Le mythe au superlatif

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Apparue en 1969, la dynastie des V8 Scania profite d’un prestige sans équivalent. Il s’agit de la motorisation noble par excellence, celle qui fait briller les yeux des chauffeurs quand ils en parlent. Dix ans après sa dernière augmentation de puissance, le V8 Scania passe de 730 à 770 ch. Il redevient ainsi le moteur le plus puissant du marché Euro VI. Il en profite pour réduire sa consommation grâce à de multiples améliorations, sans oublier de s’associer à une nouvelle boîte de vitesses. Le V8 actualisé est destiné aux camions Scania R et S.

Rappelez-vous de l’époque Euro V. Elle a donné lieu à une augmentation rapide de la puissance maximale proposée aux transporteurs. En 2007, MAN lançait le V8 D28 de 680 ch qui succédait à son V10 de 660 ch monté sur le TGA 41.660. Le seuil symbolique des 700 ch est atteint par le 6-cylindres en ligne Volvo D16 en 2009. Scania profite ensuite de l’évolution de son V8 en 2010 pour reprendre la tête du peloton avec 730 ch. Volvo ne l’entend pas de cette oreille et présente dès 2011 la version 750 ch de son D16, livrable à partir de 2012. Après cette compétition, les contraintes techniques d’Euro VI ont calmé les ardeurs. Elles ont même provoqué le remplacement de tous les moteurs en V par des moteurs en ligne. Le V8 Scania est donc aujourd’hui le seul moteur en V en gamme lourde Euro VI. Le V12 Tatra refroidi par air, le V8 MAN ainsi que les V6 et V8 de Mercedes n’ont pas dépassé Euro VI.

À l’exception d’Iveco dont le moteur cœur de gamme est un 11-litres (Cursor 11, 420 à 480 ch), c’est un moteur de 12-13 litres qui occupe aujourd’hui une position centrale dans les gammes lourdes de DAF (MX13), MAN (D26), Mercedes (OM471), Renault-Volvo (D13K alias DTi 13) et Scania (DC13). Avec cette cylindrée, les puissances proposées sont actuellement limitées à 570 ch (Iveco Cursor 13). Pour en obtenir davantage, il faut passer aux blocs de 15-16 litres. On ne les trouve que chez MAN (D38), Mercedes (OM473), Scania (V8 DC16) et Volvo (D16K). Pour l’anecdote, rappelons qu’il existe un Cursor 16, mais qu’il n’est pas proposé sur les véhicules routiers européens. Lourds, chers et exigeant des transmissions adaptées, les plus gros moteurs du marché Euro VI ne sont pas optimaux pour toutes les utilisations. Évidemment, le transport exceptionnel, y compris les grumiers, est leur domaine de prédilection, celui pour lequel ils se justifient pleinement. En restant dans la limite de 44 t, les transporteurs régulièrement confrontés à de forts reliefs s’intéressent aux grandes puissances afin d’obtenir une vitesse commerciale élevée. Enfin, le choix d’une grande puissance relève parfois du plaisir hédoniste. Dans le cas du V8 Scania, le phénomène va bien au-delà. On ne compte plus les passionnés qui se sont fait tatouer le sigle du V8 Scania. Au-delà de ses qualités objectives, ce moteur suscite un enthousiasme sans équivalent, une ferveur irrationnelle, un culte. Et pour les inconditionnels, un V8 doit « sonner », au sens musical du terme. Conçus pour être plus légers et plus efficaces, les nouveaux collecteurs du V8 ont pour effet de favoriser les collisions entre gaz d’échappement émanant des différents cylindres. Il en résulte un vrombissement qui sera immanquablement appréciés des puristes.

Surpuissant mais frugal

Plus la puissance développée est importante, plus la consommation l’est également. Ainsi en a décidé la physique. Raison de plus pour optimiser le moteur. Pour cela, le V8 DC16 associe des recettes largement répandues à des solutions plus originales, voire exclusives. Parmi les grands classiques, on trouve la réduction des frottements internes, l’amélioration du logiciel qui gère le moteur, un dosage d’admission « actif » grâce à une nouvelle pompe haute pression, l’augmentation du taux de compression et « l’intelligence » des auxiliaires. Comprenez que compresseur, alternateur et pompes entraînés par le moteur évitent un inutile fonctionnement continu et se désactivent dès que possible. Plus original, le turbo de la version 770 ch est monté sur roulements à billes. Il y a là une solution luxueuse car la vitesse de rotation des turbos exige des roulements de très haute qualité. C’est pourquoi les turbos habituels se contentent de paliers lubrifiés. « Nous n’avons pas effectué de bonds révolutionnaires, déclare Göran Lindh, ingénieur en chef des moteurs V8 chez Scania. Nous nous sommes efforcés d’affiner ce qui existait déjà et d’intégrer les technologies les plus récentes. Le nouveau système de gestion moteur comprend un logiciel de pilotage plus intelligent et plus avancé, doté d’une plus grande précision. Nous sommes en mesure de calculer plus précisément la quantité de carburant nécessaire à n’importe quel moment. »

Pour cela, le DC16 actualisé dispose d’une nouvelle pompe haute pression dans laquelle les éléments de pompage sont pilotés individuellement (AIM, Active Inlet Metering ou dosage d’admission actif). Le contrôle global de l’admission profite en outre de diagnostics améliorés. La réduction des frottements internes et l’augmentation de la résistance nécessaire à une puissance accrue ont nécessité l’amélioration de nombreuses pièces mobiles (pignons, pistons, segments, culasse, soupapes).

