Développer une culture européenne de la sécurité du transport maritime

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Pour les quatorze entités composant le RTA, des Canaries au Pays de Galles en passant par les Pays de La Loire, l’idée directrice est que "plutôt que d’empiler des réglementations supplémentaires, il convient de s’en tenir à un cadre clair, unifié, opérationnel et contrôlé". Au niveau mondial, des politiques seulement zonales, dans les eaux territoriales des États-Unis ou de l’Union européenne par exemple, ne sont qu’un pis-aller, repoussant les navires et les trafics à risques vers d’autres zones géographiques moins contrôlées

Aussi, la seule coordination efficace passe par un renforcement de l’OMI, où les États européens, "à condition d’être unis", et la Commission, elle même pour l’instant simplement "observateur", sont en mesure de jouer un rôle majeur. C’est pourquoi le groupe de travail du RTA propose de substituer à la représentation des États membres celle de l’Union européenne.

LISTE NOIRE ET LISTE BLANCHE

Dans l’application concrète des réglementations de l’OMI, les partenaires du RTA estiment qu’il faut permettre à l’OMI de:

• "vérifier directement par des audits, à son initiative, dans les pays signataires, la mise en œuvre des procédures de contrôle par les États, du pavillon et du port, en application du code en vigueur;

d’internationaliser, préciser et harmoniser les standards de sécurité ainsi que les procédures de vérification à exiger des sociétés de classification des navires, tout en renforçant la sélection de ces dernières;

de mutualiser l’usage des bases de données qui permettent de repérer les navires à risques (liste noire), mais aussi, à l’instar de ce que font les États-Unis, les navires à priori sécurisé (liste blanche)".

Au plan européen, le RTA remarque que la politique commune de la sécurité maritime a connu des avancées très significatives avec les paquets Erika I et Erika II, grâce à des votes à la majorité qualifiée, à chaque fois que cela a été possible. Pour aller plus loin, "il conviendrait de faire entrer dans cette même procédure des questions qui restent du ressort des décisions à l’unanimité".

C’est le cas de la réglementation sur d’éventuelles sanctions pénales pour les responsables de pollutions caractérisées. En 2004, la Commission a fait, au Conseil, des propositions en ce sens qui, depuis le dernier élargissement, ont été bloquées, notamment par la Grèce, Chypre et Malte.

QUEL RÔLE POUR L’AGENCE EUROPÉENNE?

Pour le RTA: "On est là au cœur même du devenir de la politique de la sécurité maritime européenne. Ou bien l’entrée de ces pays, du fait de leur rôle en matière de transport maritime, est une chance historique pour l’Europe d’aller plus loin dans l’exemplarité de ses approches; ou bien l’entrée de ces pays freine le processus, voire entraîne une régression".

À propos de l’Agence européenne de sécurité maritime (AESM), les partenaires du RTA se posent la question de son orientation. Doit-elle développer des moyens en propres ou essayer de coordonner et d’harmoniser les services afférents préexistants (ou embryonnaires) dans les États membres? Le groupe de travail penche pour la deuxième voie, "ce qui n’exclut pas d’aller un jour vers un système intégré de garde-côtes européens, par généralisation du système déjà en vigueur au Royaume-Uni avec, le cas échéant l’européanisation des personnels chargés de l’inspection maritime". Dans l’immédiat, "l’AESM a un rôle éminent à jouer sur l’application effective, dans chaque État membre, de la réglementation européenne".

RESPECTER LES ENGAGEMENTS

Reste l’application effective des politiques de sécurité maritime dans chaque pays. Les écarts dans la mise en place des réglementations sont très sensibles dans le système de transposition en droit national du droit communautaire et aussi dans la réalité d’application des textes en vigueur. Pour aboutir à l’objectif souhaité, "une action est à mener par le haut, à partir des institutions européennes, par le bas, sous la pression des collectivités locales et des populations concernées". La création d’associations telles que Vigipol (2) en Bretagne apparaît aux socioprofessionnels du réseau comme une action pertinente. Ils sont prêts à s’y associer.

