L’Espagne donne des idées aux syndicats de conducteurs français, aux organisations professionnelles du transport routier de marchandises. « Si demain, il y a des tensions salariales dans le TRM, si les terminaux pétroliers sont bloqués, cela pourrait arriver dans le cadre des négociations », prévient Jean-Paul Meyronneinc. Le directeur de Meyronne FCE, enseignant à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et Dauphine, s’adressait aux chargeurs réunis le 12 octobre dernier pendant le salon Top Transport Europe.
Le décret-loi royal du 1er mars 2022, obtenu de haute lutte par les conducteurs espagnols, met fin aux efforts physiques en interdisant les opérations de chargement et déchargement d’un véhicule de plus de 7,5 tonnes. Une législation applicable aux conducteurs nationaux et aux étrangers présents sur le sol espagnol. Cette règle que Jean-Paul Meyronneinc qualifie de sévère trouve deux exceptions, les opérations de messagerie et de colisage. Tout contrevenant s’expose à une amende de 4 000 à 6 000 euros.
Ces nouvelles règles nécessitent de s’organiser aussi bien chez l’expéditeur que chez le destinataire de la marchandise à l’arrivée des camions. Moyens humains et matériels sont nécessaires pour charger et décharger le véhicule en l’immobilisant le moins longtemps possible. Même le chargement des palettes incombe au personnel du donneur d’ordre. L’organisation en amont de rendez-vous devient indispensable. Ces opérations internalisées de manutention peuvent engendrer des difficultés de gestion des plans de charge.
S’agissant des transports internationaux, étant donné que la CMR (convention marchandise route) ne mentionne pas ce sujet, ce sont les droits nationaux qui se substituent. « Quand un conducteur espagnol charge en Espagne pour décharger en France, l’opération est bilatérale [non soumise à la directive détachement]. Le droit social est celui du pays d’origine, le droit espagnol. Un conducteur espagnol qui vient chez vous ne déchargera pas », précise Jean-Paul Meyronneinc.
Et d’avertir immédiatement les chargeurs : « Votre responsabilité devient plus forte mais attention, ne pas charger ne veut pas dire que les conducteurs sont passifs. Ils doivent veiller au respect des charges à l’essieu et aux opérations d’arrimage de la marchandise. » Importateur de fruits surgelés en Ardèche, la société Roger Descours a affiché une pancarte sur son site de réception des véhicules en invitant les conducteurs à être présents lors des opérations de chargement et de déchargement en mentionnant qu’il en va de leur responsabilité. En France, les prestations annexes sont prévues dans le cadre d’un contrat ou d’un ordre de transport devant être rémunéré. En l’absence de contrat de transport, les contrats type s’appliquent. La règle imposant le chargement et le déchargement des marchandises par le conducteur pour moins de 3 tonnes de fret et, pour plus de 3 tonnes, par l’expéditeur ou par le destinataire de la marchandise. Cette règle qui date de 1987 a été confirmée dans les contrats type de 2017.
Les conducteurs chargent (1 h 54 par jour) et déchargent (1 h 58 par jour en 2021). « On ne vous en fait pas cadeau, précise Jean-Paul Meyronneinc. Les transporteurs ont intégré cette dimension dans leur grille tarifaire : le temps passé au chargement-déchargement multiplié par le taux horaire du conducteur. Cela figure dans votre prix de transport. En cas de dépassement de temps, certains transporteurs envoient la facture à leurs clients. »
Si la législation évolue, cela permettrait de baisser le prix de transport mais pour les expéditeurs et destinataires, cela nécessite des investissements supplémentaires en main-d’œuvre et en engins de manutention. Côté transporteurs, cette mesure contribue à améliorer la productivité des conducteurs qui récupèrent ainsi du temps de repos. Reste à déterminer les responsabilités en cas d’accident de la route dû à mauvais chargement ou à mauvais arrimage…