Un chauffeur-livreur de la société Gelso Mi est licencié en juin 1993. Motif du licenciement de Monsieur Dominguez : ne pas avoir exécuté les instructions de son employeur de se rendre à Rungis, n'avoir pas prévenu ce dernier en cours de tournée, avoir refusé d'attendre auprès du client afin qu'il puisse informer l'employeur de la situation.... Le disque du conducteur révèle que le salarié n'avait pas accompli, ce jour là, de façon effective la totalité de ses horaires de travail. Néanmoins, la Cour d'Appel de Paris a estimé que « cela ne contredisait pas l'affirmation du chauffeur selon laquelle il ne pouvait exécuter ce travail de manière compatible avec ses horaires et avec ceux d'ouverture du client de Rungis ». L'affaire Castorama, pour sa part, concerne un agent de sécurité, qui disposait de « toute latitude pour organiser son emploi du temps suivant les nécessités du service et la mission qui lui [avait] été confiée ». Ce salarié est licencié en mai 1994 pour s'être absenté trois après-midi successives sans prévenir quiconque. La Cour d'Appel de Nancy a donné raison au salarié car il ne pouvait « accomplir le travail demandé dans un temps compatible avec ses horaires ».
Une nécessaire adéquation
Dans ces deux affaires, la Cour de Cassation prévient les entreprises : il n'est pas possible de licencier pour faute un salarié n'ayant pas accompli une tâche demandée s'il ne pouvait le faire dans le cadre de ses horaires de travail. Tout licenciement pour faute sera alors requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour débouter les employeurs de leur pourvoi respectif, la Cour de Cassation retient dans la première affaire (arrêt du 16 novembre 1999- SARL Gelso Mi c/Dominguez) que le chauffeur-livreur « n'a pas commis de faute, ne pouvant accomplir le travail demandé dans un temps compatible avec ses horaires ». Même raisonnement dans la seconde affaire : selon la Cour de Cassation (arrêt du 12 janvier 2000 - Castorama c/Pirotte), le salarié « ne pouvait être au magasin pendant toutes les heures d'ouverture de celui-ci, comme le demandait l'employeur, sous peine d'exécuter un temps de travail excédant les limites légales ».
Bien que ces deux arrêts n'aient pas été rendus à propos des lois sur les 35 heures, il ne faut pas pour autant en sous-estimer la portée. Les salariés disposent désormais d'une jurisprudence applicable à la nouvelle législation. On ne voit pas, en effet, pourquoi ces deux arrêts ne pourraient pas être utilement invoqués par les salariés. En particulier par les cadres au forfait, qui estimeraient que leur charge de travail est devenue trop lourde au regard de leurs temps de travail depuis la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans leur entreprise.
La preuve des heures de travail
Il reste alors au salarié à prouver que sa charge de travail est trop lourde. Cette question de la preuve des heures de travail, qui est en filigrane dans ces deux arrêts, est également cruciale pour les entreprises, en particulier en cas de contestation sur les heures supplémentaires. Conformément à l'article L. 212-1-1 du Code du travail, employeur et salarié doivent concourir à l'établissement de la preuve. Toutefois, dans son arrêt du 1er février 2000 (Elia c/SA Cugnenc EH)), la Cour de Cassation rappelle, conformément à une jurisprudence déjà bien établie (Cass. Soc. 3 juillet 1996, BC V n° 261), que le juge « ne peut, pour rejeter une demande d'heures supplémentaires, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportée par le salarié. Il doit examiner tous les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et que l'employeur est tenu de lui fournir ». Ainsi, la Cour de Cassation opère-t-elle un renversement de la charge de la preuve au détriment de l'employeur lorsque le salarié, demandeur à l'action en justice, ne peut établir lui-même la preuve de ses heures de travail.
L'entreprise peut d'autant moins s'exonérer de son obligation de concourir à l'établissement de la preuve des heures de travail qu'aux termes de l'article D. 212-21 du Code du travail, lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne sont pas occupés selon le même horaire collectif de travail, la durée du travail doit être décomptée chaque semaine, par récapitulatif selon tous moyens du nombre d'heures de travail réalisé par salarié. Il existe divers procédés à disposition de l'employeur pour se ménager de telles preuves : fiche hebdomadaire ou mensuelle de suivi des horaires de travail établi et signé par le salarié, puis contrôlé et contresigné par l'employeur ; enregistrement quotidien, par badge électronique, système de pointage ou cahier d'émargement signé par le salarié, des heures de début et de fin de chaque séquence de travail ; disques de chronotachygraphes...
> Un salarié ne peut se voir reprocher une faute s'il ne peut accomplir le travail demandé du fait d'une charge de travail trop lourde au regard de ses horaires de travail.
>En cas de contestation en justice sur la durée du travail, l'employeur doit communiquer au juge tous éléments de nature à justifier les heures de travail effectuées par le salarié.