Blue Maritime Summit : la croisière dresse le bilan de cinq ans d'engagements environnementaux à Marseille

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En 2019, ground zéro de l’événement, ils étaient quatre armateurs pionniers à s'engager dans des mesures limitant l’impact de leurs opérations. En 2022, la quasi-totalité des compagnies de croisière fréquentant les eaux de la Méditerranée française s'embarquaient dans un contrat de 13 engagements contraignants et certifiés par l'État français. Pour quels résultats ? Quelles avancées ?

Il a toujours dit qu’il ne voulait pas de faire de ce rendez-vous biannuel un « sommet d’autocongratulations » ni une surenchère d’engagements environnementaux. En dépit des apparences, est-on tenté d'ajouter. Quand Jean-François Suhas a lancé le Blue Maritime Summit en 2019, un événement initié par Croisière Marseille Provence qu'il préside, avec le concours du Comité marseillais des Armateurs de France, de l’UMF et du port de Marseille Fos, il s'agissait de cranter les phases de la transition énergétique des navires de croisière. Le pilote de profession n’avait à son crédit qu’une solide réputation d'homme de la mer préoccupé par le monde vivant qui l’entoure.

Cinq ans et trois rendez-vous plus tard, un bilan de la charte dite « croisière durable Méditerranée », signée par par l'industrie de la croisière qui escale à Marseille, a été dressé ce 5 décembre à la Grotte Cosquer à Marseille, privatisée pour l’occasion. Profession de foi que tous les intervenants ont brandi comme le Pentateuque des chrétiens.

La croisière reste un sujet sensible

À considérer le long tunnel d’interventions politiques à l’ouverture, au premier rang desquels l’État, dont les administrations (DGAmpa, DIRMM) ont été particulièrement actives sur ce dossier, il ne manquait finalement...que le maire de Marseille, Benoît Payant, Richard « Cœur de Lion » en chef croisé contre les « navires polluants ».

En 2019, ground zéro de l’événement, quatre armateurs pionniers représentant 83 % des escales et 95 % des passagers dans les bassins Est de Marseille Fos, s’étaient engagés à mettre en œuvre quatre mesures limitant l’impact de leurs opérations. Sans y être, alors, contraints par les règlementations mais acculés par la pression sociétale et les accusations, plurielles, chroniques, parfois exagérées, largement médiatisées contre la pollution des paquebots, qui paradoxalement ont été les premiers à souter du GNL et à s'équiper de systèmes de filtres catalytiques.

MSC, Costa, RCCL et la Française Ponant promettaient alors de recourir au branchement électrique à quai, à basculer dès la prise en charge par le pilotage sur du carburant à 0,1 % ou à effets équivalents, à réduire la vitesse à 10 nœuds dans la zone en entrée et en sortie et à privilégier des escales au GNL pour favoriser le développement d'une filière d'avitaillement. La flotte mondiale consommait alors 265 Mt de combustibles de soute par an, dont 90 % des volumes étaient du fuel lourd (à plus de 3 % de teneur en soufre) et 10 % du gazole ou des distillats.

Naviguer dans un jeu de contraintes croissantes

Depuis, l’événement a élargi son scope pour intégrer plus de problématiques de pollution, de trafics et de métiers et s’adresser à l’ensemble de l’industrie maritime. Entre-temps, l’arrière-plan a bien changé. Outre une pandémie qui a cloué au sol les paquebots pendant plus de deux ans, deux guerres dont une aux portes de l'Europe, les enjeux se sont complexifiés et les objectifs réglementaires se sont resserrés.

En revanche, l’acceptabilité sociétale à l’égard des visites à Marseille de ces mastodontes des mers n’a, elle, pas beaucoup varié. Ils restent stigmatisés tant pour leurs émissions chargées d’oxydes de soufre (SOx), d’azote (NOx), de particules fines (PPE) et de gaz à effet de serre (GES) – les quatre ennemis publics de toutes les réglementations nationales, européennes et internationales –, que pour leurs nuisances sonores et visuelles.

Le sujet est toutefois plus sensible dans la cité phocéenne que dans aucune autre métropole française du fait de l’extraordinaire montée en puissance de son terminal de croisière dans le cénacle des infrastructures millionnaires avec 2,5 millions de croisiéristes en 2023 (1,78 millions en 2019) et 626 escales dont 147 avec des navires au GNL. En 2022, Marseille avait accueilli 573 escales (dont 74 propulsés au GNL) pour 1,43 million de passagers.

Une démarche dite unique en France

En 2022, le « Blue maritime Summit » a encore étendu sa sphère d’influence en embarquant la quasi-totalité des compagnies de croisière fréquentant les eaux de la Méditerranée française dans un contrat de 13 engagements au caractère contraignant. La nouvelle mouture de la charte avait été cosignée par le secrétaire d’État à la Mer de l’époque, Hervé Berville, poussé sur le devant de la scène pour attester de la crédibilité de la démarche, et Marie-Caroline Laurent, (alors) secrétaire général de Clia Europe, représentant les armateurs de paquebots croisant en Méditerranée.

