L'Inde et la Chine décomplexés face au charbon russe

La Chine, plus grand consommateur de charbon au monde, se structure pour ne plus dépendre des approvisionnements énergétiques de l’extérieur mais peut difficilement dans l’immédiat se passer de la Russie, qui s’est substitué à l’Australie, pays avec lequel Pékin est en froid. L’Inde achète, en toute décontraction, du pétrole et du charbon russes. La reconfiguration des flux en cours ne présente aucun scénario haussier pour le transport maritime.

Sur le front du charbon, les flux continuent de se restructurer sous l’effet conjugué des sanctions internationales à l’encontre de la Russie et de tensions qui préexistaient dans les relations commerciales entre pays clients et fournisseurs. 

En la matière, les rapports de force sont assez rapidement établis : peu de fournisseurs en mesure d’approvisionner en grande quantité et encore beaucoup d’acheteurs en dépit du profil peu vertueux de l’énergie du XIXe siècle. La Chine et l’Inde sont les deux premiers consommateurs et importateurs de charbon au monde. La Russie est le sixième plus grand producteur mondial, le détenteur de la deuxième plus grande réserve de la planète et quatrième fournisseur du géant asiatique. En 2020, 54 % des exportations du pays honni étaient destinées à l'Asie contre 31 % pour les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en Europe, selon l’agence américaine EIA (Energy Information Administration).  

Parmi les autres grands fournisseurs, l’Australie, l’Indonésie, l'Afrique du Sud et la Mongolie. Excepté pour l’Australie, mais qui est disqualifié par des différends diplomatiques entre Pékin et Canberra, la reconfiguration en cours des flux commerciaux n’offre pas au transport maritime de scénario haussier du point de vue du tonnage/km.

Un rallye mondial pour trouver du charbon

Profiter de la décote du charbon russe

Tandis que Pékin, qui engloutit la moitié de la consommation mondiale du fossile, s’organise pour s’affranchir de l’étranger pour son sourcing en produits énergétiques, New Dehli, considéré comme un importateur sensible au prix, semble enclin à profiter de la décote du charbon russe dans un contexte où les prix ont explosé et qui vont d’autant plus s’enflammer que les pays consommateurs se trouvent, au même moment, à chercher des alternatives au combustible sanctionné. 

Selon les données du Bureau national des statistiques (NBS) récemment publiées, la production chinoise de charbon s’est élevée à 1,08 milliard de tonnes au cours du premier trimestre, en hausse de 10 % sur un an. Une production domestique estimée record. Pékin, qui vise à se soustraire aux remous géopolitiques engendrés par le conflit en Ukraine, n’est pas loin de son objectif quotidien fixé à 12,6 Mt cette année. 

Certes, les achats ont pu être limités par les fermetures d'usines, la suspension des activités et des restrictions de la mobilité dans plusieurs villes chinoises en proie au coronavirus, mais la tendance est structurelle. L’exécutif chinois s’emploie, par des politiques incitatives, à stimuler l’extraction de charbon. Les prix plafonnés par le gouvernement ont ainsi rendu l'offre étrangère moins intéressante. La Mongolie intérieure est une des ses cartes maîtresses : des investissements dans de nouvelles infrastructures, comme la ligne de chemin de fer (opérationnelle) de 1 800 km de Haoji Railway spécifiquement dédiée au transport de charbon entre la Mongolie et la Chine, doivent lui permettre de réduire sa dépendance aux importations. 

La hausse de la production nationale, décidée par Pékin à l'aube de la saison hivernale 2021-2022 pour faire face à l'explosion des prix de l’énergie sur le marché international, a permis de reconstituer les stocks des producteurs d'électricité, de sorte qu'ils sont désormais moins dépendants des importations qu'en 2021, année où elles avaient augmenté d'environ 10 % par rapport à 2020. Étant entièrement sous des contrats d'approvisionnement à long terme avec des sociétés minières locales – pratique vivement encouragée par l’exécutif chinois –, les services publics n’ont ainsi pas besoin de s'approvisionner sur le marché au comptant où les prix flambent.  

Chine : une production quotidienne de charbon à un niveau record

Achats chinois de charbon russe en chute de 30 % en mars

Les importations chinoises de charbon en provenance de Russie (3,12 Mt) ont chuté de 30 % en mars par rapport à la même période de l'année précédente (4,43 Mt), selon les données de l'Administration générale des douanes. Les négociants chinois ont réduit leurs importations car ils peinent à obtenir des financements de la part des banques d'État, devenues frileuses en raison de l’exclusion de la Russie du système international de transaction SWIFT après son invasion de l'Ukraine. Mais certains d’entre eux auraient toutefois cherché à régler le paiement en yuan.

