« Le résultat de la COP26 est un compromis, qui reflète les intérêts, les contradictions et l'état de la volonté politique dans le monde aujourd'hui ». C’est par un tweet amer lâché à l’issue de la 26e conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique, qui s’est tenue à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre en présence de 197 pays, que le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a fait part de sa déception.
« Il existe une pression plus forte et uniforme en faveur du changement, même si les responsables politiques n'ont pas été en mesure de le refléter dans le texte final issu de la COP26 », préfère lire Lasse Kristoffersen, le PDG de l’opérateur norvégien de vraquiers Torvald Klaveness.
Si le sentiment d'urgence collective parait désormais ancré, les gouvernements ont manifestement beaucoup de mal à planifier un monde sans combustibles fossiles et à s’accorder sur une politique environnementale unifiée.
Les portes se sont donc fermées sur un sommet international climatique aux résultats bien ténus. Pour le transport maritime, le résultat le plus probant de Glasgow est sans doute l'engagement signé par plus de 100 pays de réduire les émissions de méthane de 30 % d'ici à 2030. Aussi, la France, les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Australie et une dizaine d’autres pays figurent parmi les premiers signataires de la Déclaration de Clydebank, qui vise la mise en oeuvre de « corridors maritimes verts » d’ici le milieu de cette décennie.
Des corridors verts pour quelle faisabilité ?
Deuxième grand rendez-vous
Alors que s’ouvre à l’OMI la 77e session du comité de protection du milieu marin (MEPC), qui se tiendra jusqu’au 26 novembre, la marche est haute. Elle est d’autant plus que les deux précédentes sessions, les MEPC 75 et 76, ont été peu convaincantes en termes de résultats, donnant l’impression, avec ses options molles, d’avoir abdiqué sur ce qui semblait a priori non-négociable.
Au sein de cet autre royaume où le compromis politique et commercial tient lieu de loi d’airain entre ses 174 États membres aux intérêts divergents, la désunion mondiale se fracture rapidement sur les propositions clivantes. Lors du MEPC76, les pays volontaires « pour stopper le réchauffement climatique » étaient en minorité face aux pays moins alertes, emmenés par la Chine, parmi lesquels le Brésil, l'Inde, la Russie, et l'Arabie saoudite…
« Le manque de détermination est un peu inhérent à la façon dont l'organisation est mise en place sur la base du consensus. Je pense donc que l’OMI a besoin d'une pression extérieure pour se mettre vraiment en mouvement, car il semble que cela ne se fera pas tout seul. La perspective de voir l'Organisation maritime internationale perdre sa pertinence pourrait obliger les pays réticents à accepter des mesures plus efficaces. Et je pense que c'est ce dont nous avons besoin, étant donné le peu de résultats obtenus lors du dernier cycle de négociations », a résumé la situation Engebret Dahm, le PDG de Klaveness, dans un récent entretien au média danois ShippingWatch.
OMI contestée par Bruxelles
Le gestionnaire de navires fait allusion aux démarches proactives de l’UE, qui entend intégrer le secteur du transport maritime au marché européen du carbone (système communautaire d’échanges de quotas d’émissions ; SCEQE ou SEQE). En cela, « l’autorité régionale » vient titiller la primauté de « l’autorité internationale » qu’est l’OMI sur ces questions en forçant la porte pour qu’elle prenne des normes plus strictes.
En clair, si l’OMI échoue à imposer des mesures fortes pour atteindre les propres objectifs qu’elle s’est fixée au prix d’un lourd consensus en 2018 (à savoir réduire de 40 % d'ici 2030 l'intensité en carbone des navires par rapport à 2008 et de 50 % d’ici 2050), le transport maritime se verra imposer des règles du jeu régionales. Chez les professionnels, un autre consensus fait force de loi : sur les questions climatiques doivent primer des décisions internationales « pour avoir le plus d'effet sur les émissions du secteur » et pour garantir des « conditions de concurrence inéquitables ».
Entrisme
Lors de la dernière session du MEPC 76, il a été acté quelques mesures techniques et de court terme via deux outils portant sur l’efficacité énergétique des navires (EEXI) et l'intensité de carbone (Carbon Intensity indicator, CII). Il a été convenu que l’intensité carbone soit améliorée de 2 % par an entre 2023 et 2026 (une amélioration de 1,5 % par an jusqu'en 2023 et de 2 % par an jusqu'en 2026), soit 11 % sur durée. Les États occidentaux – États-Unis, Union européenne et Royaume-Uni – auraient souhaité qu’elle soit à « au moins » 21,5 % en 2030 par rapport à 2019.
Les portes du MEPC 77 s’ouvrent, sous présidence slovène, sur une tout autre configuration, politiquement parlant. En amont de la COP26, pour lequel le secteur maritime a fait preuve de beaucoup d’entrisme, un ensemble composé de 34 nations et de la Commission européenne ont soutenu la soumission à l’OMI d'une résolution exigeant que les émissions du transport maritime soient réduites à zéro d'ici 2050. Bien au-delà donc de ce qui avait été convenu en 2018 (réduction de 50 % d'ici à 2050).
