuf-Brisach et les transporteurs routiers locaux.
Une grue, plusieurs utilisateurs
Sur le port, une grue d’une capacité de 84 t, exploitée par la CCI depuis 2011, sert aux petits colis. Pour les autres, un équipement mobile de 1 000 t, spécifiquement dédié à la manutention des charges extrêmes, a été installé en juin dernier par Scales, prestataire spécialisé et équipé pour ces transports dits exceptionnels. La grue de marque Liebherr fait l’objet d’un contrat de deux ans entre Scales et GE pour les turbines dont la dernière génération peut atteindre les 430 t. Mais l’Américain la met également à disposition d’autres chargeurs. Liebherr est ainsi le premier utilisateur tiers. Colmar-Neuf-Brisach étudie toutefois l’installation d’un portique fixe à colis lourds qui pourrait profiter aux entreprises alsaciennes et même de la Bade, de l’autre côté du Rhin.
Le passage à une logistique fluviale n’est pas sans conséquences: « Nous faisons maintenant en interne tout ce que nous confiions auparavant à un commissionnaire, dont la présence se limite désormais au port maritime d’embarquement pour vérifier que chaque colis va dans le bon navire. Nous avons maintenant des relations directes avec les manutentionnaires », convient Marc Lagarde. Le responsable logistique a aussi découvert la réalité des coûts, le déchargement d’une barge étant plus onéreux que celui d’un camion. « Nous avons négocié un tarif simple, au tonnage, avec un engagement annuel, et non colis par colis. Car dans ce flux industriel, il faut raisonner globalement, sur l’année entière, et non chercher la rentabilité de chaque colis. »
Aidé par le Rhin
Alors que les éléments de pelles hydrauliques sont chargés et déchargés du bateau fluvial en lo-lo, c’est en ro-ro qu’ils embarquent pour prendre la mer: au terminal WWS de Zeebrugge, sur les navires de Wallenius Wilhelmsen, et à celui d’ICO d’Anvers, sur les rouliers de Höegh et d’Eukor.
Aidé par le niveau d’eau du Rhin depuis juin 2019, le report modal a contribué à une baisse des coûts de transport pour l’entreprise basée en Suisse. « Mais si nous sommes confrontés à la baisse du niveau du Rhin ou à celle du carnet de commandes, quelles seront les conséquences? » s’interroge Marc Lagarde. En un an d’expérimentation, Liebherr avait prévu de charger 134 machines à bord de 47 bateaux, pour un poids total 21 600 t. Fin février 2020, 15 000 t avaient été chargées sur 30 bateaux. Mais l’expérimentation, qui devait initialement s’arrêter en juin 2020, est prolongée jusqu’à la fin de l’année.