Après le spot, la courbe s'inverse aussi pour les taux de fret contractuels

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Les compagnies maritimes s’y attendaient. Elles avaient fait état d’une normalisation des taux de fret au cours du troisième trimestre. Toujours campés à des niveaux bien supérieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie, les taux spot poursuivent leur inexorable déclin alors que les tarifs contractuels empruntent à leur tour une trajectoire descendante.

La situation devient de plus en plus désagréable pour les compagnies maritimes même si elles avaient toutes plus ou moins fait mention de la probabilité à l’occasion de la présentation de leurs résultats financiers du deuxième trimestre. Elles évoquaient alors une normalisation des taux de fret au cours du troisième trimestre mais « sans atterrissage brutal », selon les propos de Søren Skou, le PDG de Maersk. « En douceur », avait qualifié pour sa part Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, le numéro trois mondial du transport maritime de conteneurs, dont le résultat net s’est élevé à 7,6 Md$ entre avril et juin.

Les taux spot glissent inexorablement depuis plus de quinze semaines consécutives si bien qu’ils se sont établis à un niveau inférieur aux taux contractuels, qui eux ont continué d’augmenter. Fait nouveau révélé ces derniers jours par Xeneta (mais aussi par Drewry) : les taux contractuels en septembre ont plongé pour la première fois depuis janvier 2022 et pour la troisième fois seulement au cours des 21 derniers mois sur la plupart des grandes routes maritimes.

Alignement sur la récession mondiale

Bien que l’indice Xeneta Shipping, qui suit les contrats de fret maritime à long terme, reste en hausse de près de 124 % par rapport à l'année dernière pour les importations européennes et de près de 180 % pour les entrées américaines, il a baissé de 1,1 % en septembre. Quant au spot, même après avoir plongé ces trois mois, les taux mesurés par l’indice de référence SCFI (au départ de Shanghai vers une vingtaine de grands ports mondiaux) restent également 2,5 fois plus élevés qu'en 2019.

Spot ou contractuel, tous les tarifs semblent s’aligner sur les craintes d'une récession mondiale qui n’épargne aucune région de la planète. Autre mauvaise nouvelle pour les compagnies maritimes, veulent croire les analystes, le phénomène serait de nature à ouvrir la voie à une possible renégociation des contrats et des prix de transport. « Des renégociations sont en cours, et tous les transporteurs avec lesquels j'ai parlé au nom de nos clients ont jusqu'à présent été disposés à discuter », a assuré un conseiller de Sea-Intelligence, société danoise qui accompagne les chargeurs dans l’achat de fret.

Coup de frein

Ces derniers jours, MSC et Maersk, qui partagent des capacités au sein de l’alliance 2M ont commencé à réagir à l’inversion du marché par des suspensions de services. Ainsi les deux leaders mondiaux vont-ils fusionner, à partir de la de la mi-octobre, le TP3/Sequioa existant avec le TP2/Jaguar qui effectuera désormais une rotation entre Shenzhen (Shekou), Guangzhou (Nansha), Shenzhen (Yantian), Ningbo, Shanghai et Long Beach. L’armateur américain Matson a également cessé un de ses services lancés l’an dernier pour faire face à cet incroyable afflux de demandes, qui a déclenché une surchauffe du marché du conteneur et s’est matérialisé par un assèchement des capacités, une congestion portuaire inédite et une inflation incontrôlée des tarifs de transport.

Autre manifestation de décélération du marché, après avoir navigué à pleine vitesse, Maersk a annoncé qu’il allait ralentir le rythme de ses porte-conteneurs pour réduire les coûts de carburant et répondre à la contraction de la demande.

Aucune angoisse

Pour l’heure, les dirigeants des grands acteurs mondiaux du marché ne manifestent aucune émotion de nature angoissée. Søren Skou, qui a répondu aux questions des médias dans le cadre du format Newsmaker de Reuters la semaine dernière, semble considérer que la baisse de la demande mondiale n’est pas « tant le fait de la récession ou de l'inflation que de celui d’une demande excessive pendant la pandémie ». Effet de base donc. « En Europe, la confiance des consommateurs est probablement aussi assez négativement influencée par la guerre à nos portes », concède-t-il toutefois.

Le volume de fret en cette période traditionnellement de pointe à l’approche des fêtes de fin d’année est pourtant bien inférieur à ce qu’il est en temps normal. « Le caractère cyclique normal du commerce mondial a été suspendu ces deux dernières années. Nous avons acheté des produits en grande quantité à des moments de l'année où nous ne les achetons pas normalement », évacue-t-il. Non sans fondement. La saisonnalité – période de pointe et temps morts – a été littéralement pulvérisée ces dernières années. Aussi, les analystes estiment que les détaillants ont largement anticipé leurs commandes cette année pour ne pas avoir à revivre les précédents épisodes de chaos. 

