Des corridors verts pour quelle faisabilité ?

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En marge de la COP26, le sommet international sur le climat, une vingtaine de pays, dont la France, se sont engagés à rendre six routes maritimes entièrement décarbonées d'ici 2025. Une étude de 74 pages détaille le concept avec études de cas à l'appui sur deux routes spécifiques, dans le vrac sec et le conteneur.

En marge de la COP26 qui se tient à Glasgow, la France, les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Australie et une dizaine d’autres pays figurent parmi les premiers signataires de l’initiative, lancée sous le nom de Déclaration de Clydebank.

En signant, les représentants des États se sont engagés à favoriser la mise en œuvre de « corridors maritimes verts », une notion désignant une route maritime sur laquelle il est question de favoriser par des mesures publiques et privées l'exploitation de navires bas carbone.

« La création de ces routes maritimes à zéro émission permettrait de donner à toutes les parties prenantes la confiance nécessaire pour investir, coordonner et fournir les solutions à l'échelle requise d'ici 2030 », assurent les auteurs d’une étude qui a servi de base au projet. Intitulée The Next Wave : Green Corridors, elle a été pilotée par la coalition Getting to Zero.

Pour rappel, cette structure, créée par le Forum maritime mondial, Friends of Ocean Action et le Forum économique mondial, fédère des parties prenantes de toute la chaîne de valeur (maritime, énergies, banques, avitaillement...) et œuvre à installer les conditions nécessaires (production, distribution, stockage, soutage...) et favorables (cadre fiscal et réglementaire...) pour permettre une exploitation commercialement viable d'un transport décarboné le long des grandes routes maritimes d'ici 2030. Parmi les membres actifs, figurent majoritairement des entreprises nord-européennes tels Maersk, Kuehne Nagel, Schenker, Hoëgh Autoliners, les ports de Rotterdam et d’Anvers.

Des mesures réglementaires et des incitations financières ciblées sur ces corridors

« Les carburants et les navires à émissions nulles devront commencer à être déployés à grande échelle au cours de la prochaine décennie pour parvenir à une décarbonation complète du secteur des transports maritimes d'ici à 2050, fait valoir cette étude de 74 pages. La R&D est à l’oeuvre. Toutefois, il sera difficile de transformer ces efforts initiaux en solutions applicables à l'ensemble du secteur, étant donné la nature hétérogène et complexe de l'industrie maritime mondiale. La création de corridors verts permettrait de réduire cette complexité. » 

Sur ces itinéraires spécifiques, selon les auteurs de l’étude, des mesures réglementaires ciblées, des incitations financières et des règles de sécurité seraient de nature à créer les conditions d'une « décarbonation accélérée » tout en créant des effets d'entraînement vertueux sur d'autres corridors. « Parce que les investissements dans les infrastructures de carburant sur un corridor pourraient lever l'incertitude quant à la disponibilité de l'approvisionnement en carburant à émission zéro sur d'autres corridors. »

Faisabilité sur deux corridors ?

Quant à la sélection de ces voies vertes, quelques prérequis sont nécessaires : disposer d’un potentiel de décarbonation à suffisamment grande échelle pour avoir un effet probant sur les objectifs de décarbonation et être « faisables techniquement », signifient-ils.

Pour ce faire, il faut « des parties prenantes prêtes à explorer de nouvelles formes de collaboration, tant du côté de la demande que de l'offre, une viabilité pour les carburants [disponibilité de carburants à émissions nulles et d’infrastructures de soutage, NDLR] ; des incitations politiques et réglementations [notamment pour réduire l'écart de coût entre des combustibles d’origine fossiles et décarbonés, qui serait de l'ordre de 25 à 65 %]. »

Une modélisation a ainsi été entreprise sur deux grandes lignes : la route du minerai de fer entre l’Australie et le Japon et celle des conteneurs entre Asie et Europe. Une troisième ligne – transport de voitures entre l'Asie du Nord-Est et les États-Unis – présente un impact relatif mais un fort engagement des parties prenantes en faveur de la décarbonation.

La route du minerai de fer Australie-Japon

Le transport de minerai de fer entre les mines australiennes et les aciéries japonaises présente un certain nombre de préalables favorables au développement d'un corridor, peut-on lire, notamment en raison des importantes capacités de production d'hydrogène vert annoncées. Surtout, fait valoir l’étude de cas, « cinq acteurs clés ont déjà fixé des objectifs de décarbonation ambitieux : les sociétés minières, les exploitants de navires, les producteurs de carburanst, les aciéries et les organismes de réglementation aux deux extrémités du corridor ». 