Majorité des États en faveur du zéro net ?
En juin, trois grands transporteurs maritimes de conteneurs ont déjà fait connaître un engagement dans ce sens. « Cela paraît peu mais à elles trois, elles représentent plus de 30 % de la flotte mondiale de conteneurs. Si l'on ajoute celles qui mettront en œuvre les mesures décidées à l’OMI, on pourrait aboutir à un transport de conteneurs sans fossiles à 64 % d'ici à 2050 », soutient le document (stratégie nécessaire pour la transition vers un transport maritime à émissions nulles), publié en amont de la COP 26 par le Maersk Mc-Kinney Møller Center for Zero Carbon Shipping. L’organisation, créée par le Forum maritime mondial, Friends of Ocean Action et le Forum économique mondial, milite pour accélérer la décarbonation du transport maritime de façon à avoir des navires commercialement viables à émissions nulles opérant le long des grandes routes maritimes d'ici 2030.
Avec une nette majorité d'États membres de l'OMI qui considèrent désormais le « zéro net » comme un impératif absolu et parmi lesquels se trouvent les positions les plus conservatrices du secteur, à l’exception toutefois des grandes puissances maritimes du Japon et de la Grèce, « notre secteur ne pourra plus s'asseoir au fond de la classe en espérant que le professeur ne remarque pas qu'il n'a pas rendu ses devoirs », s’amuse un de ses acteurs.
Bataille épiques
Cette noble promesse du zéro net devrait donc donner lieu à de nouvelles batailles épiques au sein de l’OMI pour décrocher ne serait-ce que l’accord d’une révision détaillée de la stratégie qui avait mis des années à aboutir…
Mais ceux qui la défendent soutiennent que la fixation d'un tel objectif est « bien plus qu'un simple geste » car il a le mérite de « signaler explicitement à toutes les parties de la chaîne de valeur maritime que la transition est irréversible » et ainsi d’inciter les exploitants à prendre des décisions stratégiques d'investissement. La plupart des armateurs attendent en effet une réglementation claire pour enclencher. D’autant que le transport maritime est un secteur notoirement difficile à décarboner, en l’absence de toute alternatives vraiment vertes aux énergies fossiles prêtes pour une distribution à l’échelle.
L'investissement dans ces technologies est risqué compte tenu de la diversité des options – pas moins de cinq candidats : l'hydrogène, l'ammoniac, le méthanol, le méthane et les biocarburants –, pour lesquels les armateurs sont dans le flou sur celle qui sera la plus adaptée à son exploitation.
L’unité mondiale, condition des progrès
À l’ordre du jour de cette présente session, les délégués de l'OMI débattront donc de la nouvelle donne qu’est cette revoyure des objectifs. Les organisations représentatives du secteur ne manqueront pas non plus de réactiver l’idée d’une taxe sur le carbone appliquée aux navires de plus de 5 000 tonnes brutes par le biais d'un mécanisme mondial fondé sur le marché pour réduire l’écart de coût entre les combustibles fossiles conventionnels et les alternatives vertes qui serait jusqu’à 2 à 8 fois supérieur, selon les estimations. Le MEPC77 devrait aussi débattre de la contribution obligatoire prélevée (sur la tonne de fuel) auprès des compagnies afin de collecter 5 Md$ pour financer la révolution de propulsion qui sera nécessaire.
Taxe ou marché carbone ?
Taxe ou marché carbone ? Règles du marché ou dispositions réglementaires ? Taux fixe ou prix négocié qui augmente et diminue en fonction des variations du marché ? Des divergences apparaissent sur toutes ces questions.
La plupart des armateurs semblent plutôt penchés en faveur d’une solution par le marché et d’un prix du carbone. Le représentant des armateurs japonais se montre en revanche plus enclin à laisser les politiques définir les règles, affirmant que le secteur du transport maritime s'y conformerait.
61 systèmes d'échange de quotas d'émission
Le Maersk Mc-Kinney Møller Center for Zero Carbon Shipping estime qu'un prélèvement forfaitaire d'environ 230 $ par tonne d'équivalent CO2 ($/tCO2-eq) d'ici 2025, associé à des mesures réglementaires et politiques, permettrait d'obtenir la réduction nécessaire d'ici 2050 et pénaliserait suffisamment l'utilisation de combustibles fossiles.
Selon la société de classification DNV, une tonne métrique de fuel entraîne l'émission d'environ 3,1 tCO2-eq, ce qui signifie qu'une taxe de 100 $/tCO2-eq ajouterait 300 $/t à la facture carburant.
Actuellement, 61 systèmes d'échange de quotas d'émission seraient en place ou prévus dans le monde, couvrant environ 22 % des émissions mondiales. Marché carbone, normes d'émissions ou taxes, les droits à polluer revêtent en effet bien des formes.
Adeline Descamps