Les majors pétrolières condamnées aux promesses vertes

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En promettant la « neutralité carbone » d’ici à 2050, la Britannique BP, qui émet 415 Mt de CO2 par an, a inévitablement attiré la lumière médiatique et sans doute effrayé ses actionnaires, qui ne pourront pas non plus se consoler de dividendes déprimés. C’est ainsi que l’Irlandais Bernard Looney a théâtralisé son entrée le 12 février à la tête de l’une des trois « super majors » pétrolières européennes (avec Shell et Total). Tout comme son successeur Bob Dudley avait mis en scène sa sortie quelques semaines auparavant. Le nom de celuic-i reste accroché à Deepwater Horizon, la plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique qui a explosé le 20 avril 2010 engendrant un désastre écologique (4,9 millions de barils déversés) et coûté à la société 70 Md$, désastre pour lequel elle continue de payer (2,4 Md$ en 2019 et un peu moins d’un milliard en 2020). Benard Looney, qui dirigeait depuis 2016 la branche d’exploration et production du groupe, a eu la main lourde sur les objectifs verts. Quelques jours après son « intronisation », Bernard Looney annonçait que BP allait quitter trois associations pétrolières américaines ne respectant pas les objectifs en matière de lutte contre le changement climatique. Des noms ? L’AFPM (American Fuel and Petrochemical Manufacturers), la WSPA (Western States Petroleum Association) et la WEA (Western Energy Alliance).

Aucune compagnie européenne n’est allée aussi loin, excepté peut-être Repsol. Le groupe pétrolier espagnol fut en effet le premier à avoir déclaré, certes opportunément en marge de l’ouverture de la COP25 à Madrid, « revoir entièrement sa stratégie ». Il s’est alors engagé à accroître « significativement » la production d’énergies renouvelables, a` augmenter son prix interne du carbone à 25 $ la tonne en 2025. Pour s’épargner des critiques de « greenwashing », ses dirigeants verront au moins 40 % de leur rémunération variable indexée sur l’atteinte de ces objectifs.

Alors que la surcapacité menace le secteur, dopé par le schiste américain, que la demande du deuxième consommateur d’or noir est plombée par le coronavirus, que la pression sociétale s’intensifie pour qu’elles verdissent leur portefeuille, les entreprises du secteur doivent régler un autre conflit. Leurs actifs menacés par les fameux « stranded assets » (actifs qui se déprécient en raison des évolutions de la réglementation, des technologies ou de la société…), elles sont condamnées à bien rémunérer tout en devenant plus « renouvelables » si elles veulent garder leurs actionnaires. Et face à des investisseurs, qui craignent le risque d’« actifs échoués », les compagnies préfèreraient s’endetter, indique une étude que vient de réaliser l’Institute for Energy and Financial Analysis (IEEFA).

« Les majors pétrolières vivent bien au-dessus de leurs moyens (« Living beyond their means » est le titre de l’étude, NDLR). Elles versent plus de dividendes qu’elles ne génèrent d’argent ». Ainsi, entre 2010 et 2018, ExxonMobil, BP, Chevron, Total et Shell ont versé en tout 536 Md$ de dividendes à leurs actionnaires. Mais, sur la même période, ces cinq entreprises n’ont généré que 329 M$ de flux de trésorerie. Pour combler l’écart, elles se sont endettées ou délestées de participations.

Il faut sans doute voir dans cette étude l’inexorable effacement des énergies qui tiraient autrefois l’économie mondiale au profit d’un mix énergétique plus adapté aux aspirations de la société. En témoigne la désaffection du secteur dans l’indice phare américain S&P 500. Il est passé sous les 4 % fin janvier. Mais en veut pour preuve aussi le cas d’école ExxonMobil. La compagnie américaine présente l’écart le plus grand entre les dividendes versés et les flux de trésorerie disponibles, soit 64,5 Md$. Elle est aussi celle qui est la moins engagée dans la transition énergétique et celle qui doit se justifier aujourd’hui auprès de ses investisseurs pour avoir menti sur la réalité de ses engagements climatiques.

Adeline Descamps

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