« La dynamique actuelle de l'offre et de la demande en matière de transport maritime est inversée », note le patron de l’ex-leader mondial Maersk, qui a longtemps fait figure de baromètre pour son secteur mais sans remettre en cause ses prévisions de bénéfices (relevées à trois reprises) pour l’année (Ebitda attendu à 37 Md$ cotre 30 Md$ prévus précédemment)Hapag-Lloyd, son concurrent allemand. a fait de même.

Baisse des perturbations et offre croissante

Selon Clarksons, les volumes de conteneurs transportés ont diminué de 1,4 % entre janvier et juillet par rapport à la même période de l'année dernière. Le secteur devrait solder l’exercice en cours sur un ralentissement de 0,3 à 1,6 % mais « un résultat plus faible reste possible », a prévenu le cabinet d'analystes. Ces attendus sont dans les clous de celles de Barclays qui, dans une analyse du marché présentée en septembre, évoque une tendance négative jusqu’en 2024 en raison d'une « baisse attendue des perturbations dans les ports et dans la chaîne d'approvisionnement mondiale mais aussi d’une offre croissante ». La banque d'investissement estime que les 11 % de porte-conteneurs supplémentaires en 2023 « vont accroître la pression sur les bénéfices ». En 2025, l’offre sera en effet supérieure de 30 % à son niveau de 2019.

En fonction de leur niveau d’exposition au spot, les transporteurs sont plus ou moins sereins. De ce point de vue, ZIM et HMM le sont bien moins par exemple que Maersk ou même CMA CGM. Les résultats financiers de ZIM pour le second trimestre, bien qu’à des niveaux historiques, sont en baisse par rapport au premier trimestre.

Plus agile que ses concurrents mais au prix d’une politique d’affrètement très onéreuse, le dixième transporteur mondial de conteneurs a très rapidement étoffé ses capacités et donc ses volumes (+ 23 % depuis le quatrième trimestre 2019) alors que ses pairs ont maintenu leur flotte stable. Mais surtout, la compagnie israélienne s’est positionnée sur les lignes les plus lucratives (le transpacifique) et est restée inflexible sur son positionnement historique, le spot, là où le taux de fret étaient les plus rémunérateurs, quand les premiers de la classe ont basculé sur le long terme afin de sécuriser leur trésorerie dans les années à venir. 

Maersk a 72 % de ses capacités sous contrats de longue durée (principalement avec des gros chargeurs tels que Walmart, Nike et Unliver) et CMA CGM place ses capacités à 50 % sur du long terme. Les deux ont une surface plus grande pour couvrir et compenser la chute des taux de fret spot quand bien même le contractuel s’infléchit également.

Tous les indicateurs financiers étaient aussi au vert pour HMM à l’issue du premier semestre avec des progressions à trois ou quatre chiffres sur une base annuelle. Mais le huitième armateur mondial de porte-conteneurs s’est essoufflé par rapport au premier trimestre. Il est très exposé au spot et moins diversifié dans ses trafics. 

Rétablissement des relations commerciales

« Le marché est actuellement changeant et incertain. Les transporteurs sont nerveux quant à la façon de fixer les taux contractuels. Vous devriez essayer de prolonger vos taux contractuels de trois mois avec vos fournisseurs actuels et faire une offre plus tard », conseille Drewry à ses clients chargeurs. Alors qu’avant, nous avions tendance à conseiller de lancer les appels d'offres le plus tôt possible pour s'assurer de la capacité (rare), cette fois, la stratégie recommandée est de lancer les appels d'offres à échéance, ou après une prolongation de contrat, pour profiter de l'affaiblissement du marché et de la baisse des taux contractuels. »

Quant à la question de savoir s’il faut « laisser tomber les fournisseurs qui [les] ont mal traité pendant la crise de sous-capacité », il serait « tentant mais déconseillé pour les acheteurs logistiques de "prendre leur revanche"», met en garde le consultant britannique. « Pour la plupart des entreprises qui recherchent une logistique fiable et des améliorations à long terme de leurs opérations, la continuité des relations commerciales reste essentielle et il est nécessaire de tolérer les tensions cycliques du marché. Il n'y a plus que neuf transporteurs maritimes mondiaux. La plupart des chargeurs devront travailler avec cinq d'entre eux ou plus dans un avenir prévisible ».

Adeline Descamps


 

 

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