Depuis le 21 août dernier, tout véhicule nouvellement immatriculé doit être équipé d’un tachygraphe intelligent de version 2 (appelé selon les cas 1CV2, 4.1, Gen2V1 ou encore SMT2). Même chose en cas de nécessité de remplacement d’un appareil de précédente version tombé en panne à partir du 22 août. La Fédération française de carrosserie (FFC) s’est en outre préoccupée des camions produits avant ces dates avec un tachygraphe de version 1, mais encore en cours de carrossage. Faute d’avoir un Gen2V1 au 21 août, ils risquaient de se voir refuser leur immatriculation : « Ayant dû gérer ce type de situation avec le bureau des immatriculations en 2019 (Ndlr : année de sortie des premiers tachygraphes intelligents), explique Didier Dugrand, secrétaire général Équipements et véhicules de la FFC, nous avons voulu anticiper des difficultés éventuelles pour nos adhérents - carrossiers comme constructeurs -, en demandant au ministère des transports une pré-immatriculation pour les véhicules concernés ». Demande qui a été accordée.
Cette date du 21 août 2023 est la première étape d’un déploiement sur trois ans (lire l’encadré) de la nouvelle génération de tachygraphes, décidé par l’Union européenne dans le cadre du Paquet mobilité 1. Celle-ci doit permettre de veiller à la bonne application des normes instaurées pour améliorer les conditions sociales de travail des conducteurs routiers, pour renforcer la sécurité routière et pour assurer l’égalité de l’accès aux marchés européens.
Les changements technologiques de cette nouvelle version ne constituent pas une réelle révolution : « La marche est moins haute qu’en 2019 » observe Christophe Mathieu, responsable de produit de Continental. Néanmoins, les fabricants ont dû adapter leur produit aux nouvelles fonctionnalités, c’est-à-dire notamment à l’enregistrement automatique des passages de frontières. Ils devaient aussi intégrer un signal GNSS (Global navigation satellite system) permettant une authentification OSNMA (Open service navigation message authentication) de la géolocalisation via le satellite Galileo. Enfin, ils avaient l’obligation d’intégrer un accéléromètre au tachygraphe, de créer la possibilité de déclaration des opérations de chargement-déchargement et d’ajouter une fonctionnalité bluetooth.
La production de la V1 arrêtée
Rien d’insurmontable pour ces sociétés spécialisées. Aussi, à la veille de l’échéance du 21 août 2023, les majors du marché assuraient être prêts. « Ce n’est pas une simple mise à jour, il y a une couche matérielle à ajouter. Mais il n’y a pas plus de problèmes de disponibilité des composants que ces trois dernières années », explique Lorin Valton, directeur d’Inodis, représentant de Stoneridge en France. Continental a obtenu le 5 juin l’homologation de son tachygraphe DTCO 4.1 : « Depuis cette date, nous ne livrons plus aux constructeurs que ces modèles, assure Christophe Mathieu, et nous avons arrêté la production des 4.0 ».
Mais Stoneridge, de son côté, s’est heurté à des retards dans le processus d’homologation de son nouveau produit, ne recevant le précieux sésame que le 17 août… soit cinq jours seulement avant l’échéance du 21 août 2023. Impossible, dans ce délai, de livrer partout et faire installer son produit, le SE5000 Smart 2. Conséquence, il a aussitôt alerté l’Union internationale des transports routiers (en anglais IRU) : des retards qui concerneraient déjà 20 000 véhicules et potentiellement le double dans les prochains mois. « De multiples sources ont informé l’IRU que l’installation des équipements SMT2 dans les nouveaux véhicules ne sera pas régularisée avant la fin 2023 », rapporte l’organisation dans un communiqué publié le jour même de l’obligation règlementaire.
Demande de grâce
Aussi, dès le 17 août, Raluca Marian, représentante à Bruxelles de l’IRU – organisation rassemblant des acteurs comme la FFC, Transfrigoroute, la FNTR ou encore Axxès - a écrit à Adina Valean, commissaire européen au transport, pour demander une « période de grâce » jusqu’au 31 décembre 2023. Dans ce courrier, elle invoque non seulement le risque « d’amendes injustifiées » pour les transporteurs, mais aussi ceux de perturbation des réseaux de mobilité, des chaînes d’approvisionnement et des livraisons de véhicules respectueux de l’environnement. Pour elle, il faut même instaurer dans les mois qui viennent un système de surveillance des approvisionnements, afin d’anticiper toute crise pour les 1,5 à 2 millions de véhicules dont le tachygraphe devra être rétrofité. Selon l’IRU, des discussions sont engagées en ce sens.
Un suivi de la situation sera d’autant plus nécessaire que les nouveaux tachygraphes vont devoir repasser, dans quelques mois, par un processus d’homologation. La communication avec le satellite Galileo n’est en effet pas encore disponible. Les appareils ont donc été conçus pour la permettre, mais une nouvelle version logicielle sera nécessaire lorsque ce sera le cas, « a priori début 2024 », croit savoir Christophe Mathieu. Les centres agréés pour l’installation et l’inspection des tachygraphes pourront alors assurer cette mise à jour des tachygraphes. « En attendant, il n’y a pas d’obsolescence, assure le représentant de Continental. Simplement cette fin d’année, on en reste à la géolocalisation et, en 2024, 100 % des spécifications seront disponibles ».