« C’est une initiative unique en France que je qualifierais d’exemplaire », persiste à dire aujourd'hui Christophe Mirmand, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. La façon dont l'État se positionne par rapport à la démarche l’est aussi, sans doute parce qu’elle entre en résonnance avec la politique climatique du gouvernement. « Cette charte, qui concilie les ambitions de développement économique avec celles de développement durable, permet d'embrasser tous les enjeux, à savoir la préservation des habitats marins, la protection des grands mammifères, la qualité des eaux, la réduction de la pollution atmosphérique ou encore la sensibilisation des passagers à la fragilité de la biodiversité ». Le représentant de l’État invite désormais à rendre la démarche plus inclusive en incluant d'autres acteurs (notamment des tierces parties) pour mieux couvrir certains engagements. Voire à en repenser la gouvernance...

« Le principe de la charte s’appuie sur une autoévaluation et un audit externe », complète Stephan Rousseau de la Direction interrégionale de la mer Méditerranée (DIRM Méd). On s’est focalisé sur les navires qui ont plus de dix escales. Un questionnaire a été fourni aux armateurs et le même a été utilisé par les auditeurs indépendants. Dans la partie autoévaluation, il y a aussi une phase d'analyse technique portant sur la motorisation du navire. Sur les 68 dossiers reçus, nous avons dégagé des points intéressants, notamment sur leur capacité à abattre les oxydes d’azote, polluant le plus symptomatique de l'activité maritime ».

25 % des navires dotés d'un moteur Tier III

Ainsi, la DIRM Med peut avancer que sur les 31 compagnies signataires de la Charte représentant 88 % des 1 691 escales programmées cette année en Méditerranée (Marella Cuises et Club Med Croisières ont décliné), plus d'un quart des navires sont déjà dotés d’un moteur à norme Tier III dans une zone qui n'est pas encore à émissions contrôlées. Parmi eux, 10 % brûlent du GNL. « Ce n’est pas tant les 10 % qu’il est intéressant de noter mais le fait qu’il y ait beaucoup d'escales opérées à Marseille avec des navires au GNL », pointe le porte-parole de la DIRM Med.

Et alors que l'État français a fait le choix d'interdire les scrubbers pour les navires de 3000 GT (il est question d’aller au-delà), la moitié des navires fréquentant les côtes méditerranéennes sont équipés de ces dispositifs d’épuration des gaz d’échappement et un tiers d’entre eux à boucle ouverte. « C’est dire qu’ils sont en mesure, si besoin, par autorité, de pouvoir utiliser leur système de traitement catalytique pour atteindre les seuils recommandés par la charte ».

Score de conformité élevé

Le bilan des deux ans sur le respect des engagements dégage aussi d’autres enseignements sur l’écart entre autoévaluation opérée par la compagnie et l’audit indépendant. « Le score moyen à la fin de l'audit est comparable à 77 % à l’auto-évaluation. Pour couvrir le solde, 28 plans d'action ont été réalisés pour aboutir à un taux de 94 % », poursuit Stephan Rousseau.

À l’issue des deux ans, ce sont 26 navires qui sont raccord, à hauteur de 80 %, avec les engagements de 2022. Il reste trois engagements (11, 12 et 13) sur lesquels administrations et croisiéristes butent davantage car ils concernent ce qui se passe à terre dans une logique d'escale plus durable. « On ne peut pas jouer seul sur ces engagements », plaident les armateurs. Il est indispensable que l'on soit aidé au niveau des infrastructures portuaires et cela ne peut pas se limiter au branchement à quai. On a besoin de transports décarbonés, moins polluants, pour les déplacements dans l’hinterland ».

Le port de Marseille Fos dans les clous

« Le port de Marseille tient ses engagements sur un plan technique », expliquera dans une des nombreuses tables rondes, Hervé Martel, le directeur général du port de Marseille, qui a investi 150 M€ dans la connexion électrique à quai et ne le regrette pas au regard des premiers résultats de l'étude confiée au pole Mer Méditerranée il y a deux ans. « Les ferries qui desservent la Corse et le Maghreb sont déjà branchés. Nous serons en mesure de connecter deux paquebots simultanément sur le terminal MPCT d’ici la fin de l’année 2025-début 2026, et un troisième avant la date fatidique du règlement européen AFIR ». Sachant que durant la saison estivale, il pourra y en avoir quatre à cinq. « On parle d'une quinzaine de jours et à raison d’un jour dans la semaine », pondère Jean-François Suhas. D’ici 2030, ceux qui ne pourront pas se connecter brûleront du GNL ou seront équipés d’un pack de batteries, suggère le pilote. « Et sans cela, on va quand même agir sur 90 % de nos 600 escales. Tout le monde s’en sentira bien mieux ».

