Après quatre mois de chantier et 15 000 heures ouvrées chez Piriou Naval Services (PNS), la filiale de réparation navale et de refit du constructeur breton Piriou, l’unique mais mythique paquebot de croisière de la compagnie Latitude Blanche va amarrer le 20 mars pour son premier départ vers les terres des icebergs après une refonte totale de sa propulsion de l'hélice à la passerelle, d'où les systèmes de commande et de contrôle sont désormais accessibles.
« Un projet un peu fou », convient la direction de l’armateur marseillais cofondé et toujours présidé par Yann Le Bellec, ancien élève de l’ENSM, ayant navigué comme capitaine et pilote des glaces. Et un risque financier et technique car il s’agit d’utiliser les dernières technologies pour reconfigurer la propulsion et l'ensemble des systèmes de production d’énergie d'un navire de 50 ans.
À investissement égal (cinq fois le prix du navire, l'entreprise ne souhaite pas communiquer à ce niveau), il aurait été plus judicieux d’acquérir un second navire équivalent, a fortiori pour les 10 ans qui lui restent encore à vivre. Il faut donc croire que les économies de carburant générées sont importantes.
Non-sens écologique
Déconstruire –non sans impacts avec cette masse de 1 000 t d’acier –, pour reconstruire ne fait pas partie du schéma de pensée de l'entreprise, surtout quand sa coque dénote « un excellent état de la structure », insiste Yann le Bellec.
Ce n’est pas tout à fait ce genre d’empreinte que la compagnie veut laisser, elle qui prône une expérience sobre (12 voyageurs) et sous pavillon français (12 marins) dans les immensités glacées mais néanmoins fragiles de l'Arctique. D’autant qu’avec ce patrimoine, Latitude Blanche tient un monument intouchable et un narratif que les voyageurs aiment.
Le dernier des Mohicans
Le Polarfront a en effet une âme en tant que dernière unité météorologique au monde. Construit en Norvège au mitan des années 70, le navire long de 55 m et large de 10 m, n’a connu que l’État norvégien pendant la quasi-totalité de sa vie pour lequel il effectuait des relevés de l’évolution du taux de CO2 dans l’atmosphère, à la convergence des masses d’airs polaires et tropicales, en partenariat avec l’Institut météorologique norvégien.
Depuis son acquisition en 2017 par Latitude blanche, il a été reconverti en paquebot d’expédition et est immatriculé sous le Rif (Registre International Français).
« La qualité des matériaux utilisés en Norvège dans les années 70 en font un navire exceptionnel. Il a été entretenu avec des moyens conséquents tout au long de sa carrière. Grâce à nos six années d’expérience dans son exploitation, nous connaissons bien son profil opérationnel. Nous avons listé tous les points techniques susceptibles d'être améliorés pour être dans les clous de l’environnement, de la sécurité [des marins] et du confort [des passagers] », s'explique le dirigeant.
Moteurs, hélices, chaudière...
« De l’hélice à la passerelle », tous les systèmes ont été renouvelés.
Deux moteurs électriques, d’une puissance de 664 kW, alimentés par trois génératrices diesel Volvo Penta de nouvelle génération (normes Imo Tier III), se sont substitués aux quatre moteurs historiques au gasoil de 1 100 kW.
La tuyère et l’hélice à pas variable ont laissé place à une hélice à cinq pales fixes, d’un plus grand diamètre, sans tuyères.
Les trois groupes électrogènes principaux, énergivores avec leur puissance de 200 kVA, ont été équipés de systèmes de réduction catalytique des gaz d’échappement (SCR) pour traquer les oxydes d’azote (NOx).
Une chaudière à haut rendement a été associée à un système de récupération de chaleur des moteurs. Après son acquisition, l’entreprise avait déjà procédé à des investissements pour limiter les pertes mais là, il s’agit de récupérer la chaleur des moteurs pour les commodités (chauffer les espaces communs et produire de l’eau chaude).
Pierre Moreau, directeur général de Piriou Naval Services (PNS) et Yann Le Bellec president de Latitude Blanche
Ne pas consommer plus que de besoin
Le navire, qui ne devrait pas consommer plus que nécessaire, dispose logiquement de la connexion électrique à quai. L’ensemble de ces aménagements devraient réduire de 40 % la consommation et d’abattre totalement les émissions de NOx.
« Les essais en mer ont validé l’utilisation d’un seul moteur électrique et d’un seul groupe pour une navigation à 8 nœuds, vitesse nominale d’exploitation de Polarfront [pour 90 % des navigations de Latitude Blanche, NDLR] », se montre satisfait Yann Le Bellec, président de Latitude Blanche, à quelques jours de la reprise en mer.
À cette vitesse, un seul moteur pourrait donc suffire. Le second servira, le cas échéant, d’appoint pour les manœuvres ou en cas de mauvais temps. Le troisième est une sécurité supplémentaire « pour être certain d’en avoir toujours deux disponibles ».
Garder la performance du bon vieux Wichmann était une priorité, expliquait Yann le Bellec au JMM en juin dernier alors que la compagnie de croisière marseillaise fêtait son sixième anniversaire.
L’arrêt pour un motif quelconque de ces moteurs datant de leur année de construction aurait présenté une facture salée. « La moindre panne aurait coûté plusieurs mois d’immobilisation sans avoir l'assurance que certaines pièces resteraient disponibles. Il aurait été par ailleurs compliqué de les acheminer sur le lieu d’exploitation du Polarfront, au Svalbard », insistait-il, rappelant que son projet vise aussi à améliorer la sécurité d’exploitation et de navigation.
Piriou aux manettes
Le constructeur breton Piriou est à la manœuvre depuis décembre, retenu à l’issue d’un appel d’offres international, avec son réseau de sous-traitants parmi lesquels Actemium Marine, France hélices, Barillec...
Les travaux ont nécessité au préalable une étude complète de la carène et des performances du navire, « qu’il a fallu recalculer à partir de plans dessinés à la main », précise l’entreprise. Cette phase d’ingénierie a été menée par le bureau technique de PNS.
Avisé, Yann Le Bellec avait au préalable, de février à avril 2023, confié la visite quinquennale du navire au chantier de Concarneau. Ainsi, les équipes de Vincent Faujour, président de Piriou, ont pu apprivoiser le mythe.
Adeline Descamps