Carole Dupessey (Union TLF) : « Il ne faut pas continuer à rogner la compétitivité du pavillon français »

Carole Dupessey

Carole Dupessey, vice-présidente de l'Union TLF

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Conjoncture, transition écologique, fiscalité, attractivité, etc. Nombreux sont les sujets sur lesquels l’Union TLF se penche. Échange avec Carole Dupessey, vice-présidente de l’organisation professionnelle.
Depuis plusieurs mois, les entreprises du transport et de la logistique subissent sur une importante baisse d’activité. Comment les adhérents de l’Union TLF traversent-ils cette période ?

Carole Dupessey : Il est vrai que les acteurs du transport et de la logistique, parmi lesquels nos adhérents, connaissent une période difficile et qui n’a fait que s’amplifier. En 2023, l’activité du TRM a baissé de 3 % en volume, tandis que celle de la logistique a décliné de 3,6 %. De plus, le nombre de défaillances a augmenté avec le manque de trésorerie dû à la baisse d’activité et aux conséquences de la pandémie. Par exemple, le transport alimentaire a bien diminué avec la consommation des ménages en baisse. De la même manière, le transport pour le BTP s’est réduit avec la diminution de la délivrance des permis de construire. Rien que sur le premier trimestre 2024, 486 dépôts de bilan ont été enregistrés. Et on manque de visibilité sur l’année 2024, ce qui amplifie l’inquiétude chez nos adhérents.

La hausse des coûts liés à l’inflation au sein des entreprises du TRM s’est-elle traduite chez les clients ? Comment l’Union TLF intervient dans les relations transporteur-chargeur ?

C. D. : La baisse d’activité tombe très mal pour les entreprises du TRM, car elle intervient dans un contexte inflationniste. Les coûts de production hors gazole se sont envolés à + 6,1 % en 2023. Les accords sur les NAO – que l’Union TLF n’a pas signés – ont conduit à une augmentation des minimas conventionnels de 5,4 %. Bien qu’il soit normal de soutenir les salariés dans ce contexte, les entreprises ont également leur pérennité à gérer. Une solution serait de répercuter la hausse aux clients, mais eux aussi connaissent des difficultés avec cette inflation.

Dans ce contexte inflationniste en Europe, comment maintenir la compétitivité du TRM français ?

C. D. : Quand le nouveau ministre des Transports, Patrice Vergriete, est arrivé, nous lui avons indiqué que la situation était très difficile pour le secteur, particulièrement pour les TPE et PME, qui représentent 80 % des entreprises adhérentes à l’Union TLF. Nous lui avons parlé de la fiscalité qui pèse sur le secteur. Il ne faudrait pas qu’elle augmente. Bien sûr, nous avons abordé le sujet de la suppression progressive du remboursement partiel de la TICPE. Nous sommes quand même dans le peloton de tête des pays qui taxent le plus le gazole ! Il ne faut pas continuer à rogner la compétitivité du pavillon français. Il faudrait par ailleurs éviter toute mesure qui compliquerait la vie des entreprises. Nous pensons notamment à l’interdiction du chargement-déchargement par les conducteurs. Il y a aussi le dispositif du bonus-malus sur l’assurance-chômage. Nous avons réussi à faire progresser le texte sur quelques points poussés par l’Union TLF, par exemple l’exclusion des contrats de plus d’un mois, mais il faut continuer pour être compétitif au niveau européen.

Depuis la prise de fonction de Patrice Vergriete au ministère des Transports, comment se déroule le suivi des dossiers RH amorcés par Clément Beaune ?

C. D. : Nous avons bien avancé collectivement sur le congé de fin d’activité. Il a été adapté à la réforme des retraites et nous entrons maintenant dans la phase 2 qui nous mène à 2030. Des propositions sont émises, par exemple une application plus souple qui pourrait intéresser aussi bien les salariés que les entreprises. Une personne qualifiée issue du ministère du Travail et du ministère des Transports a été nommée pour suivre le dossier. Nous n’entendons plus parler du sujet du chargement-déchargement depuis le départ de Clément Beaune. L’Union TLF se positionne contre, car on essaie de calquer sur la France un système mis en place en Espagne alors que les situations et les contraintes sont bien différentes. Par exemple, les temps d’attente ne sont pas rémunérés en Espagne. Et nous considérons que les contrats-types prévoient déjà tout. Commençons par faire appliquer les textes qui existent. Et travaillons avec les partenaires sociaux sur différents sujets pour améliorer l’attractivité des métiers, par exemple les conditions d’accueil, chez les chargeurs et les aires de parking d’autoroute.