Côté dépollution, l’injection d’AdBlue est réalisée en deux fois. La première dose est injectée dans le flux d’échappement tandis qu’il est encore très chaud, juste après le frein sur échappement. L’évaporation de l’AdBlue s’en trouve améliorée lors des cycles à faible charge. Les nouvelles versions du V8 DC16 sont ainsi déjà conformes à la norme Euro VI step E qui entrera en vigueur en 2021. La seconde dose est quant à elle injectée au niveau du silencieux ainsi que le pratiquent tous les systèmes SCR conventionnels depuis l’entrée en vigueur d’Euro IV en 2005.

Nouvel échelonnement des puissances

Auparavant, la gamme V8 comportait les niveaux de puissance 520 ch/2 700 Nm, 580 ch/3 000 Nm, 650 ch/3 300 Nm et 730 ch/3 500 Nm. Pour les 520, 580 et 650 ch, la dépollution s’effectuait par le seul SCR. Le 730 ch conservait le double système EGR+SCR. Le taux de compression était de 22,1 pour le 520 ch, 20,3 pour les 580 et 650 ch et enfin, 17,4 pour le 730 ch. Le ralentisseur pneumatique « frein moteur » avait une puissance de 297 kW pour les trois petites puissances, et de 320 kW pour le 730 ch.

Le nouvel échelonnement propose 530 ch /2 800 Nm, 590 ch/3 050 Nm, 660 ch /3 300 Nm et 770 ch/3 700 Nm. Tous sont compatibles avec le HVO, mais seul le DC16 de 590 ch existe en version compatible avec le B100. On note que l’EGR disparaît sur la plus forte puissance. Tous les V8 Scania sont donc désormais « SCR only ». Le taux de compression est uniformisé à 22 pour les trois petites puissances alors qu’il est de 19 avec le 770 ch. Toutes les versions partagent la même puissance de frein moteur établie à 300 kW. Sur ce point, la plus forte puissance perd 7 %. En entrée de gamme, le réglage le moins ambitieux du V8 assure la continuité avec l’offre fondée sur le bloc 13 litres DC13. Volvo a la même démarche avec ses D13K et D16K. Les différences les plus évidentes entre le DC16 de 770 ch et les autres versions résident dans de plus gros injecteurs ainsi que dans le montage sur roulements à billes du rotor du turbo à géométrie fixe (FGT). Un tel montage participe à la réactivité du moteur. Comparé à l’ancien DC16 de 730 ch, celui de 770 ch apparaît plus simple par certains aspects (disparition de l’EGR, nouveaux collecteurs, etc.). Scania annonce d’ailleurs qu’il est plus léger de 75 kg par rapport à son prédécesseur.

Ouverture élargie et frottements réduits pour la nouvelle Opticruise

L’un des freins au développement des moteurs de très grande puissance est la disponibilité d’une boîte de vitesses capable de supporter un très fort couple en entrée. Scania, comme Mercedes et Volvo-Renault, développe et fabrique ses propres boîtes de vitesses. C’est un savoir-faire rare qui permet de s’affranchir de ZF, seul équipementier capable de fournir des boîtes pour les usages routiers conventionnels selon les standards du marché européen. Dans le sillage de son V8 actualisé, Scania annonce de nouvelles boîtes de vitesses AMT (Automated Manual Transmission) qui acceptent jusqu’à 3 700 Nm en entrée, c’est-à-dire le couple du DC16 de 770 ch. Selon le constructeur, la nouvelle boîte passe les rapports de façon plus douce tout en se montrant à la fois plus silencieuse et plus économe en carburant grâce à des frottements internes réduits. D’autre part, l’ouverture de la boîte a été étendue, ce qui la prédispose à des rapports de démultiplication « économiques » qui tirent pleinement profit du couple disponible à bas régime. Résultat d’un investissement de 400 millions d’euros, les nouvelles boîtes doivent à terme remplacer les Opticruise actuelles. Le premier modèle de la nouvelle famille est la G33CM destinée aux moteurs DC13 (500 et 540 ch) et DC16. Le nom commercial « Opticruise » devrait être maintenu pour désigner ces transmissions automatisées de nouvelle génération.

Unique V8 du marché, le DC16 survivra-t-il à la rationalisation des gammes MAN et Scania dans le cadre du groupe Traton ? La boîte Scania est déjà montée par MAN. Il se dit que le futur 13-litres sera commun à toutes les marques du groupe. Considérant que les blocs de 15-16 litres correspondent à un marché de niche, le groupe acceptera-t-il la poursuite des développements parallèles des MAN D38 et Scania DC16 ? Il est clair que le V8 Scania est un outil marketing extraordinaire. Il s’est autoproclamé « King of the Road », et aucun de ses fidèles ne lui conteste ce titre. Le transport est toutefois un monde rationnel. Et pour convaincre, Scania annonce que son nouveau V8 et sa nouvelle boîte de vitesses réduisent ensemble la consommation de 6 % quand on les compare à leurs prédécesseurs.

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