En priorité, ces socioprofessionnels demandent que soient respectés les engagements pris en matière:

• de fréquence, de renforcement et de ciblage des contrôles des navires par l’État du port;

• d’exigences et d’encadrement envers les sociétés de classification;

• de vérification de la qualification des gens de mer;

• du suivi et de la régulation du trafic maritime;

• d’études et de sélection des lieux de refuge;

• de mise en commun des échanges de données;

• d’obligation de déchargement des déchets polluants dans les ports et, en contrepartie, du renforcement de la surveillance des rejets illicites en mer.

Pour faire respecter l’ensemble de ces engagements, "il est indispensable de mettre en place des systèmes de recours de la part des victimes et de sanctions pour les contrevenants".

RESPONSABILITÉS ÉTENDUES À L’ENSEMBLE DES OPÉRATEURS

Partant du principe que la grande majorité des accidents ont une cause humaine, de même que les erreurs sont encore trop souvent commises dans la gestion des crises, le RTA estime qu’il est essentiel de développer les formations à tous niveaux: les gens de mer, les intervenants portuaires, les services de secours, les administrations en charge des décisions à prendre avec, dans chaque cas, une vérification effective des certifications et des compétences acquises. Le RTA suggère que l’entraînement, la capacité d’expertise et le retour d’expérience sont à mutualiser. Il rappelle le rôle du Cedre en France ou du MCA au Royaume-Uni. En outre, il se propose d’entamer une réflexion sur les conditions de travail et leur contrôle, notamment vis-à-vis d’équipages manifestement en dessous des normes requises.

Il estime également que, non seulement, les victimes des sinistres doivent être intégralement dédommagées des frais engagés et pertes subies, mais, plus encore, que les opérateurs maritimes paient de fortes indemnités s’ils provoquent une pollution.

Les recours en responsabilités civile et pénale, limités aujourd’hui au seul capitaine du navire, à son propriétaire et à leurs assurances, "doivent pouvoir être étendus à l’ensemble de la chaîne des opérateurs impliqués (exploitant, gérant, affréteur, mais aussi sociétés de classification, Etats du pavillon et Etat du port qui ont délivré les certificats et effectués les contrôles exigés par la réglementation internationale)". Il s’agit de les inciter à investir dans la sécurité des navires.

SE DONNER LES MOYENS

Au-delà du regain d’attention pour la sécurité maritime qui suit "éphémèrement" chaque catastrophe majeure, il faut promouvoir une "véritable culture de la sécurité", précise le RTA. Pour cela, il faut améliorer les connaissances susceptibles de concourir à la sécurité maritime dans la construction des navires (3), la traçabilité des cargaisons, le suivi des nappes, l’analyse des produits, la conduite technique de collecte des déchets en mer, leur ramassage terre, la gestion des équipes mobilisées, la manière d’informer les populations, le choix des sites de stockage, l’estimation des dommages et préjudices et enfin la connaissance écologique des littoraux.

Le risque zéro n’existe pas, mais on peut y tendre en s’en donnant les moyens, estiment les membres du RTA.

1) Le Réseau transnational atlantique (RTA) est composé des Conseils économiques et sociaux des régions de l’espace Atlantique et d’organisation analogues. Quatre pays y sont représentés: la Grande-Bretagne, la France, l’Espagne et le Portugal. Il a pour but de formuler des propositions pour l’élaboration de projets et de politiques de coopérations interrégionales destinées à renforcer la compétitivité et la cohésion sociale et territoriale des régions Atlantique.

2) Le syndicat mixte de protection du littoral breton Vigipol a été créé en 1980 à la suite du naufrage de l’Amoco-Cadiz. Il regroupe 92 communes de la côte Nord de la Bretagne ainsi que les départements du Finistère et des Côtes-d’Armor. Il a deux missions: la prévention contre les pollutions issues du trafic maritime et la défense des intérêts des collectivités locales en cas de pollution.