Dans le cadre de la réduction du déficit de l’État, craigniez-vous que le budget alloué au transport diminue, notamment dans l’accompagnement à la transition énergétique ?

C. D. : Une aide de 130 millions d’euros d’aides a été annoncée par le Gouvernement au cours du Cilog en décembre 2023. Nous sentions ces dernières semaines des hésitations sur l’attribution de cette somme. Mais nous avons eu la confirmation par le Gouvernement la semaine dernière que ce serait bien effectif. Nous soutenons un accès simplifié à ces aides, car cela permettrait aux plus petites entreprises d’en bénéficier également. Pour réussir la transition énergétique, les transporteurs auront en effet besoin d’aide, car ce ne sera pas évident, à commencer par le coût des véhicules. Il faudra aussi des politiques publiques pragmatiques, stables et lisibles pour que les transporteurs puissent planifier leurs actions. Nous travaillons sur ce point dans le dialogue avec le Gouvernement. Nous avons rencontré à plusieurs reprises le secrétaire général à la planification écologique, Antoine Pellion, et reçu ses équipes dans le cadre de notre commission développement durable.

Sur quels atouts le secteur peut-il s’appuyer pour se différencier de ses concurrents européens ?

C. D. : Nous avons des atouts en France, comme le foncier. Mais, sur ce point, avec la loi ZAN (zéro artificialisation nette), nous sommes inquiets sur les conséquences au long terme. Nous travaillons au sein d’Union TLF sur le Paquet Simplification, annoncé par Bruno Le Maire, afin de faciliter l’installation d’entrepôts logistiques et la réduction des délais de recours. Un autre sujet fait la différence par rapport aux autres pays : la formation. Nous sommes bien outillés en France et dans notre secteur avec tous nos partenaires, que ce soit l’OPCO, l’AFT, France Travail, etc. Nous soutenons le développement de l’apprentissage, qui est un vrai atout pour faire venir les jeunes dans le transport, donc pour développer nos entreprises. Si un jeune veut participer à un secteur vital pour notre quotidien à tous et qu’il souhaite agir pour la transition écologique, nous l’invitons à venir dans le transport et la logistique !

L’Union TLF a élaboré plusieurs propositions à destination des candidats aux européennes (voir en p. 10 à 12) et aux différents partenaires. Pouvez-vous en dire quelques mots ?

C. D. : Les onze propositions se fondent sur trois axes principaux afin de pouvoir booster la compétitivité de notre secteur. Le premier vise à faire de l’Europe un champion de la logistique mondiale avec une filière compétitive et décarbonée, utilisant tous les leviers de l’intermodalité. Le deuxième axe porte sur le respect d’une concurrence saine et loyale au sein de l’Europe, à travers notamment le renforcement de l’application du Paquet Mobilité. Enfin, pour faire de la France le pays le plus compétitif au niveau européen en matière de transport et de logistique, il faut créer un environnement légal et fiscal plus favorable à nos entreprises, en défendant l’attractivité des ports et aéroports français.

Les mégacamions et la possibilité de passer en 44 t entre pays limitrophes feront partie des premiers dossiers sur le transport que traiteront les futurs élus à travers la révision de la directive 96/53/CE sur les poids et dimensions. Quelle est votre position sur ce sujet ?

C. D. : Nous avons été abasourdis par les différentes réactions sur le sujet des mégacamions ! Leur autorisation serait pourtant un pas en avant pour l’écologie puisque plus les camions sont gros, plus on massifie et moins on émet de gaz à effet de serre. Les deux compétitivités, économique et écologique, vont ainsi dans le même sens. Et ce n’est pas parce que les camions seraient autorisés qu’ils seraient déployés sur toute la France. Nous souhaitons travailler avec l’État et toutes les parties prenantes sur l’identification de corridors. L’Union TLF prône le développement de tous les modes de transport – route bien sûr, mais aussi ferroviaire, maritime, aérien et fluvial. Nous avons d’ailleurs sur ce point lancé, le 26 avril, une commission intermodalité au sein de l’Union TLF pour encourager une complémentarité entre les différents modes. Quant au passage de poids lourd de 44 tonnes entre deux pays limitrophes, nous sommes pour. Ce poids est déjà autorisé en France, il l’est aussi depuis plus longtemps en Italie et en Belgique par exemple, mais il n’est pas possible de passer d’un pays à l’autre avec le même camion… C’est ubuesque.