Rio Tinto, BHP et Fortescue Metals Group, responsables d'environ 90 % du minerai de fer exporté de l'Australie vers le Japon, se sont engagés soit à atteindre le zéro net émission d'ici 2050, y compris pour les émissions liées au transport maritime (Rio Tinto et BHP), soit à être neutre pour toutes les émissions du scope 3 d'ici 2040 (Fortescue).

Sur les cinq armateurs assurant 56 % de la capacité de la route, quatre entendent réduire leur intensité de carbone au-delà des exigences de l'OMI. Les aciéries japonaises étudient, elles, les moyens de passer à une production décarbonée en mettant l'accent sur la réduction des émissions de portée 1 et 2.

Cet environnement est aussi propice car les producteurs de carburants australiens investissent dans la production d’hydrogène vert et d’autres carburants durables pour le transport maritime, assurent les auteurs de l’étude. « D'ici à 2030, ces projets planifiés ou installés pourraient représenter près de la moitié de la capacité mondiale de l'hydrogène vert. Parmi ces projets figure le plus grand hub mondial d’énergie verte en Australie occidentale avec une capacité prévue à terme de 50 GW d’hydrogène vert et d’ammoniac vert. »

Ammoniac vert, probable carburant de choix

L’étude de cas considère l'ammoniac vert comme susceptible d’être un carburant de choix sur la route du vrac sec (en supposant que les problèmes de sécurité puissent être résolus) compte tenu des capacités annoncées, avec un soutage dans le nord-ouest de l'Australie pour les premiers navires à zéro émission (les trois ports du Pilbara : Port Dampier, Port Hedland et Cape Lambert). 

« En fonction des mesures mises en œuvre, on peut s'attendre à un écart de coût total de possession (TCO) annualisé de bout en bout de 6 à 8 M$ [ce qui équivaut à une augmentation du coût différentiel de 50 à 65 %, NDLR] par navire en 2030 [en comparant un navire propulsé à l'ammoniac vert et aux combustibles fossiles, NDLR] », notent les auteurs, qui sollicitent une politique de subvention des nouveaux carburants. « En raison de l’organisation de la ligne en tramp, cette politique pourrait combler l'écart de coût de 250 à 350 M$ par an, en fonction des prix du carburant en vigueur. »

La route des conteneurs Asie-Europe

Elle est la route qui génère actuellement le plus d'émissions de gaz à effet de serre (GES) mais qui présente également « un potentiel important pour devenir un corridor vert​ », relève le document. En 2019, environ 24 MEVP ont été transportés par 365 navires. Ils ont consommé 11 Mt de carburant, générant l'équivalent de 35 Mt de CO2, ce qui représente environ 3 % des émissions mondiales du transport maritime. Mais la plupart se sont aussi assignés des objectifs supérieurs aux réglementations, arguent les auteurs du rapport.

Pourquoi ce choix ? « Premièrement, la réserve de projets d'hydrogène vert annoncés 62 GW de capacité d'électrolyse de l'hydrogène d'ici à 2030 en Europe, au Moyen-Orient et en Australie – devrait être plus que suffisante pour servir l'écologisation du corridor. Deuxièmement, il existe une demande croissante de décarbonation tout au long de la chaîne de valeur, des consommateurs finaux aux transitaires et aux compagnies maritimes. Troisièmement, les caractéristiques du fret sur cette route peuvent permettre aux participants de partager les coûts avec les consommateurs finaux sans augmentation significative des taux de fret. En outre, la décarbonation du transport maritime est une priorité croissante pour les décideurs politiques le long de la route », est-il listé. 

Sur ce corridor, c’est le méthanol et l'ammoniac vert qui semblent plus pertinents avec un avantage de coût pour l’ammoniac à long terme bien que les moteurs à méthanol soient, eux, déjà disponibles.

Malgré la baisse significative du coût des carburants à émission zéro, un écart de 45 % du coût total de possession persiste jusqu’à 2030 au moins, soit 10 à 13 M$ par navire. Les mesures envisagées par les décideurs politiques, telles que le paquet Fit for 55 de l'UE pour le transport maritime, pourraient cependant le réduire à 25 %.

Sans des politiques et réglementations volontaristes, le transport maritime à zéro émission ne pourra pas être compétitif. Le message-mantra ne pourra pas avoir échappé au lecteur de ce rapport.

Adeline Descamps

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