Nous sommes en dernière ligne droite de la récolte: êtes-vous optimiste sur la qualité et la disponibilité des grains français?
François Gatel: Nous ne disposons pas encore de données consolidées sur la quantité de blé qui va être moissonnée cette année mais nous serons dans la partie basse de la fourchette par rapport aux années moyennes. En revanche, nous savons que la qualité est au rendez-vous, que ce soit en termes de teneur en protéines – critère d’appréciation déterminant à l’étranger – de poids spécifique ou d’humidité du grain.
La filière doit s’habituer aux années « sans »…
F. G.: 2016 reste dans les mémoires comme un marqueur, avec à peine 28 Mt de blé récoltés, et les plus mauvais rendements des 50 dernières années. Alors que 2015 fut la meilleure année, à presque 41 Mt de blé récoltés. Mais on se situe en moyenne autour des 37 Mt. On sera plutôt cette année autour de 35 Mt, sachant qu’une récolte est toujours le fruit d’une surface par un rendement. Et le rendement moyen à l’hectare se situe cette année en dessous de la moyenne quinquennale.
Les volumes et la qualité sont les seuls critères-clés pour apprécier ce marché?
F. G.: Le rapport qualité/prix est déterminant, sachant que la qualité repose sur les critères intrinsèques mais aussi, plus largement, sur les services associés, en termes de logistique, de capacité à servir en temps et en heure suivant un planning prévu.
La teneur élevée en protéines d’un blé au-delà de 12 % semble s’imposer comme l’étalon du blé à l’international?
F. G.: Ce n’est pas une norme mais un élément important. Le blé à ceci de particulier que les protéines qu’il contient ont des propriétés fonctionnelles qui permettent de faire un pain et l’essentiel de nos blés exportés ont cet usage. Aussi, dans les pays hors EU, où la consommation de protéines d’origine animale est faible, le pain est une source non négligeable d’apport protéinique. Pour les acheteurs, ce critère est donc très regardé. Enfin, il est une raison plus subjective: un marché export est un jeu à trois, avec un client qui a un certain nombre d’exigences, un fournisseur et des compétiteurs. Il faut répondre à la demande tout en étant en mesure de soutenir la comparaison avec des origines concurrentes. Or, depuis quelques années, sur nombre de nos marchés historiques, le bassin de la mer Noire et surtout la Russie parviennent à produire des blés plutôt plus riches en protéines. La filière française s’emploie à « remonter » ce critère, qui devenait limitant à l’international.
Parmi les pays importateurs, quels sont les marchés les plus captifs?
F. G.: à l’export, il n’y a pas de marché captif, car un importateur a toujours à sa disposition de multiples origines. Le seul qui le soit est le marché domestique car un meunier français aura toujours économiquement avantage à privilégier l’origine France plutôt qu’à importer du blé canadien, américain ou russe, avec les droits de douane associés. C’est un marché à peu près acquis mais cela représente à peine 5 Mt par an et environ 15 Mt avec les utilisations industrielles et animales. La moitié de la collecte doit donc être vendue à l’étranger où la concurrence est farouche. L’Égypte, premier importateur mondial, n’a presque pas acheté de blé français lors de cette campagne, tandis que l’Algérie, le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne diversifient davantage leurs achats, faisant aussi reculer les importations françaises.
Quelle est la problématique de la filière française?
F. G.: L’export de blé sur l’UE ou pays tiers est aujourd’hui indispensable à l’équilibre de nos bilans. Sans cela, on se retrouverait avec un stock de report insupportable (en 2017, au moment où débutait celle de 2018, il était de 3 Mt, soit plus de 8 % de la récolte, NDLR).
Il y a encore des efforts à faire en termes de fluidité des marchés. C’est le message qu’on diffuse auprès des organismes stockeurs. Il faut que toute la filière ait bien conscience que les acheteurs internationaux sont actifs du 1er juillet au 30 juin. En termes de logistique, conserver une certaine capacité de stockage et de transport intérieur est primordial et on compte sur les ports et armateurs pour être en mesure de charger des navires de différentes tailles et respecter les dates de livraison.
Reste un défi: offrir une quantité-qualité-prix compétitive dans un contexte où nos concurrents directs sont capables de vendre à bas prix.
On connaît l’importance de la géopolitique pour la stabilité des pays producteurs et acheteurs. Est-ce que les conditions actuelles vous inquiètent?
F. G.: Les importateurs de blés le font pour nourrir leur population. Ils le resteront, quelle que soit l’évolution du commerce international. Le vrai enjeu pour la France est de considérer l’exportation de céréales comme une force pour le commerce extérieur et le rayonnement français. C’est ce qui a permis à la Russie de s’ancrer au sein du commerce mondial de grains.