« La crise sanitaire n’a pas ralenti l’ardeur des repreneurs, mais elle a, en revanche, différé des projets de cession (– 20 % à 25 %) », introduit Bernard Fraioli, président du C.R.A. (cédants et repreneurs d’affaires), association ayant pour mission de faciliter la transmission d’entreprises. Dans ce contexte conjoncturel incertain, les transactions ont parfois été perturbées dans le transport. Exemple avec le groupe Désert, qui a bien failli mettre un terme au projet de rachat des Transports Moreau (Indre-et-Loire). « Notre priorité n’était pas la croissance externe mais comment nous allions garantir l’avenir de l’entreprise », illustre Sylvain Désert, qui a mis ce projetentre parenthèses avant de reprendre les négociations en septembre 2020 et de finalement acter cette acquisition en avril dernier. Daniel Eonnet, du groupe éponyme, qui compte une vingtaine de reprises à son actif (TBM, TFR, Star, ATL 74, Sofidris, Conneuil…), a lui décalé trois à quatre dossiers.
Quel repreneur, aussi expérimenté soit-il, n’a pas d’appréhension quand il s’agit de rechercher sa cible ou d’évaluer une entreprise ?
Afin de mieux appréhender un jargon souvent technique, il faut savoir s’entourer « d’un expert-comptable et d’un cabinet d’avocats, a minima », dixit Stéphane Foucher, conseiller à la direction développement d’entreprises à la CCI de Nantes Saint-Nazaire. Outre les métiers de conseil, il existe « des agents immobiliers spécialisés en transaction de fonds (davantage pour les TPE) ou des cabinets de fusion-acquisition (pour les PME) ». Il ne faut pas non plus hésiter à se former pour bien préparer son projet de reprise. Le but ? « Aller chercher la compréhension de cet écosystème. Il y a plus de repreneurs que de cédants. La formation est donc un moyen d’amener une forme de différenciation dans un marché concurrentiel », prolonge-il. Citons la formation « Réussir votre opération de croissance externe » (Fusacq Formation) du 23 au 25 novembre à Paris (1 980 euros hors taxes les trois jours). Ou encore l’un des quatre séminaires « La reprise d’entreprise, les outils pour réussir » (durée : trois semaines), proposé à Rueil-Malmaison, Lyon, Nantes, Angers, Aix-en-Provence et Bordeaux par C.R.A Formation. L’organisme organise aussi des réunions d’information gratuites (deux heures) le 18 novembre à Lyon, le 9 décembre à Nantes, les 3 novembre et 1er décembre en ligne. Autre occasion de se familiariser avec le repreneuriat : le forum Terre d’entreprises le 16 novembre prochain à Quimper.
« 10 % des cessions se font au travers de petites annonces », précise Stéphane Foucher citant notamment la plateforme transentreprise.com. « 40 à 50 % par le biais d’un intermédiaire et autant en approche directe. » Par exemple, Bpifrance rassemble sur son site reprise-entreprise.bpifrance.fr 46 000 affaires à reprendre, dont un peu plus de 1 300 dans le transport de marchandises. Il existe aussi des plateformes territoriales, comme le site Reprendre en Bretagne. En 2019, 900 offres ont été déposées ici, dont 167 dans le secteur industriel. Une base d’annonces d’entreprises à reprendre est disponible sur la plateforme Web Business Transmission 49.
Toute la difficulté est d’identifier l’entreprise qui correspond à sa vision, ses valeurs, ses ambitions. Pour vous y aider, le label « Entreprendre en France », un outil mis en place par les chambres de commerce et d’industrie (CCI), permet aux repreneurs d’être introduits auprès d’intermédiaires (cabinets de fusion-acquisition…) de son territoire et de gagner en visibilité sur un marché de la reprise qui demeure confidentiel. De plus en plus de CCI proposent des approches directes de cibles pour des entreprises qui cherchent à faire de la croissance externe. C’est notamment le cas à la CCI Bordeaux Gironde depuis moins d’un an. Les étapes ? « Analyse de la stratégie de croissance, ciblage qualifié des entreprises sur la base de critères définis avec le repreneur (zone géographique, taille de l’entreprise, santé financière…), identification à partir de bases de données (Infogreffe, Corporama, Diane…), approche confidentielle des cibles retenues, mise en relation, accompagnement au rendez-vous, valorisation et recherche de fonds », énumère Fabien Lallement, responsable entrepreneuriat, innovation et compétitivité, qui précise que l’offre peut inclure un accompagnement post-acquisition pendant six mois. À noter que la CCI de Nantes Saint-Nazaire travaille actuellement à la mise en place de dispositifs spécifiques (lancement d’un club et d’ateliers, approches directes de cibles) courant 2022.