Selon les données de Refinitiv sur les flux commerciaux, en avril, 3,23 Mt de charbon russe ont les ports chinois pour destination. En dépit des interdictions, les analystes estiment que le premier consommateur mondial de charbon pourrait importer 20 Mt de charbon russe de plus en 2022 que l'année dernière. 

Les flux en provenance d’Australie, qui était son premier fournisseur avant qu’un différend diplomatique entre Pékin et Canberra ne vienne troubler la relative quiétude des relations commerciales entre les deux pays en octobre 2020, plafonnent toujours (moins de 350 000 t) bien qu’une partie des tonnages stockés depuis plus d’un an dans les entrepôts sous douane, ait été dédouanée. 

Les tensions diplomatiques entre la Chine et l’Australie avaient d’ailleurs fait le jeu de la Russie. Un accord n’était pas perçu inaperçu l’an dernier lorsque Fujian Guohang Ocean Shipping avait signé avec le fournisseur de charbon russe Elga Coal en vue de créer une entreprise commune pour exporter du charbon à coke (utilisé dans la fabrication de l'acier) vers la Chine. 

La Russie supplante la Mongolie dans le charbon à coke

La dernière publication des douanes montre également que les achats de la Chine auprès de l’Indonésie (10,02 Mt en mars, contre 16,47 Mt un an plus tôt), perdent en influence. Le premier exportateur mondial de charbon thermique (celui qui permet de produire de l’électricité) rencontre quelques difficultés à fournir depuis le début de l’année. Le gouvernement indonésien avait même interdit ses expéditions en janvier pour sécuriser sa propre demande d’électricité. La décision avait contribué à renforcer les cours du charbon tout en menaçant la production de l’Inde et de la Chine.  

Les importations chinoises de charbon à coke ont également chuté de 23 % le mois dernier par rapport à l'année précédente pour atteindre 3,76 Mt, principalement en raison d'un plongeon de 55 % des arrivées en provenance de Mongolie. En revanche, les achats à la Russie ont bondi de 160 % pour atteindre 1,4 Mt, contre 550 444 t en mars 2021 (données des douanes chinoises).  

Qui de la Chine ou de l’Inde pour acheter du pétrole russe ?

En Inde, attitude décomplexée

L’attitude de l’Inde est plus franche. Après avoir profité d'importantes remises sur le brut russe pour s'approvisionner à bon marché – Indian Oil Corp, le premier raffineur du pays, a acheté trois millions de barils d'Oural russe au négociant Vitol pour livraison en mai –, le deuxième plus grand consommateur et importateur mondial de bitumineux s'intéresse maintenant à son charbon. Le charbon représente environ 70 % de la production d'électricité de l'Inde, selon le rapport 2021 de l'Agence internationale de l'énergie sur les perspectives énergétiques de l'Inde.  

Les importations indiennes en provenance du pays banni ont bondi en mars pour atteindre des sommets inégalés (1,04 Mt), indique la société d’informations sur les matières premières Kpler. Au cours d’une récente conférence de presse, relayée par Reuters, le ministre indien de l'Acier, Ramchandra Prasad Singh a déclaré que son pays prévoyait de doubler ses importations de charbon à coke russe. Il aurait déjà importé 4,5 Mt, mais sans en préciser la période. 

Avant le début de la guerre, l'Inde n’était pas un gros acheteur de charbon russe (2 % des importations globales de l'Inde en 2021). Pour contourner les problématiques de financement sur le marché, les négociants auraient recours à l’échange de devises (accord entre deux banques centrales qui permet de contracter en devises étrangères). Une pratique utilisée pendant les périodes de stress du marché.  

Épisode traumatique

En fin d’année dernière, l'Inde a été frappée par une pénurie de charbon alors que sa demande d'électricité montait en flèche. La dépendance de l'Inde vis-à-vis des importations de charbon à coke est estimée par les analystes à 85 %. Un méga-accord commercial signé avec l'Australie le 2 avril – suppression des droits de douane sur plus de 85 % de produits australiens – devrait apporter un certain soulagement au pays... dans la limite des capacités de l’Australie et surtout de ses prix. 

Le charbon à coke australien s'est envolé ces derniers mois, atteignant un niveau record de 635 $ la tonne le 10 mars. Il est depuis retombé à 483,33 $ mais c'est encore plus de quatre fois que son cours d’il y a un an. L'Inde a en réalité peu d'options pour s'assurer des approvisionnements alternatifs en charbon à coke, la Russie étant jusqu’alors son principal espoir. 

L’attitude indienne décomplexée ne plait pas en l’occurrence à l’administration de Joe Biden qui a déjà tiré « deux coups de semonce » pour que New Dehli se range du « bon côté de l'Histoire ».  

Adeline Descamps 

Les importations indiennes de charbon particulièrement robustes

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