Le règlement européen AFIR (Alternative Fuels Infrastructures Regulations), évoqué par Hervé Martel, vise à accélérer le déploiement d’infrastructures pour les carburants alternatifs dans l’Union Européenne. Un des axes concerne en effet le raccordement électrique à quai dans les ports ayant dépassé les 25 escales pour les navires de croisières (50 pour les portes conteneurs et 40 pour les ferries et ro-pax). À ce titre, en Méditerranée française, Marseille-Fos, Sète, Toulon, Nice, Cannes et Port-la-Nouvelle ont l’obligation d’ici 2030 de fournir de l’électricité à 90 % des navires concernés. À Toulon, un poste permettra en 2025 de raccorder un navire de croisière. Les travaux de mise en place de branchement à quai de navires sont programmés et en cours également à Sète et Nice. À ce stade, selon la DIRM, 42 % des paquebots assurant plus de 10 escales sur les côtes méditerranéennes sont pré-équipés pour le raccordement électrique.

« Peu de ports dans le monde pourront offrir trois postes embranchés de cette puissance », poursuit Hervé Martel. Les deux postes de raccordement de grande puissance nécessiteront en effet 15 à 18 MW chacun, soit « l’équivalent de la consommation d’une ville moyenne », rappelle-t-il. Il reste au port à pouvoir offrir de l’électricité (si possible verte) à un prix compétitif (ce qui n’est pas garanti s’il ne bénéficie pas de soutiens publics) avant d’en produire dans les prochaines années à partir de ses toitures photovoltaïques.

Au tour des ports de croisière

En fin de journée, en guise de relance des engagements, un autre document (« Engagements Escales Durables en Méditerranée »), a été paraphé, cette fois par les autorités portuaires et concessionnaires de ports de Toulon, Sète, Marseille et Nice, ainsi que par les agences de qualité de l’air de la région Sud et de Corse. La démarche est censée entériner leur adhésion à la charte autour de cinq points : le partage entre services de l’État et autorités portuaires des caractéristiques techniques des navires en escale pour partager des connaissances sur le raccordement à quai ; le signalement en amont des pics de pollution par les capitaineries aux navires de croisière sur la base des informations fournies par « les tiers de confiance » que sont Atmo Sud et Qualit’air Corse ; la promotion de solutions de mobilité décarbonées et moins polluantes à quai et enfin, la consolidation d'un bilan global des escales réalisées avec un branchement à quai effectif dès 2026 afin de pouvoir mesurer l’abattement réel des émissions de SOx, NOx, CO2 et de particules fines. « Il s’agit à cet égard de tenir compte de l'expérience et du côté précurseur des ferries, pour anticiper d’éventuels blocages ou difficultés », précise Stephan Rousseau.

Réguler le surtourisme

« La croisière n'est pas un type de tourisme isolé. Nous avons besoin des partenaires locaux pour que ce secteur grandisse de façon pérenne », indique en aparté le Français Samuel Maubanc, qui vient de prendre les rênes de la Clia Europe basée à Bruxelles. Nous entretenons un dialogue structuré et régulier avec les autorités municipales partout en Europe. Je ne désespère pas qu'un jour, on ait le même type d’échanges avec la municipalité marseillaise, qu'on continue de solliciter. »

Le nouveau délégué de l'association des croisiéristes qui, avant de rejoindre la Clia était responsable des affaires européennes et directeur général du producteur de carburants renouvelables Neste, considère les évaluations effectuées comme un « outil de reconnaissance des efforts de transparence » et des « années d’investissements réalisés volontairement par nos adhérents dans le verdissement de leurs bateaux ». « C'est aussi le succès d’une formule : un partenariat public-privé sur la base d’un volontariat », sourit-il.

Une étude en cache une autre

Il reste beaucoup à faire au-delà du tuilage des réglementations à venir dans l’adaptation des infrastructures terrestres. « L’usage de l’eau, l'organisation des embarquements, des débarquements, le choix des destinations et des dates restent des sujets », répond Samuel Maubanc. « Les programmes étant organisés un à deux ans à l'avance, on peut agir sur ces points. On dispose de datas sur nos flux. On peut proposer des mesures techniques ou organisationnelles. On investit énormément réduire les désagréments. Il y a sûrement plus à faire. Mais il faut être deux pour danser le tango »

Pour disposer d’éléments « rationnels et factuels » et engager un « dialogue structuré et apaisé » avec les municipalités (plus ou moins) accueillantes, la Clia a confié une étude à Oxford Economics sur les retombées économiques du secteur. Menée dans plusieurs ports (cinq en Europe et cinq aux États-Unis), la partie concernant Marseille a été dévoilée à l’occasion du Blue Maritime Summit. Les flux et les dépenses des croisiéristes y sont décryptés mais aussi le sentiment d’un panel de commerçants marseillais. L’étude se distingue par l’échantillon et le nombre d’entretiens réalisés. Elle tombe à pic pour comparer les résultats avec celle, en cours, initiée par la Ville de Marseille. Mais elle ne désarmorcera pas pour autant la fronde locale du collectif anti-croisières, d'ONG environnementales et des partis politiques (LFI et Gauche écosocialiste), qui avaient prévu un comité d'accueil auquel ils ont renoncé la veille. « Blue Maritime mytho », avaient-ils tracté en amont.

Adeline Descamps

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