Du côté des transporteurs, à chacun sa méthode. Daniel Eonnet dit avoir recours à des apporteurs d’affaires ou opter pour le bouche-à-oreille (clients, fournisseurs…). Les cédants peuvent aussi être amenés à solliciter directement les dirigeants potentiellement repreneurs. Une situation vécue par Philippe Roche des transports éponymes. « En prévision d’un départ à la retraite, l’un des deux frères codirigeants des Transports Laigneau est venu me trouver en février 2020 », confie le transporteur. De bons bilans, peu de turnover, un climat social très bon, des clients en commun… À première vue, l’entreprise affiche de sérieux atouts. Mais le transporteur se laissera quelques semaines de réflexion, le temps notamment d’interroger les principaux clients.
Éric Rabouin a, quant à lui, répondu à un appel d’offres pour racheter la société Oger Transports en 2018. En lice, à peine dix candidats. « Après un deuxième tour de table, il n’en restait plus que trois. La dernière ligne droite s’est jouée à deux. Dans la course finale, j’ai été choisi entre autres pour mes valeurs », souligne le transporteur ligérien.Une fois la cible dans le viseur, encore faut-il s’assurer que « le cédant est bien vendeur », souligne Stéphane Foucher à la CCI de Nantes. « Il est très courant de voir des affaires s’interrompre après plusieurs mois de travail alors qu’une lettre d’intention [LOI, letter of intent] a été signée entre les deux parties. » D’après lui, il est important de repérer les points qui bloquent le plus tôt possible.
Avant de signer l’acte de vente, il faut être particulièrement attentif sur certains points, comme « veiller à la notoriété de l’entreprise sur son territoire, analyser sa situation économique et sa clientèle, avertit Daniel Eonnet. « Car des dossiers peuvent sembler alléchants d’un point de vue économique, mais gare aux « fausses » bonnes affaires », prévient son directeur financier Grégory Salmon. Et d’ajouter : « Par exemple, des sociétés ont pu recourir à un prêt garanti par l’État [PGE] ainsi qu’à des décalages d’emprunts et de crédits-baux. Il est donc hasardeux de faire une valorisation uniquement sur l’année 2020 qui s’est traduite, pour certains, par une perte d’activité non récupérée. » Philippe Roche a quant à lui réalisé un audit social afin de s’assurer que la réduction des cotisations patronales était bien appliquée, les heures de travail comptabilisées.
Ça y est, la signature (ou closing) concrétise des mois d’efforts après des négociations plus ou moins compliquées. Mais ce n’est qu’une étape. Il ne faut surtout pas « tout révolutionner », conseille Daniel Eonnet qui s’attache à conserver l’âme et le savoir-faire des entreprises rachetées. « La pérennité de nos différentes acquisitions est notre cheval de bataille. » Un avis partagé par Nicolas Guyamier du groupe éponyme. « Ne rien transformer, c’est la clé de voûte de la réussite. » Et si changements il y a, il faut opter pour « la communication et la transparence, complète Sylvain Désert. Nous sommes très observés et le moindre changement peut susciter des interprétations. »
La reprise pouvant être déstabilisante pour les équipes en place, il est important de réussir son entrée dans l’entreprise. Le repreneur des Transports Clément et fils a ainsi rencontré ses nouveaux collaborateurs dans la semaine qui a suivi l’annonce officielle du rachat. « Si j’avais un conseil : être présent ! Pour que les salariés adhèrent au projet et vous suivent, il faut qu’ils vous connaissent. Il faut donc montrer son engagement », préconise Éric Rabouin.
Pour qu’un projet de croissance externe réussisse, il faut aussi que la transmission ait lieu dans les meilleures conditions. Il n’est donc pas rare d’avoir une phase d’accompagnement avec le cédant. C’est le cas chez Guyamier, où la volonté est de « faire une passation en bon père de famille », selon le jeune patron bordelais. Ainsi à l’instar d’Erick Picquenot (cédant des Transports Lacassagne rachetés en 2019) qui assure la direction à mi-temps, Hafid Derideche le président d’Atlantique Europe Express (acquise en avril 2021) demeure à la tête de l’entreprise. Sylvain Désert a appliqué le même schéma avec Frédéric Moreau qui a accompagné la reprise pendant un mois avant de prendre sa retraite. « Cela a rassuré les personnes en place, tout comme la clientèle. »
Certains transporteurs disent rester en veille pour saisir d’autres opportunités de rachat, comme Sylvain Désert ou Philippe Roche. De son côté, le groupe Eonnet entend encore gagner du terrain au gré de croissances externes. Après l’acquisition du groupe Romatrans (Transports Fichet, Jacques Vacher et Seguin) en juillet, la holding morbihannaise, qui compte déjà 26 filiales (totalisant plus de 1 400 collaborateurs), étudie actuellement plusieurs dossiers. Une prochaine opération pourrait aboutir début 2022.
En attendant, la holding a racheté le 1er novembre la société Auto Prop’, spécialisée dans la logistique automobile pour les concessionnaires et située à Sainte-Gemmes-sur-Loire (49). Elle compte 18 salariés et pèse un chiffre d’affaires d’environ 1,3 million d’euros. À la suite de ce rachat, cette filiale a été rebaptisée Process Automobile.
Le monde du transport montre une appétence à la reprise…