Pour rompre le contrat qui vous lie, votre cocontractant n’a pas à justifier d’un motif valable ou d’une faute, et ce, notamment en raison de la liberté des échanges commerciaux et de la prohibition des conventions perpétuelles1. Il est vrai que dans certaines relations de sous-traitance, le volume confié est tel que certains sous-traitants sont placés sous un lien de subordination, voire de dépendance économique, et pensent donc que leur donneur d’ordre doit justifier d’un motif ou d’une faute pour avoir le droit de rompre leur contrat. Or, en matière commerciale, la liberté de rompre les engagements à durée indéterminée est le principe, et seules les modalités de cette rupture sont encadrées. À noter que pour les contrats conclus pour une durée déterminée, ces derniers doivent normalement aller jusqu’à leur terme. Leur éventuelle rupture anticipée, pour ne pas être considérée comme fautive, doit être décidée par les parties, en actionnant une clause résolutoire prévue au contrat, ou doit être demandée judiciairement.
Pour être qualifiée de rupture abusive, il faut déjà démontrer d’une part l’existence d’une relation établie et d’autre part, l’absence de respect d’un préavis suffisant2. Préalablement, il incombe donc à la partie qui se prévaut de la rupture abusive de démontrer l’existence de relations commerciales établies. Selon la définition donnée par la Cour de cassation, les relations commerciales établies sont des relations assidues caractérisées par un volume d’affaires important dans le cadre d’une collaboration suivie. Certaines jurisprudences, notamment de la cour d’appel de Paris3, sont venues préciser que le critère de la stabilité devait s’entendre de la stabilité prévisible d’une relation. Ainsi, à titre d’exemple jurisprudentiel, une relation commerciale avec des volumes fluctuants d’un mois sur l’autre et représentant un faible chiffre d’affaires du sous-traitant a pu être considérée comme ne répondant pas au critère de stabilité requis pour arguer d’une relation commerciale établie4.
Ensuite, concernant le respect d’un délai de préavis, cela permet à la partie qui se voit rompre le contrat, de prendre des dispositions et de donner, en temps utile, une nouvelle orientation à ses activités et donc de se réorganiser. Ainsi, le fait de rompre le contrat sans respecter un délai de préavis peut rendre abusif l’exercice du droit de rupture, en matière commerciale. On parle alors de brusque rupture ou de rupture brutale.
Au même titre que l’absence de préavis ou l’exécution partielle d’un préavis, le fait de ne pas respecter l’économie du contrat au cours du délai de préavis (diminution significative du chiffre d’affaires au cours du préavis) peut également s’analyser en une rupture abusive5.
Oui, certaines relations commerciales peuvent effectivement être rompues sans qu’aucun délai de préavis ne soit observé, dans les cas suivants :
• la force majeure (rarement retenue et obéissant à des conditions strictes) ;
• l’inexécution des obligations d’un cocontractant (la charge de la preuve de la réalité et de l’étendue des manquements incombe à celui qui s’en prévaut) ;
• les manquements répétés ou la faute grave peuvent également justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis.
À ce titre, il convient de noter que le contrat type général transport prévoit qu’en cas de manquements répétés de l’une des parties à ses obligations, malgré un avertissement adressé par lettre recommandée avec avis de réception, l’autre partie peut mettre fin au contrat de transport qu’il soit à durée déterminée ou indéterminée, sans préavis ni indemnité, par l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception.
De même, en cas de manquement grave de l’une des parties à ses obligations, l’autre partie peut, sans avoir à adresser d’avertissement, mettre fin au contrat de transport, qu’il soit à durée déterminée ou indéterminée, sans préavis ni indemnité, par l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception6.
Dans le secteur du transport routier de marchandises, si les parties n’ont pas conclu de contrat écrit, il est prévu des dispositions au sein de différents contrats-types, dites « supplétives de volonté », qui vont s’appliquer à défaut de meilleur accord entre les parties. C’est d’abord le contrat-type sous-traitance du 23 décembre 2003 (modifié depuis) qui est venu envisager des durées de préavis en cas de rupture des relations contractuelles, suivi en 2017, par le contrat-type général qui s’est lui aussi doté de délais de préavis. Ainsi :
• soit les parties ont conclu une convention (CDD ou CDI) qui prévoit les modalités de résiliation : à ce moment-là, il convient de vérifier ce que le contrat prévoit et de voir si les clauses sont légales ;
• soit les parties n’ont rien envisagé : il convient alors de se référer aux clauses de résiliation qui sont prévues par les différents contrats-types. À titre d’exemple, pour une relation établie de trois années, le délai prévu par le contrat-type sous-traitance est de trois mois6. De même, le contrat type général prévoit par exemple que pour une relation commerciale établie de cinq années, le délai de préavis minimum à respecter est de quatre mois et deux semaines7.
Il appartient au transporteur qui s’estime victime d’une rupture brutale de prouver la consistance et la réalité du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la brutalité de la rupture. Bien que certaines décisions aient pu indemniser sur le fondement d’une indemnisation à hauteur du chiffre d’affaires moyen mensuel qui aurait dû être effectué au cours du préavis, la tendance jurisprudentielle est plutôt à une indemnisation correspondante à la perte de marge brute pendant le préavis8. Plus précisément, la marge brute correspond généralement au chiffre d’affaires diminué du montant des charges variables (tel que le carburant, les frais de péage, pneumatique) qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture.
Bien que la jurisprudence ait pu se montrer hésitante sur cette question (appliquant tantôt la prescription de cinq ans du droit commun, tantôt la prescription annale prévue par l’article L 133-6 du Code de commerce), nous vous recommandons d’agir dans le délai d’un an courant à compter de la date de rupture du contrat (date de la dernière livraison). Il est important de rappeler que ce délai n’est pas interrompu par l’envoi d’un e-mail ou d’une lettre recommandée avec demande d’accusé de réception. Il convient donc, en cas d’échec d’une tentative de règlement amiable, de réagir rapidement. Seules la signification d’une ordonnance portant injonction de payer ou l’assignation en justice permettent l’interruption de ce délai de prescription.
(1) Article 1210 du Code civil.
(2) CA Nîmes, 21 avril 2005, n° 03/00331.
(3) CA Paris, 4 juin 2020, n° 17/14503.
(4) CA Paris, 23 novembre 2018, n° 15/11380.
(5) CA Dijon, 5 mai 2011, n° 10/00567.
(6) Article 14 du contrat-type sous traitance transport du 1er juillet 2019.
(7) Article 26 du contrat type général transport du 31/03/2017.
(8) CA Paris, 9 juin 2011, n° 0810448.