Le 24 décembre, le Bureau (français) d’enquêtes sur les événements de mer faisait savoir qu’il était (enfin) à même de diffuser six rapports d’enquêtes: deux concernaient des navires marchands; trois, des navires de pêche; et un, de plaisance.
Fuyant le mauvais temps, le 27 février 2004 à 5 h 44, le "vraquier porte-conteneurs" turc Kaptan-Aslan-Fatoglu s’échouait à la vitesse de 11 nœuds sur les rochers situés dans l’Ouest-Sud-Ouest du phare de Milier au fond de la baie de Douarnenez. Depuis 24 mn, ce navire de presque 95 m chargé de 5 100 t de blé, était entré dans "l’angle mort" du sémaphore de la pointe du Raz (JMM du 19/3/2004; 1).
Le poste qui lui est attribué au Nord-Est de Douarnenez se situe dans une zone de "faibles fonds, particulièrement difficile […]. Cependant, le tirant d’eau du navire, le balisage et les feux particulièrement nombreux permettent d’y naviguer en toute sécurité sous réserve de se montrer vigilant" écrit le BEAmer. Pas de chance, l’unique officier de quart à la passerelle s’endort vers, croit-il, 4 h 50. Il n’est réveillé que par le choc avec le caillou car "le sondeur n’est pas en fonction" et aucune alarme sonore n’est activée sur le radar et sur les deux GPS. La tenue de la navigation était perfectible, ainsi que la communication à la passerelle (2).
Le navire se plante donc lourdement mais le commandant réagit vite et bien. Il dégage seul son navire et gagne son mouillage à 7 h 15 sans avoir informé les autorités françaises. À la demande de l’armateur, la coque est examinée par des plongeurs. Le navire arrive par ses propres moyens en rade de Brest le 4 mars pour commencer le 9 ses réparations.
DES RECOMMANDATIONS RÉCURRENTES
De cet échouement sans conséquence médiatique, le BEAmer tire cinq recommandations:
• "que les navires soumis à la convention SOLAS aient un niveau d’effectif suffisant pour:
– qu’en navigation côtière, l’officier de quart à la passerelle soit assisté d’un homme de veille compétent,
– que le capitaine ne soit pas astreint à faire le quart;
• que tous moyens disponibles à bord du navire pour la sécurité de la navigation soient utilisés;
• que les navires effectuant régulièrement le même trajet disposent à bord de la documentation nautique appropriée pour utiliser les abris de manière sûre;
• que l’obligation de signaler tout incident ou accident soit rappelée au navire au moment de la délivrance de l’autorisation de mouillage;
• que soit étudiée l’opportunité d’établir des critères de suivi pour navires en refuge.
Ces recommandations, écrit le BEA, sont à rapprocher de celles contenues dans le rapport du BEAmer relatif à l’échouement du Melbridge-Bilbao le 12 novembre 2001 sur les côtes de Molène" (JMM du 8-3-2002, p. 13). Il était en effet déjà question que sur les navires Solas, l’officier de quart à la passerelle soit assisté durant la période d’obscurité d’un veilleur compétent et que le commandant soit hors quart.
Un "bel" accident bien "sale" avec des lourds hydrocarbures pourrait, peut-être, faciliter les prises de décisions. Nous reviendrons prochainement sur la destruction volontaire du vraquier Adamandas en septembre 2003 au large de la Réunion.
1) Rappelons que la mésaventure du cargo turc n’avait pas échappé à la vigilance d’un membre de l’Afcan. Ce dernier s’étonnait que le CROSS Corsen ait autorisé le navire turc à mouiller à quelques encablures au Nord du port de Douarnenez, compte tenu de l’orientation et de la violence du vent.
Autre sujet qui fâche, le suivi des navires le long du littoral: le sémaphore de la Pointe du Raz ne voit rien de ce qu’il se passe dans le Sud de la Baie et celui de la Chèvre est fermé entre le coucher et le lever du soleil. Or pour tout arranger, la Baie de Douarnenez est l’une des deux zones refuges du range Ouessant/mer du Nord. Cette problématique échappe au BEAmer dont le "seul objectif est de tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type". Cela écrit le BEA note que les "conditions météo, l’absence de dangerosité ou de caractère polluant de la cargaison, l’âge du navire et le fait qu’il avait précédemment rallié le même mouillage sans incident ne justifiait pas aux yeux des enquêteurs du BEA un suivi particulier du navire par la terre".
Depuis cet incident, le sémaphore de la Chèvre est réarmé automatiquement en 24/24 dès qu’un navire est au mouillage dans la baie ou que le vent dépasse les 28 nœuds, explique la préfecture maritime.
2) Le commandant demande à être réveillé à 5 h et au lieutenant de rester en passerelle une heure de plus après son quart pour assister le second qui est de quart à partir de 4 h. Pas informé de cette décision non-écrite, le second envoie le lieutenant se coucher à 4 h. Ce dernier ne dit rien. Le commandant assura son quart de 20 h à 24 h et resta en passerelle avec le lieutenant jusqu’à 4 h. Les journées sont longues sous pavillon turc.