3) La pertinence des pétroliers à double coque ne fait pas l’unanimité chez les experts. Le principal avantage réside dans la protection apportée en cas de chocs mineurs. Certains estiment même qu’au bout de 10 à 15 ans ces navires à double coque seraient plus dangereux que les pétroliers à simple coque. Ces risques spécifiques sont la corrosion, la fatigue du métal et les risques d’explosion. En effet, les vapeurs d’hydrocarbures sont autoexplosives à des concentrations très faibles et, par conséquent, les dégazages des espaces vides sont très dangereux.

"Tuyau magique": MSC Ship Management plaide coupable et passe par la case $10,5 millions

Le 19 décembre dernier, le Département américain de la Justice faisait savoir que MSC Ship Management (Hong Kong) avait décidé de plaider coupable des chefs d’accusation suivants: entente en vue de commettre une infraction, obstruction à la justice, destruction de preuve, faux témoignage et violation de la loi sur la prévention contre la pollution. Si la décision de la compagnie est acceptée par la Cour de l’État du Massachusetts, le gestionnaire de navires devra également s’acquitter d’une amende $ 10 millions. S’y ajoutera un demi million destiné aux ONG (1) américaines chargées de former les navigants en escale dans les ports du Massachusetts, à la protection de l’environnement, y compris aux procédures de signalement des atteintes à l’environnement aux autorités américaines. Pour faire bonne mesure, les 81 navires gérés par MSC Ship Management (HK) qui touchent les États-Unis seront placés durant cinq ans sous surveillance renforcée. Ils devront être exploités selon le programme approuvé par le gouvernement américain de respect de l’environnement. Ce dernier prévoit notamment, la visite d’un inspecteur indépendant durant chaque escale; ses rapports étant examinés par un expert agréé auprès du tribunal.

Le Département de la Justice ajoute que c’est la plus importante amende jamais infligée par l’État du Massachusetts pour une affaire d’atteinte à l’environnement.

"Nous espérons que cette amende significative de $ 10 millions constituera un message fort en direction de ceux qui dans la communauté maritime tentent de contourner notre législation" concluait Le procureur fédéral de la cour du Massachusetts (2).

Durant cinq mois, en 2004, le MSC-Elena a rejeté illégalement à la mer environ 40 t. d’eaux sales grâce à un système composé de trois éléments, poursuivait le communiqué. À l’aide d’un tuyau en caoutchouc et une pompe portable, un tonnage plus important de résidus a également été déchargé.

Le sort du chef mécanicien (JMM du 21-10-2005, p. 12) et de son second (JMM du 16-12-2005, p. 10) qui ont tous deux plaidé coupable, devrait être fixé dans les prochaines semaines.

Michel Neumeister

1) Voilà une bonne idée qui pourrait utilement inspirer la justice française: une partie des 300 000 € qui constituent la moyenne des amendes en cas de déversement non-accidentel d’hydrocarbures en mer, pourrait être directement affectée aux moyens de lutte ou de détection de la pollution plutôt que d’être versée dans le puits abyssal du budget général.

Dans la foulée, on s’assurera que l’administration française est bien soucieuse de l’intérêt financier de ses mandants et applique enfin l’article 16 de la directive 95/21 sur le contrôle des navires par l’État du port. Cet articulet prévoit que "tous les coûts liés aux inspections effectuées par l’autorité compétente […] sont à la charge du propriétaire ou de l’exploitant du navire" et non pas à celle du contribuable de l’État du port.

2) Le prochain qui se fera piquer aux États-Unis pour "bricolage" du séparateur eau/hydrocarbures devrait être puni par où il a péché: les oreilles. Car il est intolérable et inexplicable qu’un armateur soit sourd, à ce point: l’usage du bambou magique a coûté $25 millions à Evergreen (JMM du 22/4/05; p. 12) et maintenant $ 10,5 millions pour MSC. Et malheureusement, nous n’avons pas à faire à d’obscures officines d’opérateurs de troisième plan qui tirent le diable par la queue. Le mythe de l’armateur "véreux" en sort inutilement renforcé et la communauté armatoriale internationale pourrait, enfin, s’en émouvoir.

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