Biocarburant: une solution durable pour une décarbonation radicale?

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D’ici une à deux décennies, des navires « zéro carbone » devront entrer progressivement dans la flotte mondiale pour que le transport maritime se conforme aux réglementations internationales, européennes et directives nationales, qui l’invitent à se désintoxiquer de ses combustibles d’origine fossile dans un délai de 20 à 30 ans. Les transports, qui représentent 33 % de la consommation d’énergie finale et 24 % des émissions de gaz à effet de serre (selon les statistiques des transports en Europe), sont sans doute le secteur où la transition sera la plus difficile à opérer car il est depuis des décennies « accro  à une énergie facile, dense et peu chère et dérivée à plus de 80 % du pétrole.

Avec l’adoption de la deuxième directive sur les énergies renouvelables (RED2), qui doit entrer en application en juillet 2021, l’Union européenne a confirmé son intérêt pour les biocarburants. Le texte, qui prévoit d’atteindre 14 % d’énergies renouvelables dans le transport à l’horizon 2030, les considère comme « ayant le potentiel pour atteindre, dans la prochaine décennie, les objectifs sur le climat ».

Presque neutres en carbone parce que leur combustion libère le CO2 qui a d’abord été capté par les plantes pendant leur croissance, les biofuels ont les faveurs de certains armateurs qui ont multiplié les tests tout au long de l’année 2019 [cf. pages suivantes]. Ce carburant dit vert a le parfait profil : il promet de supprimer 90 % des émissions de CO2 par rapport aux équivalents fossiles, entre 30 et 40 % celles des oxydes d’azote, la totalité des oxydes de soufre (SOx) et 60 % des rejets de particules fines. Alors que la première génération (celle qui alimentent les réservoirs essence des voitures) n’était pas utilisable en l’état par les transports aérien et maritime et qu’émerge déjà une troisième famille à base d’algues, de plantes ou de bactéries, c’est la deuxième génération qui intéresse les transporteurs maritimes, avec des intrants issus des résidus agricoles et forestiers, tels que les tiges de maïs, la paille, les déchets de bois…

De type « drop in »

Argument imparable, le nouveau carburant serait « drop in »: il peut se substituer en partie ou en totalité au carburant conventionnel sans impact opérationnel. « Pas besoin d’adapter les moteurs existants ou en cours de développement, décrypte le fournisseur néerlandais GoodFuels, un des pionniers des biocarburants marins. Il est facile à mettre en œuvre dans n’importe quel navire, est entièrement compatible avec l’infrastructure actuelle des moteurs et des réservoirs, est conforme à la norme ISO 8217/EN 590 et ne nécessite pas d’investissements élevés ».

La société, passée récemment sous le contrôle du groupe néerlandais FinCo Fuel (distribution d’un portefeuille de carburants à partir de terminaux portuaires en Europe du Nord) a signé en novembre dernier une lettre d’intention avec BTG BioLiquids B.V. pour investir ensemble dans une raffinerie produisant « un biodiesel marin 100 % durable, produit par conversion de l’huile de pyrolyse ». La techno­logie qui convertit en bio-huile la biomasse issue de résidus végétaux, a été développée il y a trente ans à l’Université néerlandaise de Twente, dont BTG est un spin-off. Elle a déjà fait ses preuves, mais pour alimenter des chaudières industrielles ou le chauffage urbain.

Dans un premier temps est prévu un pilote avec un objectif de production modeste, de l’ordre des 1 000 t. « Cette capacité initiale est suffisante pour démontrer la fiabilité du procédé », explique René Venendaal, le PDG de BTG, qui souhaiterait l’installer à Rotterdam ou à Eemshaven. « Rotterdam serait idéal car la plupart de nos clients du transport maritime y sont actifs et parce que le port offre les infrastructures nécessaires à l’intégration », précise Dirk Kronemijer, le PDG de GoodFuels.

Valider l’innocuité des technologies

« Au cours des cinq dernières années, avec Boskalis, Norden, Jan de Nul, nous avons démontré que ces carburants étaient probants dans la décarbonation du maritime. Il faut désormais intensifier, sans faire de concessions sur la durabilité des matières premières », poursuit-il. Ce point fait particulièrement débat. Les agro-carburants sont en effet associés à un large panel d’impacts sociaux, économiques et environnementaux. Une enquête publiée en 2016 par la Commission européenne contestait même leur gain écologique réel. Elle a été ensuite corroborée par une étude de l’Ademe et de l’Inra: « Implanter de telles cultures à la place d’une forêt ou d’une prairie induit un changement d’affectation des sols qui peut paradoxalement se traduire par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre et d’autres impacts environnementaux ».

Les biocarburants utilisés actuellement sont en grande partie dérivés des cultures agricoles. La canne à sucre et le maïs servent à produire de l’éthanol alors que le biodiesel est fabriqué à partir d’huiles végétales à base de soja ou de colza. L’Académie des sciences américaine estimait que, pour réduire de moitié le CO2 produit par la combustion des ressources fossiles dans le monde en 2013, il faudrait mobiliser environ 400 millions d’ha de terres arables, sur les quelque 600 millions encore disponibles.

Les carburants issus d’algues ou de ressources cellulosiques, ceux destinés aux soutes des navires, éviteraient la concurrence avec les terres cultivables à but alimentaire ou le recours à la déforestation (nécessaire pour semer du soja ou planter des palmiers à huile).

Pont vers l’ammoniac

Dans une étude rendue publique le 12 décembre sur le rôle des biocarburants pour décarboner le transport maritime (The role of sustainable biofuels in the decarbonisation of Shipping), la Sustainable Shipping Initiative (SSI, dont font partie Maersk, China Navigation, Lloyd’s Register mais aussi WWF) a questionné ses impacts négatifs ainsi que leur disponibilité pour répondre aux besoins des différents secteurs. Elle révèle notamment que les biocarburants pourraient couvrir entre 10 % et 30 % des besoins énergétiques du transport maritime. Les personnes sondées – propriétaires de flotte, affréteurs, ports, sociétés de classification, fournisseurs de carburant, assureurs, régulateurs, etc. – estiment en outre que leur usage serait plus élevé en 2030 qu’en 2050. Ce qui laisse à penser qu’ils l’envisagent davantage comme une solution de transition, l’évoquant même comme un « pont vers l’usage de l’ammoniac ».

Pour la plupart, la certification de la durabilité et des « incitations du marché » seraient de nature à encourager les investissements industriels. Les schémas de certification existent pourtant. Dans le cadre de la réglementation sur les biocarburants, le législateur européen a défini des critères très stricts en matière de durabilité (bilan carbone, non-déforestation, bonne utilisation des terres).

Reste que les carburants « végétaux » restent plus chers à produire que le pétrole à extraire et à raffiner avec des cours assez volatils. Nul n’en raffole. Comme pour les autres carburants, l’enjeu ne réside pas en mer mais à terre, et plus précisément dans une chaîne d’approvisionnement durable, contrôlable, capable de produire en quantité suffisante et de distribuer à l’échelle mondiale.

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