Formations pour les centres
Les centres sont-ils prêts, de leur côté ? « En 2019, il y avait eu un embouteillage car certains ne l’étaient pas, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas, assure encore Christophe Mathieu. Nous avons formé plus de 200 techniciens de 600 centres en France ». Avant même d’avoir reçu une formation similaire de la part du réseau Normatech, dont sa société fait partie, Lucas Brindani, directeur du centre Lamberth-Satec, à Troyes, ne s’inquiétait pas davantage : « Nous contrôlons des tachygraphes de dernière génération déjà depuis 2019, rappelle-t-il, et aujourd’hui, il n’y a que deux vérifications supplémentaires à faire : le système permettant le contrôle à distance par les forces de l’ordre et l’indication qu’il s’agit de TRM ou de TRV ». La formation des techniciens permet de détailler un peu plus les nouveaux points de vigilance : « Pour l’enregistrement automatique des frontières, avec horodatage et point GPS, explique Christophe Mathieu, le tachygraphe embarque une cartographie de corridors autour des frontières. Or la règlementation impose de vérifier, à chaque inspection, s’il s’agit bien de la dernière version, pour le cas, par exemple, où un nouveau pays intègre l’Europe ». Second point à vérifier : la présence de l’accéléromètre, dont les données captées sont désormais corrélées avec la vitesse GPS afin de mieux lutter contre les fraudes.
Autres acteurs concernés par l’arrivée des tachygraphes intelligents de version 2 : les éditeurs de solutions de téléchargement, archivage et traitement des données collectées, qui doivent mettre à jour leurs outils. « Est-ce que les données seront compatibles ?, s’interroge Philippe Gaso, dirigeant de Flip Elec, distributeur et réparateur de tachygraphes et de clés ou boitiers de téléchargement. On ne le saura véritablement qu’en octobre ou novembre, au moment des téléchargements. En effet, on ne pouvait pas faire d’essais car tout étant sécurisé, on ne peut pas créer de faux fichiers ». Lorin Valton confirme la nécessité d’être vigilant : « Pour nos clients utilisant notre solution à distance – Ubbeo Fleet -, cette mise à jour est automatique, explique le représentant Stoneridge, mais pour les autres, mieux vaut vérifier que celle-ci est faite. En effet, si ce n’est pas le cas, on pourra toujours télécharger, mais on ne se rendra pas compte qu’on n’a pas récupéré toutes les informations. Ce qui pourra poser un problème lors d’un contrôle ». Stoneridge a travaillé avec les intégrateurs d’informatique embarquée, précise-t-il, « de façon qu’il y ait une bonne compatibilité ».
Veiller aux mises à jour
Responsable Benelux et France pour Webfleet solutions (groupe Bridgestone), Annick Renoux se montre effectivement rassurante : « Pour nous, cela ne change pas grand-chose. Nous avons fait des tests avec nos clients et avec Stoneridge pour s’assurer de la compatibilité et nous n’avons repéré aucun problème ». Les seuls changements que Webfleet a dû prendre en compte sont l’ajout des données de mouvements du véhicule issues de l’accéléromètre et la nécessité de créer un nouvel espace pour les informations de chargement-déchargement. Il a aussi fallu augmenter la capacité de stockage puisque le règlement européen fait passer celle-ci à 56 jours. « Mais nous le faisions déjà à la demande de certains clients », signale Annick Renoux. François Denis, dirigeant de Geotab, distributeur de boitiers de téléchargement, assure, lui aussi, que les mises à jour sont régulières. Tout juste entrevoit-il la nécessité « d’avoir suffisamment de bande passante pour télécharger » du fait d’une plus grande quantité d’informations à remonter.
Et les utilisateurs, sont-ils au fait de ces changements ? « Nous avons très rarement de questions d’adhérents sur les tachygraphes », observe Erwan Célérier, directeur des affaires techniques de la FNTR. Cependant, l’organisation s’applique à participer à une bonne application d’un paquet Mobilité qu’elle avait appelé de ses vœux. « Ses obligations vont dans le bon sens, estime-t-il. La nécessité d’une concurrence loyale et de contrôles accrus des conducteurs ont été défendus depuis 2015 par la fédération ». Une commission technique de la FNTR a convié un représentant de Continental, dès novembre 2021, à l’occasion de Solutrans, afin d’avoir ses explications sur les nouvelles fonctionnalités. De son côté, Isabelle Maître, déléguée permanente de la FNTR à Bruxelles, a suivi l’élaboration du règlement et la mise en place du calendrier. « Aujourd’hui, il va nous falloir faire des rappels des échéances, estime Erwan Célérier. C’est le plus important ».
Les échéances règlementaires
Depuis le 21 août 2023 : tout véhicule de 3,5 t nouvellement immatriculé de cette année doit être équipé d’un tachygraphe intelligent de version 2.
31 décembre 2024 : les tachygraphes analogiques et 1B devront être rétrofités.
31 août 2025 : les modèles intelligents de version 1 devront avoir été remplacés par la V2.
2026 : Les véhicules de plus 2,5 t circulant à l’international devront aussi en être équipés.