Si la crise épidémique a bouleversé la vie des entreprises, elle n’a en revanche pas mis à mal l’appétence pour l’actionnariat salarié. C’est le constat fait par la société de gestion d’actifs Amundi dans son dernier baromètre annuel. « Dans le contexte inédit et incertain de l’année 2020, la majorité des entreprises qui avaient prévu de lancer une opération d’actionnariat salarié avant la pandémie, l’ont maintenue », constate-t-elle. Et bien que le nombre d’opérations soit moins important qu’en 2019 (année record), 28 ont été réalisées et plébiscitées par les salariés. Le taux de participation est de 48,6 % (vs 48 % en 2019) et les montants moyens souscrits, en légère hausse (+ 5 %), passent de 4 223 euros à 4 499 euros. D’après Amundi, l’actionnariat salarié est apparu comme un outil de reconnaissance et de récompense pour l’implication des salariés pendant cette période difficile.
Avantageux pour les collaborateurs d’un point de vue économique, il l’est aussi pour les entreprises. Nombreuses sont celles séduites par ce modèle. C’est le cas de GT solutions,qui célèbre cette année les 29 ans de son actionnariat salarié (lancé en 1992). Cet acteur a choisi de proposer ce dispositif à tous ses collaborateurs sous deux formes complémentaires : acheter des actions du plan d’épargne actions et/ou acheter des obligations du plan d’épargne obligations. Par ailleurs, un accord d’intéressement est mis en place dans chaque filiale. Au début, quasiment un employé sur deux (317 personnes sur 700) avait fait le choix de placer une partie de son épargne dans l’entreprise. En 2016, il y avait 765 épargnants (500 actionnaires et près de 300 obligataires). Un chiffre porté aujourd’hui à 1 200 sur 2 000 salariés (700 actionnaires et 500 obligataires). Au 31 décembre 2020, 6,5 % du capital de GT solutions étaient ainsi détenus par les actionnaires salariés. « Les deux tiers des versements proviennent de l’intéressement et un tiers sont des versements libres », précise son directeur général Matthieu Sarrat.
Autre entreprise à se positionner comme pionnière dans ce domaine : STEF. C’est en 1993, quelques années après la constitution du groupe, qu’un plan d’épargne entreprise voit le jour. À l’époque, la vision est de « faire de STEF une entreprise stable, indépendante, de créer une culture et une identité forte, impliquer tous les salariés autour d’un projet collectif », indique Marie-Line Pesquidoux, secrétaire générale du groupe STEF et membre du Comex. L’actionnariat s’ouvre tout d’abord aux salariés basés en France puis, au fil des années, la stratégie s’est poursuivie en Espagne et au Portugal en 2005, en Belgique en 2014, en Italie en 2015 puis aux Pays-Bas en 2016. Aujourd’hui, « six pays sur sept font partie du FCPE* », précise la secrétaire générale. En 1993, le groupe comptait 3 000 salariés actionnaires. En 2016, le seuil des 10 000 est franchi. Aujourd’hui, ils sont 12 400 (sur 19 000 salariés), soit un taux de participation qui avoisine les 65 %, à détenir 17,8 % du capital du groupe. À présent, la volonté est de cibler les nouvelles générations, 10 % des actionnaires ayant moins de 29 ans. Afin de promouvoir le dispositif, STEF organise chaque année une journée consacrée à l’épargne salariale (la prochaine a lieu en avril 2022). Et pour pousser la dynamique plus loin, le groupe mise sur la digitalisation. Objectifs : « rendre le plan d’épargne entreprise plus accessible et plus simple dans son mode de fonctionnement et les salariés autonomes pour la saisie de leurs opérations et le suivi de leur portefeuille ».
Avant de se lancer dans l’actionnariat salarié, il est nécessaire de s’être interrogé sur les raisons qui vous poussent à ouvrir le capital de votre entreprise. « Participer à l’actionnariat salarié par un FCPE était un moyen d’embarquer les salariés, leur proposer de participer à l’aventure collective mais aussi de partager les fruits de la croissance du groupe », indique Vincent Delacour, directeur administratif et financier chez IDEA, qui a organisé son premier tour de table en 2018. Pour garantir le succès de son opération, le groupe opte pour un ticket d’entrée à 130 euros ; 298 collaborateurs (25 % de l’effectif) se saisissent du dispositif. Aujourd’hui, IDEA n’exclut pas de renouveler l’opération, convaincu par les bénéfices. « C’est un outil de fidélisation qui permet aussi de développer un sentiment d’appartenance à l’entreprise », note Vincent Delacour. C’est ce qui a aussi motivé le groupe de transport Mousset à ouvrir, en 2017, 10 % de son capital à 1 500 salariés éligibles basés en France. Ces derniers pouvaient alors bénéficier de 100 actions gratuites et en acquérir d’autres à tarif préférentiel. « Un placement très intéressant », selon le dirigeant. « En 2017, la valeur de l’action s’élevait à 3,57 euros. Aujourd’hui, elle est à 5,72 euros. Soit une revalorisation de plus de 60 % ! » Depuis, le groupe a renouvelé l’opération en 2020. Au total, 1 800 collaborateurs ont choisi d’investir dans la société pour peser 5 % dans le capital. Le montant moyen souscrit est de 1 000 euros par salarié. Pour Frédéric Leblanc, cette participation salariale est un élément d’attractivité dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Une raison de plus pour procéder à une nouvelle ouverture de capital d’ici un ou deux ans…
Pour réussir son opération d’actionnariat, une autre étape essentielle est de déterminer si le moment choisi est adapté.
Chez le groupe de transport drômois Jacky Perrenot, ces opérations sont intervenues à des étapes clés de l’entreprise. En 2010, le capital a en effet changé de mains lors de la transmission du groupe de transport à Philippe Givone. Ce dernier entre au capital aux côtés de deux autres cadres du comité de direction. Depuis, le groupe a bouclé deux opérations capitalistiques, l’une en 2019 (ouverte à 50 cadres supérieurs) et l’autre en juin 2021, suite au rachat de VIR Transport, avec l’entrée de plus de 200 actionnaires (management intermédiaire, chefs de service). Ce sont 9 % du capital qui sont aujourd’hui détenus par les salariés. Un moyen de les « fidéliser, récompenser, challenger et responsabiliser », indique son PDG, qui a la volonté de « récompenser ceux qui créent de la valeur ». Philippe Givone prévoit donc d’ouvrir « à moyen terme » le capital aux 8 000 conducteurs.
Le succès de ces opérations tient aussi à la gouvernance. Au sein de ces structures, il n’est pas rare que l’actionnariat salarié soit placé sous le regard d’un conseil de surveillance. Il tient aussi à la pédagogie déployée. Chez STEF, une gestionnaire épargne salariale orchestre la dynamique, la communication et l’animation des correspondants dans tous les pays. Le groupe s’appuie aussi sur des « ambassadeurs » de l’épargne salariale sur chaque site : le responsable ressources humaines et le directeur de filiale. Pour Vincent Delacour, chez IDEA, une communication en amont est essentielle. Pendant quatre mois, deux dirigeants ont ainsi entamé un tour de France sur l’ensemble des sites du groupe. Un dernier conseil : « être épaulé par des spécialistes », préconise-t-on chez Mousset, qui est conseillé par le cabinet parisien Eres. À présent, reste à vous demander si l’actionnariat salarié est fait pour vous…
* Le fonds commun de placement entreprise (FCPE) est un véhicule d’investissement qui permet à tous les salariés de souscrire à une augmentation de capital dans des conditions très avantageuses.