Pas tendre, la bataille internationale du blé

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Sur l’échiquier international des céréales, et notamment du blé tendre, c’est un véritable combat qui se noue. L’Union européenne – et au premier chef la France, « grand pays agricole et agroalimentaire, qui exporte l’équivalent d’une centaine d’Airbus chaque année », selon les dires de ses acteurs – y a perdu sa place de producteur leader sur un marché qui s’est resserré autour de quelques greniers à blé mondiaux et de grands acheteurs, souvent étatiques.

Du côté de la demande, aux importateurs traditionnels – pays de la Méditerranée et du Proche-Orient –, sont venus se greffer d’autres « ventres », aux premiers rangs desquels les pays asiatiques et africains. Du côté de l’offre, de nouveaux producteurs se sont affirmés, notamment la « troïka » du bassin de la mer Noire: Russie, Ukraine et Kazakhstan.

Compte tenu de leur géographie, ces derniers disposent d’un avantage naturel auprès des grands consommateurs (Égypte, Algérie, Maroc, Turquie…), lesquels ont rejoint ces dernières années le club des importateurs réguliers de céréales d’origine russe et ukrainienne.

« Sur la période 2000-2017, la Russie aura placé 350 Mt de céréales sur les marchés internationaux, représentant 75 Md$ de ventes environ. Parmi ces céréales, le blé figure comme l’élément-clé d’une nation russe qui s’est toujours mobilisée pour cette denrée agricole stratégique pour sa sécurité alimentaire. La Russie est redevenue la première puissance exportatrice de blé, détrônant dans ce classement le rival américain, leader depuis les années 1930 », explique Sébastien Abis, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de La Géopolitique du blé.

Conquête africaine

Pour la campagne 2017-2018, la Russie, capable de produire du blé avec un rapport quantité-qualité-prix redoutable pour les puissances céréalières « occidentales », a produit 84 Mt de blé tendre, confirmant sa place de 4e producteur mondial et 1er exportateur avec 23,1 % du volume mondial exporté alors que le pays n’assurait que 8,9 % en 2012-2013.

« Si les grains de Russie prennent essentiellement les routes pour la Turquie, l’Iran, la Syrie et surtout l’Égypte, ils se fraient un chemin de plus en plus large au Maghreb et tentent de rejoindre les destinations africaines. Avec des caractéristiques techniques correspondant bien aux besoins et aux attentes des cahiers des charges de chaque marché national, la Russie s’avère capable de vendre beaucoup de céréales avec une pluralité de qualités », indique le chercheur qui y voit tous les signaux d’une conquête à venir des marchés africains céréaliers, traditionnellement plus connectés à l’Europe, à la France ou aux États-Unis, et encore peu orientés vers les origines russes.

Cet ascendant russe se mesure particulièrement auprès de l’Égypte, première nation importatrice de blé au monde (plus de 10 Mt en moyenne par an).

En 2017, 80 % des blés achetés par le Gasc, l’organisme public en charge des appels d’offres, provenaient de Russie alors qu’ils ne représentaient encore qu’un tiers des achats en 2014-2015. Sur l’actuelle campagne, les blés russes sont à nouveau fortement majoritaires dans les achats publics égyptiens (595 000 t achetées mi-juillet).

Logistique, talon d’Achille

La capacité de transport et la logistique, qui donne une toute-puissance aux acteurs de ces marchés, restent cependant le talon d’Achille de la Russie: silos portuaires vétustes, stockage dans les fermes, atomisation du transport routier, vieillissement du matériel ferroviaire, développement de la production dans des zones de plus en plus éloignées des sites de chargements portuaires…

L’accès au port de Novorossisk, qui avec ses deux terminaux céréaliers, assure 80 % des exportations russes de blé, est emblématique de la tension qui y règne. L’actualité en a donné une illustration en juin dernier. à l’orée de la campagne 2018/2019, la plupart des grandes sociétés céréalières internationales (Cargill, Louis Dreyfus…) restaient exclues de la liste provisoire des exportateurs alors que certaines entreprises locales « manœuvraient » pour y obtenir plus de quotas. Parmi elles, Rif, plus grand négociant russe en céréales et United Grain Company, qui possède une usine sur le terminal Novorossiysk Grain Plant et codétient avec l’autorité portuaire le second, Novorossiysk Grain Terminal.

La seule alternative est alors le transbordement à Azov, où Louis Dreyfus Company a inauguré un terminal céréalier en mai 2017, mais qui, en raison de sa faible profondeur, est utilisé pour la manutention du grain avec des navires de faible tonnage de type « fluvio-maritime ».

Les autres ports de la façade ont un trafic cumulé variant entre 3 et 9 Mt de céréales. Les plus importants sont Touapsé et Taman, où des investissements en cours le prédestinent au transbordement.

S’affranchir des ports baltiques

Le point faible des ports de l’extrême-Est européen ne devrait plus l’être très longtemps au regard des investissements programmés par le Kremlin et des grands groupes privés internationaux. Moscou, qui a budgétisé 52,5 Md€ pour sa politique agricole entre 2013 et 2020, a annoncé la modernisation et le développement de la logistique dans tous les ports russes et notamment en mer d’Azov, en mer Noire et en mer Baltique.

Pour ne citer que quelques annonces récentes, en mars dernier, Novotrans, une entreprise russe jusqu’à présent spécialisée dans les transports ferroviaires, a annoncé la création en trois phases d’un grand terminal portuaire à Ust-Luga (projet « Lugaport ») en vue de s’affranchir des ports baltiques. La première tranche consistera à construire, en trois ans, une capacité de transbordement de 9 Mt de céréales avec une capacité de stockage de 300 000 t.

Les acteurs institutionnels français, eux, continuent de plaider en faveur de l’avantage national: des infrastructures logistiques incomparables, une façade maritime avec 4 « grands ports panamax, contre deux en Russie » et une capacité à exporter de « 3,6 Mt par mois, contre 2 Mt en Russie ». à voir si ces arguments seront suffisants pour sortir de la confrontation avec la mer Noire…

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