Au niveau national, certaines régions, comme le Grand Est, préparent la mise en place d’une taxe poids lourds sur leurs axes routiers. Quelle est votre position sur le sujet ?

C. D. : Au sein d’Union TLF, nous sommes opposés à l’instauration d’une taxe régionale sur les poids lourds. Les Régions ne doivent pas alourdir la fiscalité envers les transporteurs, sinon cela se fera au détriment de la compétitivité des entreprises locales. Le déploiement de telles mesures régionales ouvre également la porte à d’autres écotaxes locales, ce qui rendrait l’activité des acteurs du transport routier de marchandises complexe sur tout le territoire.

En matière de transition énergétique, l’Union TLF défend un mix énergétique diversifié. Sachant que les pouvoirs publics au niveau européen ont voulu prioriser le tout-électrique, percevez-vous un changement de tendance ?

C. D. : L’Union TLF prône le maintien d’un mix énergétique, car il serait dangereux de tout miser sur une seule et même énergie. Nous avons pu le constater avec la hausse des cours du gazole ou plus récemment ceux du gaz. Ce n’est pas que le secteur soit contre, mais il faut se donner la possibilité de se retourner. De plus, des solutions comme les biocarburants ou le biogaz sont rapidement déclinables chez les transporteurs (notamment à travers le rétrofit) et permettent des gains immédiats en matière d’émissions de gaz à effet de serre. De plus, les véhicules électriques ne sont pas adaptés pour certaines activités du TRM, comme la longue distance ou le transport de matières dangereuses. Nous travaillons donc tous les jours à sensibiliser les instances aux niveaux français et européen, et ils commencent à être réceptifs à nos arguments et problématiques.

Avez-vous également effectué ce travail de sensibilisation aux enjeux du secteur sur d’autres dossiers ?

C. D. : De la même manière, nous avons effectué un gros travail avec France urbaine auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, pour lui faire prendre conscience de la réalité du terrain. Par exemple, nous avons pu convaincre de la nécessité d’harmoniser les exigences liées aux ZFE au niveau national en coopération. Nous avons donc pu convenir d’un système d’arrêtés types pour les dérogations entre métropoles et déterminer un calendrier plus réaliste pour leur déploiement. Oui à une transition déterminée, mais dans des conditions pragmatiques et réalistes !

Face à la baisse d’activité, percevez-vous moins de difficultés de recrutement ? Quels sont les dossiers prioritaires sur le volet ressources humaines ?

C. D. : Beaucoup de camions se trouvent à l’arrêt du fait de la baisse d’activité, il y a donc moins de besoin. Mais attention ! La population de conducteurs est vieillissante et les départs vont s’accélérer. On risque de ne pas pouvoir suivre la reprise d’activité lorsqu’elle arrivera, faute de salariés. Il faut donc continuer à travailler sur l’attractivité, sur le CFA, la formation professionnelle ou encore le développement des compétences. Il est important de continuer à valoriser tous les métiers avec l’ensemble des acteurs de la branche. L’Union TLF travaille en ce moment sur un kit autour des enjeux d’attractivité, de recrutement et de formation, qui vise à éclairer les transporteurs dans le maquis des financements possibles et les informer sur les différents acteurs qui peuvent les accompagner. Il s’adressera notamment aux petites entreprises qui n’ont pas de département de ressources humaines.

Au sein de l’Union TLF, quelles sont les dernières actualités ?

C. D. : Nous préparons notre séminaire annuel prévu le 27 juin. Quelque 300 personnes sont attendues. Des tables rondes sur les sujets d’actualité seront organisées et les invités pourront échanger entre eux. Le ministre des Transports sera présent, mais aussi une personne médaillée aux Jeux olympiques. Par ailleurs, outre la création d’une commission intermodalité, nous renforçons nos diverses expertises. Nous créons un poste sur les affaires européennes pour être plus réactifs et mieux défendre notre profession au niveau des institutions européennes. Nous poursuivons un dialogue de proximité, à travers notamment nos délégations régionales, et accompagnons nos adhérents avec la publication de guides ou l’organisation de webinaires, comme récemment autour de Vérif Permis, du contrat-type général ou des Jeux olympiques de 2024.

Biographie

1993 : Arrivée dans l’entreprise Dupessey&Co (74)

2008 : Nomination au poste de PDG du groupe Dupessey&Co

2019 : Intégration au comité directeur d’Union TLF

2021 : Prise des fonctions de présidente de Dupessey&Co

2022 : Nomination à la vice-présidence d’Union TLF

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