Bruxelles continue d'établir les jalons de sa feuille de route climatique qui doit conduire le Vieux Continent à la neutralité carbone en 2050.
L'objectif de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre des Vingt-Sept d'ici 2030 (par rapport à 1990), à peine assimilé, la Commission européenne propose une cible intermédiaire de 90 % d'ici 2040. Ce nouveau cap résulte d'une analyse d'impact détaillée évaluant les trajectoires pour atteindre l'objectif convenu à 2050.
Cette nouvelle donne, qui devra être traduite en proposition législative, intervient dans un contexte de rejet croissant des normes environnementales et d’inquiétudes sur l'impact socio-économique d'un verdissement à marche forcée, dont témoignent les manifestations des agriculteurs.
L'exécutif européen était certes tenu d'actualiser ses projections dans les six mois suivant la COP28 de décembre mais cette proposition semble bien mal tombée, à quatre mois d’un scrutin où une montée de l'extrême droite et des nationalistes est attendue.
Les législations européennes, qui mis au pas les transports, l'énergie et l'industrie, ont achoppé ces derniers jours sur l’agriculture, qui représente 11 % des émissions européennes.
Dossier sur la table de la prochaine Commission
L'UE avait pourtant réussi jusqu’à présent à prendre le leadership en matière d'action internationale pour le climat.
La loi européenne sur le climat est entrée en vigueur en juillet 2021. Depuis lors, l'UE a adopté un paquet législatif intitulé « Ajustement à l'objectif 55 » (Fit fir 55) feuille de route à l'horizon 2030.
La proposition législative sera présentée par la prochaine Commission, après les élections européennes, et devra être approuvée par le parlement européen et les États membres, comme l'exige la loi européenne sur le climat.
Une prolongation des efforts
Avec les directives déjà adoptées, « le job a été fait pour la période pré-2030, l'accélération se fait maintenant, ensuite ce sera une prolongation » [des efforts, NDLR], assure Pascal Canfin, président (Renew, libéraux) de la commission Environnement au Parlement européen, comme pour désamorcer les ardeurs.
« Le pacte vert doit désormais devenir un accord de décarbonation industrielle qui s'appuie sur les atouts industriels existants, tels que l'énergie éolienne, l'hydroélectricité et les électrolyseurs, alors qu'il faut accroître la capacité de production nationale dans des secteurs en croissance tels que les batteries, les véhicules électriques, les pompes à chaleur, l'énergie solaire photovoltaïque, le CCU/CSC, le biogaz et le biométhane, et l'économie circulaire. La tarification du carbone et l'accès au financement sont également essentiels », indique la communication de la Commission.
Haro sur la capture de CO2
Les projections 2040 reposent largement sur le captage et le stockage d'importants volumes de carbone, notamment pour les secteurs où les émissions sont particulièrement difficiles ou coûteuses à réduire, tels que les émissions de procédés dans le ciment ou la valorisation énergétique des déchets.
La capture et stockage de CO2 fait débat. Nombre d'ONG la considèrent comme un moyen de prolonger l’usage des fossiles.
« L'annonce faite aujourd'hui ne mentionne pas l'abandon progressif du pétrole et du gaz, alors qu'il s'agit d'un impératif pour atteindre l'objectif fixé. En décembre dernier, la COP28 s'est engagée à abandonner les combustibles fossiles. L'UE a joué un rôle essentiel dans l'adoption de cette formulation, en déclarant clairement qu'elle se débarrasserait des combustibles fossiles utilisés sans relâche », rappelle l’association Transport&Environment, qui a toujours estimé que les législations ont trop souvent ignoré le transport maritime.
L'ONG s'étonne de la nouvelle communication de la Commission qui prévoit encore « 46 millions de tonnes d'équivalent pétrole (Mtep) pour la production de pétrole et de gaz. Cela suffirait à alimenter 900 000 vols transatlantiques, ajoutant inutilement 140 Mt de CO2 dans l'atmosphère », dénonce-t-elle.
280 Mt par an de capacité de stockage de CO2 d'ici à 2040
Dans son règlement pour une industrie « zéro net », la Commission a proposé un objectif d’au moins 50 Mt par an de capacité de stockage de CO2 d'ici à 2030, (équivalent des émissions annuelles de CO2 de la Suède en 2022). Avec sa nouvelle cible, il faudra atteindre 280 Mt d'ici à 2040.
Pour y parvenir, Bruxelles devrait entamer très rapidement des « travaux préparatoires » en vue de parvenir à une « éventuel futur train de mesures réglementaires » en matière de transport et de stockage de CO2.
La structure du marché et des coûts, l'accès des tiers, les normes de qualité, les volumes de CO2, les procédures d'autorisation des projets, un atlas des sites de stockage potentiels, les incitations à l'investissement pour les nouvelles infrastructures, les autorités de régulation compétentes, la réglementation tarifaire pour les actifs de transport et les modèles de propriété … seront autant de points qui devront être définis par le futur cadre réglementaire.
Infrastructure de transport du CO2, un élément clé
Quoi qu’il en soit, l'infrastructure de transport du CO2 est un élément clé pour ces technologies, que ce soit un captage en vue d'un stockage géologique permanent (CSC) ou en vue d’une valorisation (CCU) comme pour remplacer par exemple le carbone d'origine fossile dans les produits synthétiques, les produits chimiques ou les carburants.
Selon une étude du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission, l'infrastructure de transport de CO2 pourrait s'étendre sur 7 300 km et son déploiement pourrait coûter jusqu'à 12,2 Md€ d'ici 2030 et 16 Md€ en 2040 si le réseau couvre 19 000 km.
L'incertitude quant aux futurs volumes de CO2, la complexité de la coordination entre les chaînes de valeur et la longueur des procédures d'autorisation sont autant de freins à l’investissement, a fortiori pour des infrastructures dont les coûts d'investissement initiaux sont élevés et les délais d'exécution longs.
870 Md€ dans les transports.
Les technologies de gestion du carbone sont déjà soutenues par plusieurs programmes et fonds de l'UE, à l’instar du Fonds pour l'innovation (26 projets déjà soutenus pour un montant de plus de 3,3 Md€), le Mécanisme Connecting Europe (CEF, 680 M€ à des projets d'intérêt commun dans le domaine du CO2) ou encore Horizon Europe (540 M€ au cours de la période 2007-2023).
Selon Bruxelles, les investissements requis sur la période 2031-2050 pourraient atteindre, annuellement, 660 Md€ dans l'énergie et 870 milliards dans les transports.
Adeline Descamps