L’histoire des relations maritimes entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest a souvent été marquée, au cours des décennies qui ont suivi la Première Guerre mondiale, par l’intervention d’armements européens que leurs navires et services rendaient exceptionnels. Entre-temps, des grands noms ont disparu de la scène. D’autres sont apparus, qui se sont imposés grâce à l’aptitude d’armateurs à s’adapter aux évolutions. D’aucuns ont su faire preuve d’une vision englobant à la fois les aspects techniques et stratégiques sur le plan commercial. De nos jours, le nom de Grimaldi est incontournable sur la route de l’Afrique de l’Ouest. Cet armement italien – numéro un mondial dans le domaine des navires ro-ro/conro – assure des services qui couvrent l’Europe du sud au nord jusqu’en Baltique, se manifestent sur l’Atlantique en desservant les côtes Est de l’Amérique du Nord et du Sud, autant de régions mises en relation avec l’Afrique de l’Ouest. À la barre, deux frères: Emanuele Grimaldi, qui gère les activités shortsea et intra-européennes, et Gianluca Grimaldi, en charge du deepsea. Ce dernier a bien voulu faire le point avec le JMM sur la position de son groupe sur cette route fort convoitée de l’Afrique de l’Ouest.
JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): ACTUELLEMENT, LE TRAFIC AVEC l’AFRIQUE DE L’OUEST REPRÉSENTE 15 % DU CHIFFRE D’AFFAIRES DE VOTRE GROUPE. c’EST DIRE L’IMPORTANCE DE CE TRAFIC. PROGRESSIVEMENT, LA CHINE S’IMPLANTE SUR CE CONTINENT. CETTE ANNÉE, LA VALEUR DE SES ACTIVITÉS COMMERCIALES ATTEINDRA 260 MD$. NE FAUT-IL PAS CRAINDRE QUE L’EUROPE PERDE RAPIDEMENT DU TERRAIN SUR CE CONTINENT?
GIANLUCA GRIMALDI (G.G.): Les perspectives à long terme, en ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, sont plus que suffisantes pour assurer que les exportations européennes vers ces pays poursuivent leur croissance. Il est clair que les entreprises européennes doivent mettre plus l’accent sur la nécessité d’accroître les relations d’affaires en dehors de l’Europe, surtout lorsque l’on considère les faibles perspectives au sein de l’Union et que l’on tient compte des liens historiques entre l’Afrique et l’Europe. Ce sont là des éléments importants qui doivent faciliter un développement continu du commerce entre les deux continents.
JMM: VOUS INTRODUISEZ SUR L’AFRIQUE DE L’OUEST UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE SIX GRANDS CONROS DE 31 000 TPL, PRÉSENTANT UNE CAPACITÉ DE 1 800 EVP ET 5 700 ML. QUELLE EST L’IMPORTANCE DE L’ÉCONOMIE D’ÉCHELLE AINSI OBTENUE ET SERA-T-ELLE SUFFISANTE POUR FAIRE FACE AUX CONCURRENTS INTÉGRALEMENT CONTENEURISÉS QUI ALIGNENT DES UNITÉS DE 5 000 EVP, TANDIS QUE DES PORTS AFRICAINS COMME ABIDJAN VEULENT S’EQUIPER POUR TRAITER DES NAVIRES ALLANT JUSQU’À 8 000 EVP?
G.G.: Notre nouvelle génération de conros est d’environ 40 % plus grande que nos unités actuelles. Ils sont conçus avec les dernières générations de moteurs, qui permettent une sérieuse baisse de la consommation de fuel et laissent une empreinte particulièrement faible sur l’environnement. Ces navires ont pratiquement atteint les limites techniques courantes pour escaler dans les principaux ports d’Afrique de l’Ouest. En d’autres termes, l’économie d’échelle est très proche du maximum réalisable pour ce type de navire et en fonction d’un avenir prévisible. Cela étant, nous n’avons jamais eu comme objectif de concurrencer les grands armements conteneurisés. Nous mettons l’accent sur une connaissance approfondie des marchés que nous servons et avons pour objectif de desservir au départ d’Europe et des États-Unis, en direct, tous les ports d’Afrique de l’Ouest, même ceux qui n’ont que de faibles volumes, comme le font les lignes conteneurisées. Il est vrai qu’au cours des dernières années, plusieurs lignes sont intervenues, alignant des navires spécialisés, dont des car carriers et autres MPV modernes. Mais les conros, compte tenu du mixage de cargaisons tant southbound que northbound, ont la particularité opérationnelle d’offrir une fréquence bien supérieure et fiable, de même qu’une vaste couverture portuaire, ce que demande réellement le marché.
JMM: l’APPARITION DE CES NOUVEAUX CONROS VA-T-ELLE DE PAIR AVEC UNE ACCÉLÉRATION DES FRÉQUENCES ET QU’ADVIENDRA-T-IL DES UNITÉS QU’ILS VONT REMPLACER?
G.G.: Des unités seront déployées dans notre Central Express Service opérant à jour fixe et à fréquence hebdomadaire, au départ de Tilbury, Anvers, Hambourg pour Lagos, Cotonou et Tema. Amsterdam sera touché tous les 14 jours. Quant au Southern Express Service, ses principaux ports de déchargement que sont Casablanca, Dakar, Abidjan, Luanda, Pointe Noire et Douala sont désormais touchés chaque semaine et à jour fixe. Quant aux six conros de 25 000 tpl (850 EVP) qui seront remplacés, ils vont être déployés dans d’autres services de manière à évoluer à une fréquence hebdomadaire pour tous nos services avec l’Afrique de l’Ouest. La disponibilité de ce tonnage va nous permettre de renforcer d’autres services ex-Amérique du Sud, Méditerranée et États-Unis.
