Le 16 juin, une rencontre entre les professionnels portuaires, notamment les syndicats, les responsables de PNA (Port Normands Associés) et les responsables politiques a permis de dessiner les contours du port de Cherbourg de demain.
Peut-on prétendre à une place dans un paysage portuaire mené par des établissements aux chiffres millionnaires quand on subit de plein fouet la crise économique? La position du port de Cherbourg face à ses concurrents inquiète les syndicats, et surtout la CFDT. Depuis le mois de février, il demande aux responsables politiques et de la place portuaire de venir expliquer leurs projets pour l’avenir. « Tous les outils sont en place pour que ce port puisse trouver la voie du développement durable à condition que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux travaillent ensemble à un avenir commun », a souligné la CFDT Pays du Cotentin dans un document sur l’avenir du port. Une volonté des syndicats reprise au vol par les responsables politiques et économiques qui sont venus dresser le constat de la place portuaire et dessiner les contours du futur port. Géré par PNA (Ports Normands Associés), syndicat mixte regroupant la région Basse Normandie et les départements de la Manche et du Calvados, le port de Cherbourg a subi la crise économique de plein fouet. Pour Jean-Michel Sévin, directeur de PNA, le trafic fret a perdu 13 % à 1,8 Mt en 2010. Le transmanche, principale composante de ce port avec 1,7 Mt en 2010 (− 15,2 %), voit aussi ses trafics de passagers se réduire. Après le départ en 2004 de P&O Ferries et la fin du Duty Free en 2000, Cherbourg a vu s’égrener son trafic. Si le port du Cotentin perd de sa superbe avec le trafic fret vers la Grande-Bretagne, les relations avec l’Irlande affichent des chiffres en hausse. La rotation directe sur Cherbourg depuis l’Irlande permet aux routiers d’éviter les autoroutes britanniques. Les liaisons avec la Grande-Bretagne doivent se placer sur le secteur des passagers, expliquent les responsables de PNA. Un constat partagé par les armateurs. Christophe Mathieu, directeur marketing de Brittany Ferries, partage l’analyse. L’érosion des trafics passagers semble se stabiliser mais le fret reste difficile. L’offre de service déployée sur le détroit du Pas-de-Calais crée une surcapacité qui permet aux transporteurs de bénéficier de tarifs avantageux. Le temps de parcours dans l’ouest de la Manche rend une position difficile pour le port de Cherbourg face aux routiers. Le maintien du service de Brittany Ferries à Cherbourg n’est cependant pas remis en cause. « Nous sommes fidèles au port et nous comptons bien le rester », a confirmé Christophe Mathieu. Les réorganisations successives de la flotte sur le port ont fait douter les syndicats de la pérennité du service cherbourgeois de Brittany Ferries. « L’équation à résoudre est complexe pour notre société. Nous défendons le pavillon français dans un marché qui peine à trouver un équilibre. Nous devons nous adapter en permanence. »
L’Irlande, mieux que l’Angleterre
Le côté positif du transmanche se trouve sur l’Irlande. La situation de Cherbourg, proche de la région parisienne par rapport aux autres lignes directes en Bretagne, et l’attrait de la destination pour les passagers permettent aux trafics d’Irish Ferries de se positionner sur ce marché de niche. L’Irlande ne souffre pas des mêmes maux que la Grande-Bretagne dont la parité entre la livre et l’euro joue le trouble-fête dans ce marché.
Cherbourg port de transmanche, mais aussi Cherbourg port commercial. Le port du Cotentin dispose d’avantages nombreux. Il possède une réserve foncière importante, une desserte ferroviaire de qualité et un tirant d’eau de 13,5 m.
À l’inverse, le port souffre d’un hinterland de proximité peu consommateur de transport maritime et de l’éloignement des grands centres de consommation. Un bilan honnête du directeur de PNA, Jean-Michel Sévin, qui n’en demeure pas moins optimiste sur l’avenir du port. Parce que Cherbourg attire les investisseurs, à l’image de Louis Dreyfus Armateurs. Alain Le Guillard, directeur de CTV (Cherbourg Terminal Vracs), a exposé les conditions de la mise sur pied du terminal charbonnier. L’objectif de la société est de créer sur le port du Cotentin une base d’éclatement pour les charbons destinés au marché britannique. Le temps administratif et le temps économique ne sont pas toujours en phase, a expliqué le directeur de CTV. Les autorisations enfin acquises, le trafic charbonnier prévu s’est évaporé en raison de la crise économique de 2009. LDA ne jette pas l’éponge et revient entre les cordes. Certes, les outils prévus à l’origine, une grue flottante pour accueillir des Capesizes, est abandonné pour préférer traiter directement sur les quais des navires de type Panamax pour des trafics de vrac avec des navettes fluvio-maritimes en liaison directe avec la région parisienne. Ce système reste malgré tout un pis-aller. L’objectif de créer un port offshore en baie de Becquet demeure pour LDA. « Le problème est que PNA n’a pas autorité sur des installations offshore, ce qui risque de poser des problèmes en termes de gestion d’interface avec le port », souligne Alain Le Guillard.
L’autre perspective encourageante pour le port de Cherbourg se situe dans l’éolien. Le port a déjà une expérience dans les colis lourds au travers de ses compétences de Cherbourg Maritime, filiale du groupe Bolloré. « Nous traitons sur Cherbourg entre 70 et 80 navires par an, dont la moitié transportent des colis lourds », indique Michel Colin, directeur de Cherbourg Maritime. Il insiste en soulignant les facilités du port avec ses deux grues pour la gestion des différents éléments composants les éoliennes. Dans son document de prospective sur le futur, la CFDT Pays de Cotentin rappelle les intentions du gouvernement de construire cinq parcs éoliens en mer. Areva s’est positionné sur l’appel d’offres, et pour créer une base de vie logistique, les deux alternatives sont soit Dunkerque soit Cherbourg.
Autre projet en cours d’étude, les Énergies marines renouvelables (EMR), qui pourrait avoir des répercussions en termes de trafics portuaires à Cherbourg. Le projet d’implantation d’hydroliennes dans le Raz Blanchard, au large de Cherbourg, positionne le port pour devenir un point logistique pour ces produits. DCNS s’est impliqué dans ce dossier en prenant des participations minoritaires dans une société spécialisée dans la fabrication de ces hydroliennes. Et la chance de Cherbourg est dans le malheur des autres ports dont les outils de production sont saturés. « Cherbourg est sollicité pour devenir le site de production de ces sous-ensembles », a indiqué Bruno Richebé, directeur de la division sous-marins de DCNS.
Les responsables politiques de la région ont tous salué cette initiative. Jean-François Legrand, président du Conseil général de la Manche, Bernard Cazeneuve, député maire de Cherbourg et Laurent Beauvais, président du Conseil régional de Basse Normandie ont promis de nouvelles rencontres de ce type avec les opérateurs et les responsables syndicaux pour continuer à affiner les contours du dessein de Cherbourg.