JMM: LA RÉCENTE RESTRUCTURATION DE VOS TROIS SERVICES EUROPE-AFRIQUE DE L’OUEST N’IMPLIQUE QUE DEUX ESCALES AU HAVRE, ALORS QUE D’AUTRES PORTS SONT TOUCHÉS PAR CHACUN DES SERVICES. Y A-T-IL UNE RAISON PARTICULIÈRE?
G.G.: Depuis quelque temps, notre desserte d’Europe du Nord vers l’Afrique de l’Ouest a été axée sur trois services. C’est la manière la plus efficace de couvrir chaque port d’escale directement et d’offrir des temps de transit très compétitifs entre ports de chargement/déchargement. Cela nous permet également de mettre plus particulièrement l’accent sur certains ports de chargement à destination des principaux ports de déchargement. Par exemple, Le Havre intervient sur une base hebdomadaire pour l’Afrique francophone et Tilbury, même fréquence pour l’Afrique anglophone. Actuellement, nous alignons sur l’Afrique de l’Ouest 19 navires détenus en propriété et deux affrétés.
JMM: NOUAKCHOTT ET NOUADHIBOU EN MAURITANIE DISPOSENT DE NOUVEAUX TERMINAUX RO-RO. GRIMALDI N’Y EST PAS ALORS QU’IL Y A EN EUROPE DU CONVENTIONNEL ET DES PROJETS VERS CE PAYS. POURQUOI?
G.G.: Nous avons suivi de très près le développement de ces terminaux en Mauritanie et continuons d’analyser la situation afin de déterminer si le mixage de cargaisons et, partant, le volume, sont compatibles avec nos navires.
JMM: AVEC LE MED EXPRESS SERVICE, VOUS COUVREZ LA RELATION MÉDITERRANÉE-AFRIQUE DE L’OUEST. TOUTEFOIS, LA CONCURRENCE S’ACCENTUE SUR CETTE ROUTE, NOTAMMENT AVEC MESSINA/MARGUISA QUI ALIGNE ÉGALEMENT UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE CONROS. CELA VOUS AMÈNE-T-IL À PRENDRE D’AUTRES DISPOSITIONS?
G.G.: Nous confirmons le déploiement de tonnage conro additionnel entre la Méditerranée et l’Afrique de l’Ouest. Nous sommes par contre convaincus que l’accroissement de nos fréquences et de notre fiabilité, auxquelles il convient d’ajouter la couverture exceptionnelle par notre groupe de l’intra-méditerranéen, sont des facteurs forts d’incitation au marché pour considérer que Grimaldi est le carrier à choisir.
JMM: LA CONCURRENCE S’ACCENTUE ÉGALEMENT AU DÉPART D’EUROPE DU NORD. NYK BULK & PROJECTS CARRIERS SE MANIFESTE AVEC DES MPV, SALLAUM LINES ALIGNE DES CAR CARRIERS/PLTC. HYUNDAI GLOVIS, OUTRE L’AFRIQUE DE L’OUEST, DESSERT L’AFRIQUE DU SUD ET DE L’EST, SOUTHBOUND UNIQUEMENT. COMMENT FAITES-VOUS FACE, COMMENT VOYEZ-VOUS L’ÉVOLUTION À TERME DE CE TRAFIC?
G.G.: Le trafic Europe-Afrique de l’Ouest reste très difficile pour tous les opérateurs et nous croyons que cette situation ne va pas changer. Les taux restent à des niveaux insupportablement bas, tandis que les coûts progressent de manière significative. En dépit d’une absence de visibilité pour ce qui est des prochaines années, nous sommes convaincus que la desserte de l’Afrique de l’Ouest reste notre objectif et nous nous attendons à ce que nos concepts de services uniques, offrant des alternatives hebdomadaires pour du conventionnel, des projets, des cargaisons en ro-ro et du fret conteneurisé, sur une base port-à-port en direct, resteront attractifs. Ceci dit, nous sommes parvenus, malgré les circonstances, à maintenir nos parts de marché dans les différents secteurs précités bien que les taux restent sous pression continue.
JMM: LA DESSERTE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST, OUTRE LES PHÉNOMÈNES DE CONGESTION DANS DIVERS PORTS, EST RENDUE PLUS DIFFICILE AVEC L’ÉPIDÉMIE d’EBOLA. COMMENT TRAITEZ-VOUS CE PROBLÈME ET IMPOSEZ-VOUS UNE SURCHARGE POUR CERTAINS PAYS?
G.G.: Nous continuons à assurer nos services à tous les pays touchés par Ebola. Tous nos navires font l’objet d’instructions bien précises, conformes aux prescriptions de la WHO et d’autres instances internationales. Dans le souci de réduire les risques au maximum, nous maintenons une communication étroite avec les terminaux de manière à s’assurer d’un traitement efficace et d’éviter des contacts non nécessaires. Nous n’avons pas imposé de surcharge en dépit du fait qu’il est évident que nous, de même que d’autres armements, devons faire face à une augmentation substantielle des coûts.
JMM: AVEZ-VOUS L’INTENTION D’ENCORE COMMANDER DES CONROS DE CE NOUVEAU TYPE DANS UN AVENIR PRÉVISIBLE?
G.G.: La flotte couramment utilisée compte 24 navires, en comptant les navires employés entre l’Europe du Nord et l’Amérique du Sud, dont l’âge moyen est de neuf ans. Cette flotte est considérée comme adéquate pour répondre à la demande du trade à court et moyen terme. Par conséquent, la prise en considération de la prochaine génération de conros ne se manifestera que d’ici quelques années. Néanmoins, à la fin de cette année, nous redélivrerons deux PLTC affrétés qui ne sont plus compétitifs dans ce trafic.